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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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SALVE REGINA

27 mars 2012 2 27 /03 /mars /2012 11:30

Mais du reste, n'allumons point inutilement notre zèle contre les ennemis de Jésus-Christ : réservons-le pour nous-mêmes, et tournons-le contre nous-mêmes. Car n'est-ce pas ainsi que nous avons cent fois traité ce roi de l'univers, et que nous le traitons tous les jours ? Nous le couronnons, mais nous le couronnons d'épines, et d'épines mille fois plus piquantes que toutes celles dont il fut couronné par ses bourreaux.

BOURDALOUE

 

 

Tunc milites prœsidis suscipientes Jesum in prœtorium, congregaverunt ad cum universam cohortem ; et exuentes eum, chlamydem coccineam circumdederunt ei ; et plectentes coronam de spinis, posuerunt super caput ejus, et arundinem in dextera ejus.

Alors les soldats du gouverneur ayant emmené Jésus dans le prétoire, rassemblèrent autour de lui toute la cohorte ; et après l'avoir dépouillé, ils le couvrirent d'un manteau de pourpre : puis faisant une couronne d'épines, ils la lui mirent sur la tête. Ils lui mirent aussi un roseau à la main droite. (Saint Matthieu, chap. XXVII, 28.)

 

N'était-ce donc pas assez de tant d'outrages déjà faits au Fils de Dieu ? et puisqu'il était enfin condamné à mourir, fallait-il ajouter, à l'injustice et à la rigueur de cet arrêt, de si amères insultes et de si barbares cruautés ? Il semble, dit saint Chrysostome, que tout l'enfer en cette triste journée fût déchaîné, et eût donné le signal pour soulever tout le monde contre Jésus-Christ. Car ce ne sont plus même les princes des prêtres, ce ne sont plus les scribes et les pharisiens, qui pouvaient avoir des raisons cachées et des sujets particuliers de haine contre ce divin Sauveur ; ce ne sont plus là, dis-je, ceux qui le persécutent ; mais ce sont les soldats de Pilate, ce sont des Gentils et des étrangers, qui en font leur jouet, et qui le préparent au supplice et à l'ignominie de la croix par les plus sensibles dérisions, et par toutes les inhumanités que leur inspire une brutale férocité. Les paroles de mon texte nous les marquent en détail ; et voilà le mystère que nous méditerons, s'il vous plaît, aujourd'hui, et que je puis appeler le mystère de la royauté du Fils de Dieu. Car, à bien considérer toutes les circonstances qui s'y rencontrent, j'y trouve tout à la fois la royauté de ce Dieu-Homme méprisée et reconnue, avilie et déclarée, profanée et néanmoins établie et solidement vérifiée. Je dis méprisée, avilie, profanée, par les indignités qu'exercent contre lui les soldats ; mais je dis en même temps reconnue, établie, et solidement vérifiée, par une conduite supérieure et une secrète disposition de la Providence qui se sert pour cela de l'insolence même des soldats et de leur impiété. L'un et l'autre ne sera pas pour nous sans instruction.

 

En voyant la royauté de Jésus-Christ si outrageusement méprisée, nous nous confondrons de l'avoir tant de fois méprisé nous-mêmes, ce roi du ciel et de la terre ; et en la voyant si justement reconnue et si solidement vérifiée, nous apprendrons à quoi nous la devons nous-mêmes reconnaître, et en quoi nous la devons honorer. La suite vous développera ces deux pensées, qui comprennent tout le sujet et tout le partage de cette exhortation.

 

Jamais la barbarie fut-elle plus ingénieuse que dans la passion de Jésus-Christ à satisfaire son aveugle fureur, et quelles lois si sévères ont jamais produit aucun exemple d'un supplice pareil à celui que vient d'imaginer une cohorte entière de soldats, et qu'ils mettent en œuvre contre cet adorable Maître ? Ils avaient entendu dire qu'il prenait la qualité de roi ; et pour se jouer de cette royauté prétendue, selon leur sens, le dessein qu'ils forment est de lui en déférer, avec une espèce de cérémonie et d'appareil, tous les honneurs, et d'observer à son égard tout ce que l’on a coutume de pratiquer envers les rois. On le conduit encore dans le prétoire de Pilate, on lui présente un siège qui lui doit servir de trône, on lui commande de s'asseoir, tous se rangent autour de lui : Congregaverunt ad eum universam cohortem (Matth., XXVIII, 27.) ; et chacun témoigne son empressement pour être admis au nombre de ses sujets.

 

Ce n'est pas assez : afin de le revêtir des marques de sa dignité, on le dépouille de ses habits collés sur son corps déchiré et tout ensanglanté par la cruelle flagellation qu'il a endurée. On lui jette sur les épaules un manteau de pourpre, comme son manteau royal ; on lui met un roseau à la main, qui lui tient lieu de sceptre, et qui représente son autorité et son pouvoir. On fait plus encore, et pour diadème on prend une couronne d'épines qu'on lui enfonce dans la tète. De toutes les parties de ce corps sacré, il n'y avait que la tête qui fût restée saine, et qu'on n'eût point attaquée. Aussi dans les supplices des plus grands criminels, épargnait-on toujours la tète, parce que c'est, le chef où domine la raison, et où résident les plus nobles puissances de l'âme. Mais par rapport a Jésus-Christ, il n'y a plus de règles. Il faut qu'il soit couronné ; mais que son couronnement lui coûte cher. Il faut que ce soit un couronnement de souffrances et un martyre. Les épines, appliquées avec force, le percent de toutes parts ; autant de pointes, autant de plaies ; le sang coule tout de nouveau, et, selon la parole du Prophète qui s'accomplit à la lettre, depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a plus rien en cet homme de douleurs qui n'ait eu sa peine et son tourment : A planta pedis usque ad verticem non est in eo sanitas (Isa., I, 6.).

 

Du moins si l'on en demeurait là ! mais tout cela ne peut suffire à des cœurs si durs et si impitoyables. Il faut qu'on lui rende dans cet état les hommages qui lui sont dus, c'est-à-dire des hommages proportionnés à la pourpre, au sceptre et à la couronne qu'il porte. Comment donc l'adorent-ils ? En s'humiliant par raillerie devant lui, en lui disant, un genou en terre et d'un ton moqueur : Nous vous saluons, roi des Juifs : Ave, rex Judœorum (Matth., XXVII, 29). Quels tributs lui paient-ils ? Ils lui crachent au visage, ils le meurtrissent de soufflets, ils lui ôtent la canne qu'il tient dans la main, et lui en déchargent mille coups sur la tête. Tout ce que je dis, c'est ce que les évangélistes nous ont rapporté, et je n'ajoute rien au témoignage qu'ils en ont rendu : Et expuentes in eum, acceperunt arundinem, et percutiebant caput ejus (Ibid.,30.)

.

Voilà, Chrétiens, à quoi fut exposé le Roi des rois ; voilà, j'ose l'espérer de votre piété, voilà ce qui vous touche, ce qui vous pénètre, peut-être ce qui vous attendrit jusqu'aux larmes, ou ce qui vous anime au moins de la plus juste indignation. Mais du reste, n'allumons point inutilement notre zèle contre les ennemis de Jésus-Christ : réservons-le pour nous-mêmes, et tournons-le contre nous-mêmes. Car n'est-ce pas ainsi que nous avons cent fois traité ce roi de l'univers, et que nous le traitons tous les jours ? Nous le couronnons, mais nous le couronnons d'épines, et d'épines mille fois plus piquantes que toutes celles dont il fut couronné par ses bourreaux. Je m'explique, et concevez ceci, je vous prie.

 

Nous sommes chrétiens, et en qualité de chrétiens, nous faisons profession d'appartenir à ce Dieu Sauveur, comme à notre roi. Nous savons, et la foi nous l'enseigne, que toute puissance lui a été donnée au-dessus de toutes les nations du monde, et même au-dessus de toute la cour céleste : Data est mihi omnis potestas in cœlo et in terra (Ibid., XXVIII, 8.). Nous savons qu'il a été établi de son Père pour régner non-seulement en Sion : Ego autem constitutus sum rex ab eo super Sion (Psal., II, 6.) ; mais pour étendre son empire jusqu'aux extrémités de la terre : Postula a me, et dabo tibi gentes hœreditatem tuam, et possessionem tuam terminos terrœ (Ibid., 8.). Il est vrai qu'il dit à Pilate que son royaume n'était pas de ce monde, mais il ne prétendait point en cela lui faire entendre que ce monde ne fût pas soumis à sa domination. Il ne voulait lui dire autre chose, sinon qu'il n'était venu dans le monde que pour y exercer une domination spirituelle, et non point une domination temporelle : car voilà le sens de ces paroles : Regnum meum non est de hoc mundo (Joan., XVIII, 36.). Domination qu'il n'a fait consister que dans l'Evangile qu'il nous a annoncé, que dans la loi qu'il nous a prêchée, que dans les préceptes, dans les conseils, dans les exemples et les règles de conduite qu'ils nous a donnés : Ego autem constitutus sum rex ab eo, prœdicans prœceptum ejus (Psal., II, 6.). Nous savons, dis-je, tout cela, mes Frères, et, prévenus de ces connaissances et de ces principes de religion, nous embrassons l'Evangile de cet envoyé de Dieu, nous acceptons la loi de ce souverain législateur, nous recevons sa morale, et nous révérons, ce semble, ses préceptes et ses maximes ; nous allons à ses autels lui offrir notre culte, et nous nous prosternons en sa présence pour l'adorer. Ainsi, pour m'exprimer de la sorte, le voilà proclamé roi par notre bouche, et couronné de nos propres mains : Et cœperunt salutare eum : Ave, rex (Marc, XV, 18.).

 

Mais cette couronne que nous lui présentons, de quelles épines n'est-elle pas mêlée ; ou plutôt, de quelles épines n'est-elle pas toute composée ? Car ne nous trompons point, mes chers auditeurs, et ne nous arrêtons point à de spécieuses démonstrations. Quand, en même temps que nous couronnons Jésus-Christ, nous le renonçons du reste dans toute la conduite de notre vie ; quand, après lui avoir rendu devant un autel ou au pied d'un oratoire, je ne sais quel culte d'un moment et de pure cérémonie, nous agissons ensuite d'une manière toute contraire à l'Evangile qu'il nous a prêché ; que nous violons impunément et habituellement la loi qu'il nous a annoncée ; que nous suivons dans la pratique une tout autre morale que celle qu'il nous a enseignée ; que nous abandonnons les règles, les maximes, les principes qu'il nous a tracés ; que nous traitons même de faiblesse, et que nous tournons en raillerie la fidélité de quelques âmes chrétiennes qui refusent de s'en départir, et font une profession ouverte de s'y conformer ; quand nous ne prenons pour guides dans toutes nos démarches que le monde, que notre ambition, que notre plaisir, que notre intérêt, que nos ressentiments, que nos passions et tous nos désirs déréglés ; encore une fois, quand nous nous déclarons ses sujets, et que néanmoins nous en usons de la sorte et nous nous comportons en mondains et en païens, n'est-ce pas le couronner d'épines ? et ne peut-on pas alors dire de nous ce que le texte sacré nous rapporte des soldats ? Et plectentes coronam de spinis, posuerunt super caput ejus (Matth., XXVII, 29.).

 

Car jamais les épines qui lui percèrent la tête lui furent-elles plus douloureuses et plus sensibles que tant de désordres, que tant d'injustices, que tant de vengeances, que tant de médisances, que tant d'impiétés, que tant d'excès et de débauches, où tous les jours l'on se porte jusque dans le christianisme, qui est proprement son royaume ? Est-ce donc là le tribu que nous lui payons ? Les rois, dit saint Bernard, se font des couronnes de ce qui leur est offert par les peuples qui leur sont soumis ; et comme l'or est le tribut qu'ils exigent de leurs sujets, de là vient aussi qu'ils ont des couronnes d'or : mais que reçoit de nous notre Dieu et que lui produisons-nous autre chose que des épines, c'est-à-dire que des négligences et des lâchetés, que des imperfections et des infidélités, que des habitudes vicieuses, que des attaches criminelles ? tellement que notre âme est comme ce champ ou comme cette vigne dont a parlé le Sage, lorsqu'il disait : J'ai passé par le champ du paresseux, et j'ai considéré la vigne de l'insensé : Per agrum hominis pigri transivi, et per vineam viri stulti (Prov., XXIV, 30.) ; mais qu'y ai-je aperçu ? tout était plein d'orties, et toute la surface était couverte d'épines : Et ecce totum repleverant urticœ, et operuerant superficiem ejus spinœ (Ibid., 31.).

 

Il ne peut s'en taire, ce Roi digne de toutes nos adorations et de tout notre amour, mais dont nous profanons si indignement la souveraine majesté, et à qui nous causons tous les jours de si vives douleurs. Il nous adresse sur cela ses plaintes, et sa grâce nous les fait entendre au fond du cœur : mais où tombe sa parole ? comme ce bon grain de l'Evangile, elle tombe au milieu des épines : Et aliud cecidit inter spinas (Luc, VIII, 7.) ; c'est-à-dire, qu'elle tombe dans des cœurs sensuels et tout charnels, dans des cœurs vains et enflés d'orgueil, dans des cœurs possédés du monde et de ses biens périssables, dans des cœurs corrompus. Ces épines croissent toujours, elles s'étendent, elles se multiplient, jusqu'à ce qu'elles viennent à étouffer tous les sentiments de la grâce du Seigneur, et qu'elles arrêtent toute la vertu de sa divine parole : Et simul exortœ spinœ suffocaverunt illud (Luc, VIII, 7.).

 

Ce n'est pas tout, reprend saint Bernard, et nous déshonorons encore autrement la royauté du Fils de Dieu. Outre les épines dont nous le couronnons, nous ne lui faisons porter pour sceptre qu'un roseau : comment cela ? Par nos inconstances et nos légèretés perpétuelles en tout ce qui concerne son service. Aujourd'hui nous sommes à lui, et demain nous n'y sommes plus. Aujourd'hui nous nous rangeons sous son obéissance pour exécuter fidèlement ses ordres, et demain nous les transgressons. Aujourd'hui nous lui jurons un attachement inviolable, et demain nous secouons le joug, et nous nous révoltons : tantôt pour Dieu et tantôt pour le monde ; tantôt dans l'ardeur d'une dévotion tendre et affectueuse, et tantôt dans le relâchement d'une vie tiède et inutile. Or tout cela, qu'est-ce autre chose que lui mettre un roseau dans la main pour nous gouverner ? Je veux dire que c'est ne lui donner sur nous qu'un empire passager, sans solidité et sans consistance.

 

Car son empire est dans nous-mêmes et au milieu de nous-mêmes : Regnum Dei intra vos est (Luc, XVII, 21.) ; et quelque absolu qu'il soit, il ne subsiste (ne vous offensez pas de cette proposition, je l'expliquerai), il ne subsiste qu'autant que nous le voulons et que nous nous y soumettons. Si nous le voulons toujours et si nous nous y soumettons toujours, il durera toujours : mais si nous ne le voulons et si nous ne nous y soumettons que par intervalles, ce ne sera plus un empire stable et permanent. Ce n'est pas que Jésus-Christ, vrai Dieu comme il est vrai homme, n'ait sur nous un empire indépendant de nous, un empire inaliénable, immuable, éternel, un empire que nous ne pouvons troubler, parce qu'il est au-dessus de tous nos caprices et de tous nos changements : mais outre ce premier empire, cet empire essentiel et nécessaire, il y en a un que nous pouvons lui donner ou lui refuser, parce qu'il l'a fait dépendre de nous-mêmes et de notre volonté. Ainsi, que nous lui soyons volontairement et librement soumis comme à notre roi ; que volontairement et de gré nous nous attachions à lui, nous observions ses commandements, nous lui rendions tous les devoirs que nous prescrit la religion, voilà l'empire que nous pouvons lui ôter. Je ne dis pas que nous pouvons lui en ôter le droit, mais l'effet, puisqu'il nous a laissé notre libre arbitre pour demeurer dans la sujétion qui lui est due, et pour satisfaire à tout ce qu'elle nous impose, ou pour nous en retirer malgré toutes nos obligations, et pour vivre selon nos appétits et nos aveugles convoitises.

 

Or c'est de cet empire, dont il est néanmoins si jaloux, que nous faisons comme un roseau qui plie au moindre souffle, et qui tourne de tous les côtés. Que ne lui disons-nous point à certains jours et à certaines heures, où l'esprit divin se communique plus abondamment à nous, et nous touche intérieurement ? De quels regrets sommes-nous pénétrés à la vue de nos égarements, et que ne nous proposons-nous point pour l'avenir ? Quelles résolutions, quels serments de ne nous détacher jamais de ses intérêts, et de garder de point en point toute sa loi ? Rien donc, à ce qu'il semble, rien alors de mieux établi que son empire. Mais le voici bientôt détruit : il ne faut pour cela qu'une occasion qui se présente, qu'un exemple qui attire, qu'une difficulté qui naît, qu'un respect humain qui arrête, qu'un dégoût naturel qui survient, qu'une passion qui se réveille. On reprend ses premières voies, on se rengage dans ses mêmes habitudes, on oublie toutes ses promesses, on quitte toutes ses bonnes pratiques, on change de maître ; et de l'empire de Jésus-Christ, on retourne sous la domination et la tyrannie de ses inclinations vicieuses. Peut-être en revient-on encore ; mais pour y rentrer tout de nouveau. Ce ne sont que vicissitudes, que variations ; et le plus fragile roseau n'est pas sujet à plus de mouvements opposés, ni à plus de dispositions toutes différentes.

 

Cependant, mes frères, l'iniquité se soutient jusqu'au bout ; et si les soldats couvrent enfin par dérision le Sauveur du monde d'une robe de pourpre, cela même, par rapport à nous, renferme un mystère bien étrange ; je dis un mystère véritable, et que le Saint-Esprit, selon la remarque des Pères, a eu expressément intention de nous déclarer ; car ce n'est pas sans raison, dit saint Augustin, que le prophète Isaïe, s'adressant à la personne du Sauveur, lui demande l'intelligence de ce mystère, et qu'il veut apprendre de lui ce que signifie cette pourpre : Quare ergo rubrum est indumentum tuum, et vestimenta tua sicut calcantium in torculari (Isa., LXIII, 2.) ? Hé ! Seigneur, pourquoi votre robe est-elle toute rouge ? et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le pressoir ? Le voulez-vous savoir, chrétiens, la chose vous touche aussi bien que moi. Ecoutez ce que ce Sauveur lui-même répond à son prophète : Aspersus est sanguis eorum super vestimenta mea (Ibid., 3.) : Leur sang a rejailli sur moi, et toute ma robe en a été tachée. Comme s'il disait : Ce sont les dérèglements de mon peuple qui m'ont fait rougir, et c'est de quoi je rougis encore tous les jours. La honte en est retombée sur moi ; et ne pouvant faire nulle impression sur ma divinité, elle s'est attachée à l'humanité dont je me suis revêtu. Dans la splendeur de ma gloire, mes habits étaient aussi blancs que la neige ; mais depuis que je me suis réduit sous une forme humaine, ils sont devenus rouges comme l'écarlate, parce que je me suis vu chargé de toutes les abominations du monde.

 

Quel reproche, mes frères, et quel sujet de confusion pour nous-mêmes ! Car la confusion de notre roi doit retomber sur nous-mêmes, et doit encore de plus servir un jour à notre jugement et à notre condamnation. Il aura son temps pour venger l'honneur de sa royauté flétrie et profanée. Tout l'univers alors s'humiliera devant lui, tous les rois de la terre déposeront à ses pieds leurs couronnes ; il n'y aura plus là d'autre roi que ce Roi de gloire ; et de quelle frayeur serons-nous saisis, quand nous le verrons assis sur son trône, armé du glaive de sa justice, et couronné de tout l'éclat de sa divine et suprême grandeur ! C'est à ce dernier jour qu'il fera le terrible discernement de ceux qui l'auront honoré, et de ceux qui l'auront méprisé ; qu'il mettra les uns à sa droite comme ses prédestinés et ses élus, et les autres à sa gauche comme des rebelles, des réprouvés ; qu'il dira aux uns, en les appelant à lui : Venez, possédez mon royaume, vous qui m'avez servi comme votre maître, et qui m'avez obéi comme à votre roi : Tunc dicet rex his, qui a dextris erunt : Venite, possidete paratum vobis regnum (Matth., XXV, 34.) ; et qu'il dira aux autres, en les rejetant : Allez, et retirez-vous de moi ; vous n'avez point été mon peuple, et vous n'avez point voulu vivre dans ma dépendance ; je ne sais qui vous êtes, et je vous livre à ces puissances de ténèbres qui vous ont si longtemps temps dominés, et qui vous attendent pour vous faire part de leur sort et de leur malheur éternel : Tunc dicet et his qui a sinistris erunt : Discedite a me in ignem œternum, qui paratus est diabolo et angelis ejus (Matth., XXV, 41.).

 

Ah ! chrétiens, que ferons-nous lorsqu'il nous frappera de ce redoutable anathème ? En vain nous commencerons à craindre et à révérer son souverain pouvoir ; en vain nous lui crierons mille fois : Seigneur, Seigneur : Tunc respondebunt ei, Domine (Ibid., 44.) ; en vain, prosternés devant son tribunal, nous lui dirons : Roi immortel, roi de tous les siècles, que toute louange, que toute gloire vous soit rendue : Regi sœculorum immortali honor et gloria (1 Tim., I, 17.) ; ce ne sera plus qu'un culte forcé et contraint, et il demandait un culte de piété et d'amour ; ce ne seront plus que des soumissions d'esclaves, et il voulait une obéissance d'enfants. Or, il n'y a que les enfants qui trouveront place dans son royaume, et les esclaves en seront éternellement bannis. Ce n'est pas qu'il ne retienne toujours sur ces malheureux son empire naturel, car c'est à lui que son Père a dit : Régnez au milieu même de vos ennemis : Dominare in medio inimicorum tuorum (Psal., CIX, 2.) ; mais comment ? pour les gouverner avec un sceptre de fer, et pour leur faire sentir tout le poids de vos justes vengeances : Reges eos in virga ferrea (Ibid., II,9.).

 

Je vais trop loin, mes chers auditeurs, et revenons.

 

Comme il n'y a point de mystère où la royauté de Jésus-Christ ait été plus avilie et plus outragée que dans son couronnement, je prétends d'ailleurs qu'il n'y en a point où elle ait été plus solidement établie et plus justement vérifiée : c'est le sujet de la seconde partie.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LE COURONNEMENT DE JÉSUS-CHRIST    

 

Christ de Pitié, Eglise Saint Nizier, Troyes

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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 12:30

Le christianisme a-t-il donc changé, et n'est-il plus le même ? Ah ! mes Frères, le christianisme a toujours subsisté, mais reconnaissons, à notre confusion, que ce ne sont plus les mêmes chrétiens : nous en avons retenu le nom et nous en avons laissé toute la substance et tout le fond. 

BOURDALOUE

 

 

C'était beaucoup pour le Sauveur des hommes d'avoir subi toute la honte d'un supplice aussi humiliant que celui de la flagellation ; mais il fallait encore qu'il en éprouvât toute la cruauté, et que sa chair, victime d'expiation pour tous les péchés du monde, fût immolée à la rage de ses bourreaux, et mise par là même en état d'être offerte à Dieu, comme une hostie précieuse, et de fléchir sa colère : c'est le triste objet que nous avons présentement à considérer.

 

Quand les amis de Job, instruits de son infortune et de la déplorable misère où il se trouvait réduit, vinrent à lui pour le consoler, l'Ecriture dit que le voyant couché sur un fumier, tout défiguré et tout plein d'ulcères, ils furent saisis d'un tel étonnement qu'ils déchirèrent leurs habits, qu'ils se couvrirent la tête de cendres, et que, pour marquer la consternation où ils étaient, ils se tinrent là plusieurs jours dans un profond et morne silence. Il y aurait encore bien plus lieu, Chrétiens, de tomber ici dans la même désolation, de garder la même conduite et de demeurer sans parole à la vue du Fils unique de Dieu, accablé sous une grêle de coups, tout meurtri de blessures, et comme donné en proie à une troupe féroce et à toute leur inhumanité.

 

Que devait-on attendre de cette brutale soldatesque ? C'étaient des hommes nourris dans le tumulte et la fureur des armes, et de là plus incapables de tout ménagement et de tout sentiment de compassion. C'étaient les ministres d'un juge timide et lâche, qui les abandonnait à eux-mêmes, et dont ils pouvaient impunément passer les ordres, s'il en eût porté quelques-uns, et qu'il leur eût prescrit des bornes. C'étaient des âmes vénales et mercenaires, des âmes intéressées, et d'intelligence avec les Pharisiens, dont ils avaient à contenter la haine, pour en recevoir la récompense qui leur était promise et qu'ils espéraient. C'était toute une cohorte assemblée, afin de se relever les uns les autres, et que, reprenant tour à tour de nouvelles forces, ils pussent toujours frapper avec la même violence. Tout cela, autant de conjectures des excès où ils se portèrent contre cet innocent agneau qu'ils tenaient en leur pouvoir, et contre qui ils étaient maîtres de tout entreprendre.

 

Que ferai-je ici, mes chers auditeurs, et que vous dirai-je ? m'arrêterai-je à vous dépeindre dans toute son étendue et toute son horreur une scène si sanglante ? entrerai-je dans un détail où mille particularités nous sont cachées, et dont nous ne pouvons avoir qu'une connaissance obscure et générale ? vous représenterai je l'acharnement des bourreaux, le feu dont leurs yeux sont allumés, leurs fouets grossis de nœuds et tout hérissés de pointes, dont leurs bras sont armés ? compterai-je le nombre des coups qu'ils déchargent sur ce corps faible et déjà tout épuisé de forces, par l'abondance de sang qu'il a répandu dans le jardin ! Que de cris, que de nouvelles insultes de la part des prêtres, des pontifes, d'une populace infinie ; témoins de tout ce qui se passe, et animant tout par leur présence ! Mais je vous laisse, mes Frères, à juger vous-mêmes de toutes ces circonstances , comme de mille autres, et à vous en retracer l'affreuse idée. C'est assez de vous dire que cette chair sacrée du Sauveur n'est plus bientôt qu'une plaie ; que ce n'est plus partout que meurtrissures, que contusions, et qu'à peine y peut-on découvrir quelque apparence d'une forme humaine ; qu'au milieu de ce tourment, cet Homme de douleurs, après s'être soutenu d'abord, est enfin obligé de succomber ; que , dans une défaillance entière, il tombe au pied de la colonne, qu'il y demeure couché par terre, perclus de tous ses membres et privé de l'usage de tous ses sens ; qu'il ne lui reste ni mouvement, ni action, ni voix, ni parole ; et que, bien loin de pouvoir s'expliquer et se plaindre, il conserve à peine un dernier souffle et une étincelle de vie.

 

Que dis-je , Chrétiens ? c'est en cet état qu'il s'explique à nous plus hautement et plus fortement qu'il ne s'est jamais expliqué. Il n'a qu'à se montrer à nos yeux : cela suffit. Il ne lui faut point d'autre voix que celle de son sang, pour nous instruire ; il ne lui faut point d'autre organe que ses plaies ; ce sont autant de bouches ouvertes pour nous redire ce qu'il s'est tant efforcé de nous persuader en nous prêchant son Evangile, que quiconque aime son âme en ce monde, c'est-à-dire sa chair, que quiconque y est attaché, et veut l'épargner et la choyer, la perdra immanquablement ; mais que pour la sauver dans l'éternité, c'est une nécessité indispensable de la haïr en cette vie, de réprimer ses sensualités, de lui refuser ses aises et ses commodités, de lui faire une guerre continuelle en la mortifiant, en l'assujettissant, en la domptant : Qui amat animam suam, perdet eam ; et qui odit animam suam in hoc mundo, in vitam œternam custodit eam (Joan., XII, 25). Maxime essentielle dans la morale de Jésus-Christ ; maxime la plus juste, et fondée sur les principes les plus solides, parce que cette chair que nous avons à combattre est une chair souillée de mille désordres, une chair de péché ; et qu'étant criminelle elle doit être punie temporellement, si nous ne voulons pas qu'elle le soit éternellement ; parce que c'est une chair rebelle, et qu'il n'est pas possible de la tenir dans la soumission et dans l’ordre, si l'on ne prend soin de la réduire sous le joug, à force de la châtier et de la mater ; parce que c'est une chair corrompue et la source de toute corruption, puisque c'est d'elle que vient tout ce que saint Paul appelle œuvres de la chair, les débauches et les impudicités, les querelles et les dissensions, les colères et les envies ; et que nous ne pouvons nous mettre à couvert de ses traits contagieux, ni les repousser, que par de salutaires violences; parce que c'est une chair conjurée contre Dieu et contre nous-mêmes : contre Dieu, dont elle rejette la loi ; contre nous-mêmes, dont elle ruine le salut ; et que nous devons par conséquent la regarder et la traiter comme notre plus mortelle ennemie.

 

La chair du Fils de Dieu n'avait rien de tout cela. C'était une chair sainte et sanctifiante, une chair sans tache et toute pure, une chair pleinement soumise à l'esprit ; c'était la chair d'un Dieu, et toutefois nous voyons quels traitements elle a reçus : or c'est sur cela même que cet Homme-Dieu, baigné dans son sang, se fait entendre à nous du pied de la colonne, et qu'il nous reproche, tout muet qu'il est, nos délicatesses, et l'extrême attention que nous avons à flatter nos corps ; comme s'il nous disait : Jetez sur moi les yeux, et, par une double comparaison, confondez-vous. Idolâtres de votre chair, vous ne voulez pas que rien lui manque, que rien la blesse, que rien l'incommode, et moi me voici déchiré de fouets et tout ensanglanté. Mais encore qu'est-ce que cette chair dont vous prenez tant les intérêts, et qu'était-ce que la mienne, que j'ai si peu ménagée ? Reproche le plus touchant, et dont l'Apôtre avait senti toute la force, lorsqu'il traçait aux premiers fidèles ces grandes règles de la pénitence et de la mortification chrétienne : que si nous voulons être à Jésus-Christ, nous devons crucifier notre chair avec tous ses vices et toutes ses concupiscences : Qui sunt Christi carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis (Galat., V, 24) ; que nous ne devons nous conduire que selon l'esprit, sans écouter jamais la chair, ni avoir égard ou à ses répugnances ou à ses désirs : Spiritu ambulate, et desideria carnis non perficietis (Ibid. 16.) ; qu'au lieu de la consulter et de la suivre, nous devons expressément y renoncer, et même en quelque sorte nous en dépouiller : Exspoliantes vos veterem hominem (Coloss., III, 9.) ; que quelque effort qu'il y ait à faire pour cela, quelque sacrifice qu'il nous en puisse coûter, il ne doit être compté pour rien, et que nous ne devons jamais oublier, en considérant Jésus-Christ, que nous n'avons point encore comme lui répandu notre sang : Nondum enim usque ad sanguinem restitistis (Hebr., XII, 4.).

 

Quel langage , mes chers auditeurs ! et qui de vous l'entend ? Ne sont-ce pas là des termes dont le monde ignore souvent jusques à la signification, ou que le monde au moins croit ne convenir qu'à des solitaires et à des religieux ? Or, prenez garde néanmoins à qui saint Paul donnait ces divines leçons, et à qui il enseignait cette excellente morale ; car ce n'était ni à des religieux, ni à des solitaires qu'il parlait ; c'était à des chrétiens comme vous, n'ayant au-dessus de vous d'autre avantage ni d'autre distinction, sinon qu'ils étaient de vrais chrétiens, et que vous ne l'êtes pas ; c'était à des hommes employés comme vous, selon leur profession, aux affaires du monde ; à des femmes engagées comme vous, par leur état et leur condition, dans la société et le commerce du monde. Voilà ceux à qui il recommandait de mener une vie austère, non seulement selon le cœur, mais selon les sens ; de mourir à eux-mêmes et à leur chair ; de se contenter du nécessaire, ou pour le logement, ou pour le vêtement, ou pour l'aliment, et de retrancher tout ce qui,est au delà comme superflu, comme dangereux, comme indécent dans la religion d'un Dieu, qui, par ses souffrances, est venu consacrer l'abnégation de soi-même et de tout soi-même. Ces expressions ne les étonnaient point, ces propositions ne leur semblaient point outrées ; ils les comprenaient, ils les goûtaient, ils se les appliquaient. Le christianisme a-t-il donc changé, et n'est-il plus le même ? Ah ! mes Frères, le christianisme a toujours subsisté, mais reconnaissons, à notre confusion, que ce ne sont plus les mêmes chrétiens : nous en avons retenu le nom et nous en avons laissé toute la substance et tout le fond.

 

Quoi qu'il en soit, c'est dans cette sainte mortification de la chair que les saints de tous les siècles et de tous les états ont fait consister une partie de leur sainteté. Parcourez leurs histoires, et trouvez-en un qui n'ait pas témoigné pour sa chair une haine particulière. Soit qu'ils eussent toujours vécu dans l'innocence, ou qu'après une vie mondaine ils se fussent convertis à Dieu ; soit qu'ils eussent abandonné le siècle pour se retirer dans le désert et dans le cloître, ou qu'ils fussent restés au milieu du monde pour satisfaire à leurs engagements et à leurs devoirs ; en quelque situation qu'ils aient été, et par quelque voie qu'ils aient marché, du moment qu'ils ont commencé à embrasser le service de Dieu, ils ont commencé à se déclarer contre leurs corps, et en sont devenus les implacables ennemis. Leurs vocations étaient différentes, et leur sainteté avait, ce semble, des caractères tout opposés : c'était, dans les uns, une sainteté de silence et de retraite, et dans les autres, une sainteté de zèle et d'action ; dans les uns, une sainteté toute pour elle-même, et dans les autres, une sainteté presque toute pour le public ; mais malgré cette diversité de vocations, ils sont convenus en ce point de haïr leur chair et de la traiter durement. La faiblesse du sexe, la complexion, le travail, les infirmités même, n'ont point été des excuses pour eux. Bien loin qu'il fallût les exciter, il fallait au contraire leur prescrire des bornes et les modérer, tant ils étaient, je ne dirai pas seulement sévères, mais saintement cruels envers eux-mêmes.

 

D'où leur venait cette haine si vive et si universelle dont ils étaient tous animés ? De l'ardent désir qu'ils avaient conçu de conformer, autant qu'il était possible, leur chair à la chair de Jésus-Christ ; de la forte persuasion où ils étaient que jamais leur chair ne participerait à la gloire de la résurrection de Jésus-Christ, si elle ne participait à sa mortification et aux douleurs de sa passion ; du souvenir qu'ils portaient profondément gravé dans leur cœur, que c'était pour notre chair et pour ses voluptés sensuelles, que la chair de Jésus-Christ avait été si violemment tourmentée ; d'où ils concluaient qu'une chair ennemie de Jésus-Christ, qu'une chair coupable de tous les maux qu'avait endurés la chair de Jésus-Christ, était indigne de toute compassion, et ne pouvait être trop affligée elle-même, ni trop maltraitée. C'est ainsi qu'ils en jugeaient ; mais pour nous, mes chers auditeurs, nous raisonnons, ou du moins nous agissons bien autrement : la maxime la plus commune et la plus établie dans toutes les conditions, est d'avoir soin de son corps, et de ne l'endommager en rien ; de ne le point fatiguer, de ne le point affaiblir, de l'entretenir toujours dans le même embonpoint ; d'en étudier les goûts, les appétits, et de lui fournir abondamment tout ce qui l'accommode : voilà notre principale, et souvent même notre unique occupation.

 

Ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus étrange, c'est qu'avec cela l’on prétend être pénitent, l’on prétend être dévot, l'on prétend s'ériger en réformateur du relâchement des mœurs et de la doctrine. Appliquez-vous à ma pensée ; c'est un point de morale à quoi vous n'avez peut-être jamais fait assez d'attention. Que des impies déclarés, que des libertins de profession, que des mondains par état, se rendent esclaves de leurs corps, et lui accordent tout ce qu'il demande, je n'en suis point surpris : comme ils n'aspirent, ou du moins qu'ils ne pensent à nul autre bonheur qu'à celui de la vie présente , il est naturel qu'ils en recherchent toutes les douceurs. Dès là que ce sont des mondains, ils sont possédés du monde et de l'esprit du monde : or tout ce qui est dans le monde, dit saint Jean, n'est qu'orgueil de la vie, que concupiscence des yeux et que concupiscence de la chair ; il est donc moins étonnant qu'ils soient si attachés à leur chair, et qu'ils la laissent vivre à l'aise et au gré de tous ses désirs.

 

Mais ce qui doit bien nous surprendre, et ce que je déplore comme un des plus grands abus du christianisme, je l'ai dit et je le répète, c'est qu'on prétende être pénitent sans pratiquer aucune œuvre de pénitence. Un homme est revenu de ses criminelles habitudes, une femme a quitté le monde, après l'avoir aimé jusqu'au scandale : il y a sujet de bénir Dieu d'un tel changement, et je l'en bénis. Ce ne sont plus les mêmes intrigues, ni les mêmes désordres ; mais du reste, parlez à l'un et à l'autre de satisfaire à la justice de Dieu ; représentez-leur avec l'Apôtre que, comme ils ont fait servir leurs corps à l'iniquité, ils doivent le faire servir à la justice et à l'expiation de leurs péchés ; dites-leur, avec saint Grégoire, qu'autant qu'ils se sont procuré de plaisirs même permis et innocents : c'est une langue étrangère pour eux, et toute leur pénitence ne va qu'à corriger certains excès et certains vices, sans en être moins amateurs d'eux-mêmes, ni moins occupés de leur personne.

 

Ce qui doit bien nous surprendre, c'est qu'on prétende être dévot, sans être chrétien ; je veux dire, sans marcher par la voie étroite du christianisme : car le christianisme est une loi austère et mortifiante ; et cependant, tout dévot qu'on est, on ne veut rien avoir à souffrir ; on renonce au luxe, au faste, à la pompe ; mais d'ailleurs on veut être servi ponctuellement, nourri délicatement, couché mollement, vêtu et logé commodément. Rien que de modeste en tout ; mais rien en tout que de propre, que de choisi, que d'agréable. Telle dans la dévotion mène une vie mille fois plus douée, et je pourrais ajouter, plus délicieuse, qu’une autre dans son dérèglement et son libertinage.

 

Ce qui doit bien nous surprendre , c'est qu'on prétende s'ériger en censeur des mœurs et en réformateur des relâchements du siècle, sans penser d'abord à réformer le relâchement où l'on vit soi-même à l'égard de la mortification des sens : n'est-ce pas là l'illusion de nos jours ? Crier sans cesse contre des doctrines prétendues relâchées ; gémir à toute occasion et avec amertume de cœur sur le renversement de la morale évangélique ; s'élever avec zèle, ou plutôt avec emportement et avec aigreur, contre ceux qu'on veut faire passer pour destructeurs de cette sainte morale ; les regarder comme l'ivraie semée dans le champ de l'Eglise, et former de pieux desseins pour arracher ce mauvais grain : Vis, imus, et colligimus ea (Matth., XIII, 28.) ? ne parler que de sévérité, et en lever partout l'étendard, dans les discours publics, dans les entretiens particuliers, dans les tribunaux de la pénitence, dans les ouvrages de piété, voilà les beaux dehors et les spécieuses apparences dont une infinité d'âmes, ou simples, ou prévenues, se laissent fasciner les yeux. Mais quand, moins crédule et moins facile à confondre les apparences avec la vérité, on vient à percer au travers de ces dehors, et que, prenant la règle de Jésus-Christ, on juge des paroles par les œuvres : A fructibus eorum cognoscetis eos (Matth., VII, 16), que trouve-t-on ? des gens sévères, ou réputés tels, mais en même temps bien pourvus de toutes choses, et ayant grand soin de l'être ; des gens sévères, mais en même temps répandus dans le monde, et dans le plus beau monde, pour en goûter tous les agréments ; des gens sévères, mais n'étant toutefois ennemis ni des divertissements profanes, ni des conversations plaisantes et enjouées, ni des bons repas ; disons en deux mots, des gens de la dernière sévérité dans leurs leçons, mais de la dernière indulgence dans leurs exemples ; anges dans leurs maximes, mais hommes, et très hommes , dans leur conduite. Ce n'est pas qu'ils ne veuillent que cette sévérité, qu'ils prêchent avec tant d'emphase, soit mise en pratique, mais par d'autres, et non par eux : comme maîtres et comme docteurs, ils s'en tiennent à l'instruction, et se déchargent sur leurs disciples de l'exécution.

 

Ah ! mes chers auditeurs, ne nous trompons point, et mettons-nous bien en garde contre les artifices et les prestiges de notre chair ; tout animale et toute matérielle qu'elle est, il n'est rien de plus subtil et de plus adroit à défendre ses intérêts : ne perdons jamais de vue le grand modèle que nous propose notre mystère, et faisons à notre égard ce que fit Pilate à l'égard des Juifs, lorsqu'après la flagellation de Jésus-Christ, il le leur présenta dans l'état le plus pitoyable, et qu'il leur dit : Voilà l'homme : Ecce homo (Joan., XIX, 5.) ; disons-le nous à nous-mêmes en le contemplant : Voilà l'homme, et voilà le Dieu de mon salut ; voilà par où il m'a sauvé, et par où je me sauverai. Je puis me promettre que nous en serons touchés, que nous nous sentirons animés d'une ardeur et d'une résolution toute nouvelle, pour ruiner en nous l'empire de la chair, afin de ne plus vivre désormais que de cet esprit de grâce qui nous élèvera à Dieu, et qui, par les saintes rigueurs de la mortification évangélique, nous conduira à la béatitude éternelle , que je vous souhaite.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA FLAGELLATION DE JÉSUS-CHRIST

 

Christ à la colonne adoré par les Saints, Cranach L'Ancien

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 12:30

Il nous suffit de contempler Jésus dans le mystère de sa flagellation : nous l'y verrons chargé d'opprobres pour nos péchés ; mais beaucoup moins confus de ses opprobres que de nos péchés. Hé ! mon Frère, s'écrie saint Chrysostome, si tu ne rougis pas de ton crime, rougis au moins de la honte qui retombe sur ton Sauveur ! si tu ne rougis pas de pécher, rougis au moins de ne pas rougir en péchant.

BOURDALOUE

 

 

Tunc apprehendit Pilatus Jesum, et flagellavit.

Alors Pilate fit prendre Jésus, et le fit flageller . (Saint Jean, chap. XIX, 1.)

 

Quel nouveau spectacle, Chrétiens, et quelle sanglante scène ! on conduit notre divin Maître dans le prétoire de Pilate ; on le dépouille de ses habits et on l'attache à une colonne ; outre une nombreuse multitude de peuple qui l'investit de toutes parts, une troupe de soldats s'assemble autour de lui ; ils sont armés de fouets, et ils se disposent à le déchirer de coups ! Pourquoi ce supplice, et qui l'a ainsi ordonné ? Comment s'y comportent les ministres du juge qui vient de rendre cet arrêt, et comment est-il exécuté ? c'est ce que je me suis proposé de vous mettre aujourd'hui devant les yeux, et ce qui doit faire également le sujet de votre compassion et de votre instruction.

 

Pour y procéder avec ordre, observez, s'il vous plaît, qu'un supplice devient surtout rigoureux et par la honte qui l'accompagne, et par l'excès de la douleur qu'il est capable de causer : en quoi l'esprit et le corps ont tout à la fois à souffrir ; car la honte afflige l'esprit, et la douleur fait impression sur les sens et tourmente le corps. L'une et l'autre ne se trouvent pas toujours jointes ensemble. La honte d'un supplice peut être extrême, sans qu'il y ait nulle douleur à supporter ; ou la douleur en peut être très cuisante et très violente, sans qu'il s'y rencontre nulle confusion à soutenir. Mais voici ce que je dis touchant cette cruelle flagellation, où le Sauveur des hommes se vit condamné : c'est que ce fut tout ensemble un des supplices de sa passion, et le plus honteux, et le plus douloureux. Cette honte qu'il a voulu subir, tout Dieu qu'il était, nous apprendra à corriger les désordres d'une honte criminelle, qui souvent nous arrête dans le service de Dieu, et à nous prémunir contre le péché de la honte salutaire que nous en devons concevoir. Et cette douleur, qu'il a voulu ressentir dans tous les membres de son corps nous animera à retrancher en nous les délicatesses de la chair, et à nous armer contre nous-mêmes des saintes rigueurs de la pénitence chrétienne. Voilà en deux mots tout le fond de cet entretien, et tout le fruit que vous en devez retirer.

 

C'était une nécessité bien dure pour Pilate, que celle où l'obstination des Pharisiens semblait le réduire, de trahir ses propres sentiments et d'agir contre tous les reproches de son cœur, en livrant à la mort un homme dont il ne pouvait ignorer la bonne foi, la candeur, la sainteté, et en l'abandonnant à toute la violence de ses ennemis. Il est vrai que ce gouverneur, revêtu de l'autorité du prince, pouvait repousser la violence par la violence ; que, dans la place qu'il occupait, et dans le crédit que lui donnait son rang, il ne tenait qu'à lui de se déclarer le protecteur du Fils de Dieu, de l'enlever d'entre les mains de ses persécuteurs, et de le mettre à couvert de leurs poursuites. Il est même encore vrai que non seulement il le pouvait, mais qu'il le devait ; car il était juge, et, selon toutes les lois de la justice, il devait défendre le bon droit contre l'iniquité et l'oppression. Mais il craignait le bruit ; et, par un caractère de timidité si ordinaire jusque dans les plus grandes dignités, il ne voulait point faire d'éclat : mais il craignait les Juifs ; et, par une lâche prudence, il ne voulait pas s'exposer à une émeute populaire : mais il craignait l'empereur, dont on le menaçait ; et, par un vil intérêt, il ne voulait pas qu'on pût l'accuser devant lui et le citer à son tribunal.

 

Quelle est donc sa dernière ressource, et quel est enfin l'expédient qu'il imagine pour fléchir des cœurs que rien jusque-là n'avait pu toucher ? Ah ! mes Frères, l'étrange moyen ! et fut-il jamais une conduite plus bizarre, et plus opposée à toutes les règles de l'équité ? C'est de condamner Jésus-Christ au fouet, dans l'espérance de calmer ainsi les esprits, et de leur inspirer des sentiments plus humains, en leur donnant une partie de la satisfaction qu'ils demandaient : car telle est la vue de Pilate. Quoi qu'il en soit, la sentence est à peine portée, qu'on en vient à la plus barbare exécution. Des mains sacrilèges saisissent cet adorable Sauveur, lui déchirent ses vêtements et les arrachent, le lient à un infâme poteau, et se préparent à lui faire éprouver le traitement le plus indigne et le plus sensible outrage. Que vous dirai-je, Chrétiens ? et quelle horreur ! Ce corps virginal, ce corps formé par l'Esprit même de Dieu dans le sein de Marie, ce temple vivant de la divinité, est exposé aux yeux d'une populace insolente et à la risée d'une brutale soldatesque. Il l'avait prédit, ce Verbe éternel ; il nous l'avait annoncé par son prophète, lorsque parlant à son Père, il lui disait : Quoniam propter tesustinui opprobriam, operuit confnsio faciem meam (Psal., LXVIII, 8.) ; C'est pour vous, mon Père, c'est pour la gloire de votre nom, que j'ai voulu être comblé d'opprobre, et couvert de honte et de confusion.

 

Arrêtons-nous là, mes chers auditeurs, et sans nous retracer des images dont les âmes innocentes pourraient être blessées, considérons seulement et en général cette honte du Fils de Dieu, comme le modèle ou le correctif de la nôtre. Dieu nous a donné la honte, ou du moins il nous en a donné le principe, pour nous servir de préservatif contre le péché. La honte est une passion que la nature raisonnable excite en nous, et qui nous détourne, sans que nous remarquions même ni comment ni pourquoi, de tous les excès et de toutes les impuretés du vice. C'est une bonne passion en elle-même ; mais elle n'est que trop sujette à se dérégler dans l'usage que nous en faisons ; et il nous fallait un aussi grand exemple que celui de Jésus-Christ pour en corriger le désordre. Or je prétends que jamais cet Homme-Dieu ne nous a fait là-dessus de leçon plus solide ni plus touchante que dans le mystère que nous méditons.

 

En effet, Chrétiens, savez-vous d'où lui vient cette confusion, qui le jette dans le plus profond accablement ? Ah ! mon Père, ajoute-t-il, comme il n'y a que vous qui connaissiez toute la mesure de mes humiliations, il n'y a que vous qui, par les lumières infinies de votre sagesse, en puissiez bien pénétrer le fond et découvrir le véritable sujet : Tu scis improperium meum et confusionem meam (Psal. LXVIII, 20.). Les hommes en ont été témoins, ils en ont vu les dehors, et rien de plus ; mais vous, Seigneur, sous ces apparences et ces dehors qui n'en représentaient que la plus faible partie, vous avez démêlé ce qu'il y avait de plus intérieur et de plus secret, et vous en avez eu une science parfaite : Tu scis confusionem meam. Or cette science des opprobres de Jésus-Christ, et de la Confusion qui lui a couvert le visage, c'est, mes Frères, ce qu'il a plu à Dieu de nous révéler. Qu'est-ce donc ici qui l'humilie, et de quoi a-t-il plus de honte ? est-ce d'avoir à subir un châtiment qui ne convient qu'aux esclaves ? en consentant à prendre la forme d'un esclave, il a consenti à en porter toute l'ignominie. Est-ce d'être fouetté publiquement comme un scélérat ? il proteste lui-même qu'il y est tout disposé, et il est le premier à s'y offrir, parce que c'est pour obéir à son Père, parce que c’est pour honorer la majesté de son Père, et pour satisfaire à sa justice : Quoniam ego in flagella paratas sum (Psal., XXXVII, 18.). Est-ce même de l'état où il paraît devant tout un peuple qui l'insulte, et qui lance contre lui les traits de la plus piquante et de la plus maligne raillerie ? voila, je l'avoue, voilà de quoi faire rougir le ciel, et de quoi confondre le Dieu de l'univers : mais j'ose dire après tout, et vous devez, mon cher auditeur, le reconnaître, que ce qui redouble sa confusion, que ce qui la lui fait sentir plus vivement, que ce qui la lui rend presque insoutenable, ce n'est point tant l'insolence des Pharisiens que la nôtre. Expliquons nous, et confondons-nous nous-mêmes.

 

Oui. Chrétiens, de quoi il rougit, ce Saint des saints et ce Dieu de pureté, c'est de vos discours licencieux, c'est de vos paroles dissolues, c'est de vos conversations impures, c'est de vos libertés scandaleuses, c'est de vos parures immodestes, c'est de vos regards lascifs, c'est de vos attachements sensuels, de vos intrigues, de vos rendez-vous, de vos débauches, de vos débordements, de toutes vos abominations. Car c'est la ce qu'il se rappelle dans cet état de confusion où le texte sacre nous le propose : c'est de tout cela qu'il est chargé, de tout cela qu'il est responsable a la justice divine, et de tout cela, encore une fois, qu'il rougit, d'autant plus que, par l'affreuse corruption du siècle et par l'audace la plus effrénée du libertinage, vous en rougissez moins.

 

De là, mes Frères, j'ai dit que nous devions apprendre a réformer en nous les pernicieux effets de la honte, et a sanctifier même cette passion pour l’employer a notre salut. Quel en est te dérèglement et l'abus le plus ordinaire ? Je le réduis à deux chefs : l’un, de nous porter sans honte à ce qu il y a pour nous de plus honteux ; et l'autre de nous éloigner par honte de ce qui devrait faire noire gloire aussi bien que notre bonheur. Voici ma pensée, qui n'est pas difficile à comprendre. Nous n'avons nulle honte de commettre le mal, et nous en avons de pratiquer le bien ; d'où il arrive que nous péchons le plus ouvertement, et que souvent même nous nous en glorifions : au lieu que, s'il s'agit d'un exercice de piété, de charité, de quelque bonne œuvre que ce puisse être, ou nous l'omettons lâchement, parce qu'un respect tout humain nous retient ; ou nous ne nous en acquittons qu'en particulier et secrètement, parce que nous craignons la vue du public et les vains jugements du monde. Deux dispositions les plus dangereuses et les plus mortelles. Car il n'est pas possible que j'entre jamais dans la voie de Dieu, ou que je m'y établisse, si je ne me défais de cette honte mondaine, qui me retire de l'observation de mes devoirs et de la pratique des vertus chrétiennes ; et si je n'acquiers cette honte salutaire, qui nous sert de barrière contre le vice, et qui nous en détourne. Il faut donc que je bannisse l'une de mon cœur, et que j'y entretienne l'autre. La honte du bien, dit saint Bernard, est en nous la source de tout mal, et la honte du mal est le principe de tout bien. Par conséquent je dois apporter tous mes soins à maintenir celle-ci dans mon âme, et combattre celle-là de toutes mes forces. Sans la honte du péché, ajoute saint Chrysostome, bien loin de pouvoir me conserver dans l'innocence, je ne puis pas même, après ma chute, me relever par la pénitence : pourquoi ? parce que la pénitence est fondée sur la honte du péché, ou plutôt parce que la pénitence n'est autre chose qu'une sainte honte, et qu'une horreur efficace du péché. D'où il s'ensuit que c'est par la honte du péché que je dois retourner à Dieu, que je dois me rapprocher de Dieu, que je dois commencer l'ouvrage de ma réconciliation avec Dieu.

 

Mais, du reste, en vain le commencerai-je par là, si, dans un assemblage monstrueux, je joins à la honte du péché une fausse et damnable honte de la vertu. C'est alors que ce que j'aurai commencé, je ne l'achèverai jamais, puisque cette honte de la vertu ruinera dans moi tout ce qu'aura produit la honte du péché. Ainsi, mes Frères, voulons-nous consommer l'œuvre de notre sanctification ; outre la honte du péché, revêtons-nous des armes du salut, c'est-à-dire d'une fermeté, d'une intrépidité, d'une hardiesse, et, selon l'expression de saint Augustin, d'une sage et pieuse effronterie dans le culte de notre Dieu et dans l'accomplissement de tous les devoirs de la religion. Règles divines et admirables enseignements que nous recevons de Jésus-Christ même. Tournons encore vers lui les yeux, et formons-nous sur un modèle si parfait.

 

Le voilà, ce Sauveur adorable, dans la plus grande confusion ; et ce qui fait sa honte, ce sont les péchés d'autrui : comment n'en aurais-je pas de mes propres péchés ? Ah ! malheureuse, disait le Seigneur par la bouche de Jérémie à une âme pécheresse : où es-tu réduite ? Je ne vois plus de ressource pour toi. Ton iniquité est montée à son dernier terme, et je suis sur le point de t'abandonner : pourquoi ? parce que tu t'es fait un front de prostituée, et que tu ne sais plus ce que c'est que de rougir : Frons meretricis facta est tibi; noluisti erubescere (Jerem., III, 3.). Tandis que tu n'étais pas tout à fait insensible à la honte que devaient te causer tes crimes et tes dissolutions, j'espérais de toi quelque chose, car cette honte était encore un reste de grâce, et un moyen de conversion : mais maintenant que tu l'as perdue, qui sera capable de te ramener de tes égarements, et qui pourra te rappeler à ton devoir ? La crainte de mes jugements est bien forte ; mais elle s'efface en même temps que la honte du péché. La vue de l'éternité est bien terrible ; mais on n'y pense guère dès qu'une fois on a déposé toute honte du péché. Ma grâce est toute-puissante ; mais elle ne l'est que pour inspirer la honte et la douleur du péché. De là, tant que tu demeureras sans honte et sans pudeur dans ton péché, il n'y a rien à attendre de ta part, et tes plaies deviennent incurables : Frons meretricis facta est tibi ; noluisti erubescere.

 

En effet, Chrétiens, s'il y a en cette vie un état de perdition et presque sans remède, c'est celui d'un pécheur qui ne rougit plus de son péché ; et la raison qu'en apporte saint Bernard devrait faire trembler tout ce qui se rencontre ici de pécheurs disposés à tomber en ce fatal endurcissement. C'est, dit-il, que la honte du péché est la dernière de toutes les grâces que Dieu nous donne ; et qu'après cette grâce, il n'y a presque plus de ces grâces de salut, de ces grâces spéciales et de choix, qui font impression sur une âme criminelle, et qui, par une espèce de miracle, la retirent de l'abîme où elle est plongée. L'expérience nous le fait assez connaître, et la chose ne se vérifie que trop par la nature même des grâces. Si donc, reprend saint Bernard, je ne ressens plus cette grâce de honte et cette confusion qui me troublait autrefois à la présence du péché, et qui m'en éloignait, j'ai lieu de craindre que je ne sois bien près de ma ruine, et que Dieu ne me laisse dans un funeste abandonnement.

 

Mais le moyen de réveiller en moi cette grâce si précieuse, et d'y exciter cette confusion ? Jésus-Christ, mes Frères, Jésus-Christ : c'est celui qui la ranimera, qui la ressuscitera, qui la fera renaître, quand elle serait pleinement éteinte. Il nous suffit de le contempler dans le mystère de sa flagellation. Nous l'y verrons chargé d'opprobres pour nos péchés ; mais beaucoup moins confus de ses opprobres que de nos péchés. Hé ! mon Frère, s'écrie saint Chrysostome, si tu ne rougis pas de ton crime, rougis au moins de la honte qui retombe sur ton Sauveur ! si tu ne rougis pas de pécher, rougis au moins de ne pas rougir en péchant. Car le plus grand sujet de honte pour toi, c'est de n'en avoir point ; et peut-être cette honte ne te sera pas inutile, puisqu'elle servira à faire revivre en toi la honte du péché même, et qu'à force d'avoir honte de n'en point avoir, tu pourras en avoir dans la suite et la reprendre.

 

Qui doute, Chrétiens, que cette pensée ne pût être un frein pour le plus déterminé pécheur, s'il faisait dans son péché cette réflexion : Ce péché que je commets a fait rougir mon Dieu. Il en a porté la tache, et cette tache, avec laquelle il s'est présenté aux yeux de son Père, lui fut, tout innocent qu'il était, plus ignominieuse que tous les coups de fouet dont l'accablèrent ses bourreaux. Combien plus encore doit-elle donc me défigurer devant Dieu ? Ce qui fut plus sensible à Jésus-Christ dans le prétoire, ce n'était pas d'être exposé à la vue des Pharisiens, ni d'être en butte à tous leurs traits, mais de paraître avec mon péché devant tous les esprits bienheureux et toute la cour céleste. Or n'ai-je pas actuellement moi-même tout le ciel pour témoin, et n'est-ce pas assez pour me confondre, et pour arrêter par cette utile confusion le cours de mon désordre ? Puis-je me réserver à cette confusion universelle du jugement de Dieu, où ma honte éclatera aux yeux du monde entier ? et ne vaut-il pas mieux en rougir présentement avec fruit dans le souvenir d'un Dieu Sauveur attaché à la colonne, que d'en rougir inutilement, et avec le plus cruel désespoir, aux pieds d'un Dieu vengeur assis sur le tribunal de sa justice ?

 

Mais ce n'est pas tout. La même honte que nous n'avons pas pour le mal, ou que nous travaillons à étouffer, nous l'avons pour le bien, et nous manquons de courage pour la surmonter. Du moins en rougissant du péché, nous rougissons également de la vertu. De sorte que, par l'alliance la plus réelle, quoique la plus bizarre et la plus injuste, c'est pour nous tout à la fois une confusion, et de mal faire, et de bien faire : de mal faire, parce qu'il nous reste toujours un certain fonds de conscience ; de bien faire, parce que nous nous conduisons selon les idées du monde, et que nous en craignons la censure. Etat le plus ordinaire dans le christianisme. Les libertins déclarés n'ont honte que du bien qu'il faudrait faire, et qu'ils ne font pas ; les âmes vertueuses de profession et les vrais chrétiens n'ont honte que du vice, qui leur est odieux, et dont ils tâchent de se préserver ; mais la plupart, ni libertins tout à fait, ni tout à fait chrétiens, marchent entre ces deux extrémités, et réunissent dans eux l'une et l'autre honte, la honte du péché et la honte de la piété.

 

En combien d'occasions où Dieu exige que nous fassions connaître ce que nous sommes, nous tenons-nous renfermés dans nous mêmes, et déguisons-nous nos sentiments, parce que nous avons de la peine a prendre parti contre telles personnes, et que nous ne voulons pas avoir a essuyer leurs raisonnements et leurs discours ? Combien de fois parlons-nous et agissons-nous contre toutes nos lumières, et tous les reproches de notre cœur, parce que nous n'avons pas la force de parler et d'agir autrement que celui-ci ou que celui-là avec qui nous vivons, et que nous n'avons pas l'assurance de contredire ? Un homme a de la religion, il a la crainte de Dieu, et il voudrait vivre régulièrement et chrétiennement ; il voudrait assister au sacrifice de nos autels avec respect ; il voudrait fréquenter les sacrements avec plus d'assiduité ; il voudrait accomplir avec fidélité tous les préceptes de l'Eglise ; il voudrait s'opposer à certains scandales, abolir certaines coutumes, réformer certains abus ; il voudrait s'absenter de certains lieux, rompre certaines liaisons, et s'engager en d'autres sociétés moins dangereuses et plus honnêtes ; la grâce le presse, et il en voudrait suivre les mouvements ; il le voudrait, dis-je, et il se sent de l'attrait à tout cela : mais toutes ces bonnes volontés et tous ces bons désirs, que faut-il pour les déconcerter et les renverser ? Une répugnance naturelle à se distinguer et à paraître plus religieux et plus scrupuleux qu'on ne l'est communément à son âge et dans sa condition.

 

Honte du service de Dieu, où n'es-tu pas répandue, et quels dommages ne causes-tu pas jusque dans les plus saintes assemblées ? Combien de desseins fais-tu avorter ? combien de vertus retiens-tu captives ? en combien d’âmes détruis-tu l'esprit de la foi, et combien de gloire dérobes-tu à Dieu ? Or il faut, Chrétiens, triompher de cet ennemi ; il faut, à quelque prix que ce puisse être, vaincre cette honte, non seulement parce qu'elle est indigne du caractère que nous portons, mais parce qu'elle est absolument incompatible avec les maximes et les règles du salut. Et pour nous fortifier dans ce combat, quel exemple est plus puissant que celui de Jésus-Christ ? Car si toute la honte, disons mieux, si toute l'infamie de sa flagellation n'a pu ralentir son zèle pour l'honneur de son Père, ne serais-je pas bien condamnable de trahir la cause de mon Dieu par la crainte d'une parole, d'un mépris que j'aurai à supporter de la part du monde ? Si je dois rougir, ce n'est point des railleries du monde, ce n'est point des jugements et des rebuts du monde ; mais c'est de ma lâcheté, c'est de mon infidélité, c'est de mon ingratitude, quand un aussi vain respect que celui du monde me fait oublier tous les droits et tous les intérêts du Dieu que j'adore, d'un Dieu à qui j'appartiens par tant de titres, d'un Dieu à qui je suis redevable de tant de biens, d'un Dieu, le souverain auteur de mon être, et mon unique fin, mon unique béatitude dans l'éternité.

 

N'insistons pas davantage sur un point si évident par lui-même, et passons à un autre, où nous devons considérer la flagellation du Fils de Dieu, non plus comme un des supplices les plus honteux, mais les plus douloureux, et apprendre de là à retrancher par la mortification évangélique toutes les délicatesses des sens et de la chair : c'est la seconde partie.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LA FLAGELLATION DE JÉSUS-CHRIST

 

 

Christ à la colonne, Memling

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21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 12:30

En effet, c'est une illusion de penser que nous n'ayons à répondre que de nos propres péchés. Les péchés d'autrui, selon la part que nous y avons, doivent entrer dans le compte que Dieu exigera de nous, ou, pour mieux dire, les péchés d'autrui nous deviennent propres et personnels, dès là que nous y participons, que nous y coopérons, que nous les favorisons, et que nous les fomentons.

BOURDALOUE

 

 

Qu'il se trouve des hommes assez perdus d'honneur et de conscience pour s'attaquer à l'innocence même, et pour imaginer contre elle des faits supposés et de prétendus sujets d'accusation, c'est une des iniquités les plus criantes et les plus dignes de toute la sévérité des lois. Mais que ceux encore que Dieu a établis et qu'il a revêtus de sa puissance pour réprimer cette audace, l'autorisent au contraire, l'appuient, et lui laissent la liberté d'inventer tout ce qui lui plaît, et de l'avancer impunément, c'est le comble et le dernier degré de l'injustice. Or voilà néanmoins ce que fait Caïphe dans la cause de Jésus-Christ, et à l'égard des faux témoins qu'on a subornés contre cet Homme-Dieu. Comme grand prêtre et souverain juge, Caïphe devait les rejeter et même les châtier. Il était évident que leurs témoignages se contredisaient, et par conséquent qu'il y avait dans leurs dépositions de l'imposture et du mensonge. Il n'ignorait pas au nom de qui ils parlaient, ni de qui ils étaient les ministres et les suppôts. Il savait qu'ils étaient gagnés par les ennemis du Fils de Dieu pour l'opprimer et le faire périr. Mais bien loin de s'opposer à une si damnable entreprise et de confondre ces calomniateurs, il les reçoit favorablement, il les écoute, il se joint à eux, et tire de la bouche du Sauveur du monde un aveu touchant sa divinité, dont il lui fait un crime, et qu'il traite de blasphème : Quid adhuc desideramus testes? Audistis blasphemiam (Marc, XIV, 63, 64.) ? Pourquoi tout cela ? C'est qu'il entrait dans toutes les passions des scribes et des docteurs de la Synagogue ; c'est qu'il était lui-même d'intelligence avec les Pharisiens, piqués contre Jésus-Christ ; c'est qu'il était bien aise d'avoir, pour le condamner, des preuves au moins apparentes, s'il ne pouvait en avoir de réelles et de solides. Voilà ce qui le rend si facile à entendre tout, quelque peu de vraisemblance qu'il y découvre, et quelque persuadé qu'il soit que ce sont autant d'inventions et autant d'artifices de la plus injuste et de la plus violente cabale.

 

De là, Chrétiens, que viens-je vous enseigner, ou de quelle erreur voudrais-je aujourd'hui vous détromper ? Appliquez-vous à ce point de morale, dont on n'a pas dans le monde une idée assez juste, et sur lequel on suit sans scrupule des principes très contraires néanmoins et à la raison et à la religion. D'être auteur de la médisance, de la faire et de la débiter, c'est ce que les âmes vraiment chrétiennes reconnaissent aisément pour une injustice et un désordre ; mais d'y prêter seulement l'oreille, de s'y rendre attentif, de ne l'arrêter pas, autant qu'il est possible, et de n'y former nulle opposition, c'est ce qu'on ne pense guère à se reprocher, et ce qu'on met au rang des fautes les plus légères et les plus pardonnables. Or je soutiens que, sans rien dire soi-même au désavantage du prochain, on peut toutefois, par la seule attention qu'on donne à la médisance, pécher très gravement. Je soutiens que si c'est un crime d'attaquer et de blesser l'honneur d'autrui, c'en est pareillement un de ne le défendre pas de tout son pouvoir, et de ne le pas maintenir. Je soutiens que Dieu, là dessus, nous a chargés de l'intérêt de nos frères ; que c'est un devoir, sinon de justice, au moins de charité ; et que de manquer à cette loi indispensable, c'est désobéir à un précepte divin, et par là même s'exposer à une éternelle damnation.

 

Je le soutiens, dis-je ; et voilà pourquoi saint Bernard disait de la médisance que c'est un étrange mal et bien funeste, puisque du même trait elle cause la mort à trois personnes : à celui qui médit, à celui dont on médit, à celui devant qui l'on médit ; à celui qui médit, et qui perd la vie de l'âme en perdant la grâce de Dieu ; à celui dont on médit, et qui perd en quelque sorte la vie civile en perdant la réputation qui l'y entretenait ; enfin, à celui devant qui l'on médit, et qui perd la charité, dès là qu'il en abandonne les intérêts et qu'il permet qu'elle soit violée en sa présence. Tout ceci ne souffre nulle contestation : mais il faut le développer encore davantage, afin que vous en ayez une intelligence plus parfaite, et que vous sachiez précisément à quelles règles vous pouvez dans la pratique et vous devez vous en tenir.

 

Je dis donc qu'il y a, selon la distinction commune, trois états différents, soit à l'égard de celui qui fait la médisance, ou à l'égard de celui qui l'écoute : un état de supériorité, un état d'égalité et un état de dépendance. Comme je ne veux rien outrer, je conviens que chaque état a ses obligations particulières, et que dans tous ce ne sont pas les mêmes. Suis-je dans un état supérieur à celui du médisant, je puis lui fermer la bouche, je puis user de mon autorité pour interrompre ses discours trop libres et trop mordants ; je puis hautement lui déclarer et lui faire entendre que ce n'est point par de tels entretiens qu'on me peut plaire, que le christianisme nous les interdit, et qu'étant chrétien, je ne suis pas dans une disposition à les tolérer ni à les agréer. Suis-je dans un état égal, ou même dans un état inférieur ; je n'ai pas le même droit alors de résister en face à la médisance, ni de m'élever aussi ouvertement contre elle et avec la même force : mais je puis au moins me taire, et par mon silence la laisser tomber ; mais je puis, par un air grave et sérieux, donner à connaître que je n'entre point en tout ce qu'on me dit, et que je n'y prends point de part ; mais je puis, par des propos éloignés, couper la conversation, et peu à peu, la tourner sur d'autres sujets ; mais je puis même, par quelques paroles d'excuse, couvrir les choses, les justifier ou les adoucir : car c'est ainsi que la charité le demande. Sans cela, que fais-je ? Je me rends responsable devant Dieu de la médisance qui se commet, et j'en fais retomber sur moi l'iniquité. Voulez-vous savoir comment ? vous n'aurez pas de peine à le comprendre.

 

En effet, c'est une illusion de penser que nous n'ayons à répondre que de nos propres péchés. Les péchés d'autrui, selon la part que nous y avons, doivent entrer dans le compte que Dieu exigera de nous, ou, pour mieux dire, les péchés d'autrui nous deviennent propres et personnels, dès là que nous y participons, que nous y coopérons, que nous les favorisons, et que nous les fomentons. Or, écouter la médisance, je dis l'écouter sans nécessité, sans contrainte, d'une volonté délibérée et d'un plein gré, quand on pourrait ou la repousser directement et la combattre, ou l'éluder adroitement et la détourner, c'est sans contredit y participer, c'est y coopérer, c'est la favoriser et la fomenter.

 

Pour vous en convaincre d'une manière sensible, supposons l'esprit de charité tellement répandu dans le christianisme, que la médisance y trouvât partout des contradictions ; que la plupart des chrétiens fussent prévenus de telle sorte et disposés contre elle ; que personne ou presque personne ne lui applaudît ; que le pouvoir des maîtres fût employé à la bannir de devant eux et à la proscrire ; que la fermeté des égaux et même des inférieurs fût assez constante pour y témoigner toujours une certaine répugnance, pour y former toujours quelque obstacle, du moins pour n'y consentir jamais, pour ne l'approuver jamais, pour ne marquer jamais ni par aucun signe, ni par aucune parole, qu'on y fît réflexion, et que l'esprit y fût appliqué : ah ! mes Frères, dites-moi s'il y aurait alors beaucoup de médisants, et même dites-moi s'il y en aurait un seul ? La médisance ne trouvant point d'auditeurs favorables , ne recevant point d'éloges capables de la flatter et de l'exciter, se voyant au contraire ou honteusement rebutée, ou reçue froidement et négligée, oserait-elle se produire ? le chercherait-elle avec tant d'ardeur ? serait-elle si hardie et si téméraire à s'expliquer ? n'y garderait-elle pas plus de mesure ? n'y apporterait-elle pas plus de réserve ? Il est donc incontestable que ce qui l'entretient et ce qui lui donne dans le monde un empire si étendu, c'est le bon accueil qu'on lui fait, et l'accès facile qu'elle rencontre dans tous les lieux où elle se présente. D'où il s'ensuit que la malice n'en doit pas être seulement attribuée aux médisants, mais qu'elle doit rejaillir encore sur tous ceux qui contribuent à la médisance, en lui laissant une pleine liberté de lancer ses traits sur qui il lui plaît, et comme il lui plaît. C'est pour cela que saint Jérôme s'écriait : Heureuse la conscience qui ne s'attache ni à voir le mal, ni à l'entendre : Felix conscientia quœ nec audit, nec aspicit malum. Prenez garde, je vous prie : ce saint docteur ne se contente pas de dire qu'heureux est l'homme qui ne se porte point à mal parler, mais qui ne s'arrête pas même à écouter le mal : pourquoi ? parce qu'il se met par là à couvert d'un des péchés les plus graves, et en même temps les plus ordinaires.

 

Non, mes chers auditeurs, rien de plus ordinaire que d'avoir les oreilles ouvertes à tous les mauvais contes qui se font, et à toutes les histoires scandaleuses qui se récitent. Je puis ajouter que c'est aussi l'un des plus dangereux écueils où l'innocence soit exposée dans le commerce du monde. Une âme chrétienne et prévenue des sentiments de la religion peut avec moins de difficulté s'abstenir de la médisance, et ne la prononcer jamais elle-même ; mais de ne la pas entendre, c'est de quoi il n'est pas possible de se garantir sans une vigilance continuelle sur soi-même, et sans une résolution à l'épreuve de toutes les occasions et de toutes les tentations. De là vient, pour peu qu'on ait la conscience timorée, qu'il est rare que nous allions parmi le monde, et que nous nous mêlions dans les conversations du monde, sans en revenir avec quelque scrupule dans le cœur sur ce qui s'est dit du prochain, et sur la manière dont nous l'avons reçu. Je me trompe. Chrétiens , et je devrais plutôt reconnaître, en le déplorant, qu'il est rare et très rare que nous ayons là-dessus le moindre scrupule, parce que la plupart ne comptent pour rien d'écouter une médisance, et d'en raisonner avec celui qui la fait. On l'écoute avec indifférence, on l'écoute avec complaisance, on l'écoute par un respect humain et par une lâche condescendance, on l'écoute par une vaine curiosité ; et ce qu'il y a de plus criminel enfin, on l'écoute par une secrète malignité. Autant de caractères ou autant de degrés à distinguer dans le péché dont on se charge devant Dieu. Suivez-moi.

 

On l'écoute avec indifférence. Comme on n'est guère touché des intérêts du prochain, et qu'on ne se croit nullement engagé dans sa cause, on laisse parler chacun ainsi qu'il le juge à propos. Ce n'est pas mon affaire, dit-on, et cela ne me regarde point ; ce n'est point moi qui ai entamé cette matière; et dans tout cet entretien, je n'ai été qu'auditeur et que témoin. Sur ce beau principe, on se rassure, et l'on se tient quitte de tout. Si, dans les visites qu'on rend et qu'on reçoit, si, dans les compagnies que l'on fréquente, la charité est fidèlement observée et l'honneur d'autrui ménagé on en est bien aise, et l'on en bénit le Seigneur : mais du reste, que la médisance y vienne prendre place, que la réputation de celui-ci ou de celle-là y soit impitoyablement déchirée, on en est peu en peine : pourquoi ? parce qu'on ne peut se figurer qu'on en soit complice ; parce qu'on ne peut se mettre dans l'esprit qu'on ait sur cela d'autre obligation que de se tenir neutre, et de ne se point déclarer : comme si voyant mon frère attaqué avec violence et sur le point de périr, je pouvais sans crime l'abandonner à l'ennemi qui le poursuit, et lui refuser mon secours, lorsque je suis en état de le sauver. Il n'est pas nécessaire, pour connaître l'indignité d'une telle conduite et pour la condamner, d'avoir recours à la religion ; il suffit de consulter la loi de la nature et la raison.

 

On l'écoute avec complaisance. De tout temps la médisance a été, et est encore plus que jamais l'assaisonnement des conversations. Tout languit sans elle, et rien ne pique. Les discours les plus raisonnables ennuient, et les sujets les plus solides causent bientôt du dégoût. Que faut il donc pour réveiller les esprits, et pour y répandre une gaieté qui leur rende le commerce de la vie agréable ? Il faut que dans les assemblées le prochain soit joué, et donné en spectacle par des langues médisantes : il faut que par des narrations entrelacées des traits les plus vifs et les plus pénétrants, tout ce qui se passe de plus secret dans une ville, dans un quartier, soit représenté au naturel et avec toute sa difformité : il faut que toutes les nouvelles du jour viennent en leur rang et soient étalées successivement et par ordre. C'est alors que chacun sort de l'assoupissement où il était, que les cœurs s'épanouissent, que l'attention redouble, et que les plus distraits ne perdent pas une circonstance de tout ce qui se raconte. Les yeux se fixent sur celui qui parle ; et quoiqu'on ne lui marque pas expressément le plaisir qu'on a de l'entendre, il le voit assez par la joie qui paraît sur les visages, par les ris et les éclats qu'excitent ses bons mots, par les signes, les gestes, les coups de tête. Tout l'anime ; et se trouvant en pouvoir de tout dire, sans que personne l'arrête, où sa passion, où son imagination ne l'emporte-t-elle pas ? On ne se retire point qu'il n'ait cessé, et l'on s'en revient enfin d'autant plus content de soi, que, sans blesser, à ce qu'on prétend, sa conscience, on a eu tout le divertissement de la conversation la plus spirituelle et la plus réjouissante. Voilà ce qu'on met au nombre des amusements permis, et de quoi l'on s'imagine être en droit de goûter toute la douceur, sans que l'innocence de l’âme en soit endommagée.

 

On l'écoute par un respect tout humain et par une lâche condescendance. C'est un ami qu'on craint de choquer, c'est un maître qu'on ménage et qu'on veut flatter, c'est même un inférieur qu'on n'a pas la force de reprendre, et dont on se laisse dominer. On sait bien ce qui serait du devoir de la charité, et l'on voudrait y satisfaire ; mais l'assurance et le courage manquent. On gémit intérieurement de la contrainte où l'on est, et l'on se reproche sa faiblesse, mais on ne peut venir à bout de la surmonter. De là ce consentement forcé, mais apparent, qu'on donne à la médisance. On la condamne dans le fond du cœur ; mais, de la manière dont on y répond, il semble au dehors qu'on l'approuve ; il semble qu'on entre dans toutes les pensées du médisant, dans toutes ses idées et tous ses sentiments. Or, par là même on l'y confirme ; et bien loin de le guérir, on le perd, et l'on se perd soi-même avec lui.

 

On l'écoute par une vaine curiosité. Combien de gens veulent être informés de tout et tout savoir ! Je dis tout ce qui ne les regarde point, et qui ne les intéresse en rien. Car voici ce qu'il y a souvent de plus étrange et de plus bizarre : c'est qu'on ignore ses propres affaires, qu'on n'a nul soin de les apprendre, ni d'examiner ce qui se fait dans sa propre maison; tandis qu'on veut avoir une connaissance exacte des affaires des autres, et qu'on tient en quelque sorte registre de tout ce qu'ils font et de tout ce qui se fait chez eux. Au lieu donc de rejeter mille rapports, non seulement inutiles, mais très injurieux et très pernicieux, on en est avide, on les recherche, et l'on en recueille jusqu'aux moindres particularités. C'est ce qu'on appelle ouvertures de cœur, confidences ; et moi, c'est ce que j'appelle perfidies et médisances. C'est ce qu'on tâche de justifier par le droit de l'amitié ; et moi c'est ce que je réprouve par le droit de la charité. Et où est-elle cette charité évangélique ? comment l'accorder avec ces tours d'adresse, avec ces perquisitions, ces questions subtiles et captieuses ; avec ces longs circuits pour amener une personne dans le piège, pour lui tirer ce qu'elle a de plus caché dans l'âme, pour l'engager insensiblement à vous le révéler, pour abuser de son ingénuité, ou plutôt de sa simplicité ? Il faudrait lui enseigner à se taire, et l'on use de toutes les industries et de toutes les instances, pour lui arracher une parole qu'elle devrait retenir. Cependant on se sait bon gré d'avoir découvert telle chose qui n'est pas connue ; on en triomphe, on s'en fait un faux mérite ; et ce sera beaucoup si dans peu l’on ne la rend pas publique, et l'on ne produit pas au jour tout le mystère.

 

Achevons.

 

On l'écoute par une secrète malignité. Un homme a des précautions à prendre et des mesures à garder ; il n'aurait pas bonne grâce de s'élever hautement contre cet autre, et de déclamer contre lui ; on ne l'en croirait pas, et tout ce qu'il dirait ne ferait nulle impression ; on l'attribuerait à chagrin, à ressentiment, à prévention, à mauvaise volonté, parce qu'ils sont mal ensemble, et qu'ils ne se voient point ; parce qu'ils sont liés à des partis tout contraires, et que le monde est instruit de leur division ; parce qu'ils sont actuellement en concurrence pour un emploi, pour une charge, pour quelque avantage que ce puisse être. Mais s'il ne peut s'expliquer lui-même et s'il ne lui convient pas, qu'il lui est doux de trouver quelqu'un qui prenne sa place et qui parle pour lui ! Peut-être par bienséance en fera-t-il paraître quelque peine ; peut-être même affectera-t-il d'excuser ce qu'il entend et d'y donner un bon sens. Mais que la malignité est artificieuse ! il en dira trop peu pour une solide justification, et assez pour animer l'entretien, et pour engager encore à de plus amples détails et à de nouvelles médisances. Voilà le fruit de cette prétendue modération. Autant et mieux vaudrait-il qu'il eût ouvert son cœur, qu'il en eût suivi tous les sentiments, et qu'il eût jeté au dehors tout le fiel dont il est rempli.

 

Quoi qu'il en soit, mes Frères, préservons-nous de la médisance comme du poison le plus contagieux et le plus mortel. C'est l'idée que nous en fait concevoir le Saint-Esprit, en comparant la langue du médisant avec la langue du serpent : Acuerunt linquas suas sicut serpentis (Psal., CXXXIX, 4.). Le serpent pique ; ce n'est qu'une morsure : mais de cette morsure le venin se communique dans toutes les parties du corps. Le médisant parle ; ce n'est qu'une parole : mais bientôt cette parole retentit partout ; on se la redit les uns aux autres, et, pour user de cette figure, comme un souffle empesté, elle infecte également et toutes les bouches d'où elle sort, et toutes les oreilles où elle entre. Ne nous arrêtons point tant à examiner ce que fait le prochain, et ce qu'il ne fait pas. Si Dieu nous en a confié la conduite, veillons-y avec toute l'attention nécessaire ; mais du reste, en y observant toutes les règles d'une correction charitable, c'est-à-dire en l'avertissant, en le reprenant de lui à nous, et non en publiant ses imperfections et ses vices, ni en le décriant. S'il ne dépend point de nous et que nous n'en soyons point responsables, qu'avons-nous affaire de rechercher ses actions ? de quelle autorité entreprenons-nous de le juger et de le censurer ? Chacun devant Dieu portera son fardeau ; et c'est à chacun de penser à soi, sans vouloir étendre plus loin ses vues. Que de soins superflus dont on se délivrerait ! que de retours fâcheux qu'on s'épargnerait ! que de querelles et de démêlés qu'on préviendrait ! que de péchés qu'on éviterait ! Combien une médisance a-t-elle troublé de familles, de sociétés, de communautés ? combien a-t-elle blessé de consciences, et combien d'âmes a-t-elle damnées ? De toutes les tentations dont nous avons à nous garantir, on peut dire que celle-ci est non seulement la plus universelle, mais la plus dangereuse et la plus difficile à vaincre. L'apôtre saint Jacques en était bien persuadé, et nous n'éprouvons que trop tous les jours la vérité du témoignage qu'il en a rendu, quand il nous dit que la langue est un feu qui ne cherche qu'à s'échapper et à consumer tout : Et lingua ignis est (Jac., III, 6.) ; que c'est un mal inquiet, qui n'a point de repos et qui n'en donne point : Inquietum malum ; qu'il n'y a aucune espèce de bêtes si sauvages et si farouches que l'homme n'ait su réduire ; mais que pour la langue, on ne la peut dompter : Linguam autem nullus hominum domare potest. Et n'est-ce pas elle, en effet, qui fait tomber les plus sages, et qui entraîne les plus vertueux ? Il n'y a point d'état où elle n'ait causé des dommages infinis.

 

Au reste, mes chers auditeurs, si nous nous sentons quelquefois atteints de ses coups, et si nous nous voyons en butte à la médisance, nous avons dans Jésus-Christ un beau modèle de patience. Imitons ce divin Maître, et ne soyons point plus jaloux de notre réputation qu'il ne l'a été de la sienne. Ou ce qu'on dit de nous est vrai : reconnaissons-le humblement devant Dieu, et consentons, puisqu'il le permet, à en porter devant les hommes toute la confusion. Ou c'est sans fondement et sans raison qu'on nous accuse : contentons-nous, pour notre défense, d'une simple exposition de la vérité, et laissons au Seigneur le soin dune plus entière justification ; il y pourvoira dès cette vie même, au moins dans l'autre. Quand le monde nous comblerait de ses malédictions, nous sommes heureux si nous pouvons à ce prix mériter les bénédictions du ciel, et obtenir la gloire éternelle, que je vous souhaite.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LES FAUX TÉMOIGNAGES RENDUS CONTRE JÉSUS-CHRIST

 

Christ Accused by the Pharisees

Le Christ accusé par les Pharisiens, Duccio di Buoninsegna

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20 mars 2012 2 20 /03 /mars /2012 12:30

Or, mes Frères, le même crime que commirent a l'égard de Jésus-Christ ces faux témoins, je dis que c'est, par proportion, celui dont tous les jours nous devenons coupables nous-mêmes dans les discours que nous tenons du prochain, et dans les médisances que nous en faisons avec si peu de retenue et si peu de modération.

BOURDALOUE

 

 

Multi testimonium falsum dicebant adversus eum, et convenientia testimonia non erant.

Plusieurs rendaient de faux témoignages contre Jésus, et tous ces témoignages ne s'accordaient point. (Saint Marc, chap. XIV, 56.)

 

Le moyen que tous ces témoignages pussent convenir ensemble, puisqu'ils étaient contraires à la vérité, et qu'il n'y a que la vérité qui s'accorde bien avec elle-même, au lieu que l'imposture est tous les jours sujette à se contredire et à se démentir. Mentita est iniquitas sibi (Psal., XXVI, 12.). C'est ce que nous voyons dans ces faux témoins qui déposent contre Jésus-Christ, et qui se font ses accusateurs devant le tribunal de Caïphe, alors grand prêtre, et revêtu de l'autorité pontificale, pour connaître de toutes les causes qui concernaient la religion. Ils allèguent bien des faits, ils produisent bien des preuves, ils s'étendent en de longs discours ; mais rien ne se soutient, et ce que dit l'un, l'autre le détruit, parce qu'ils ne sont inspirés, les uns et les autres, que par l'esprit de mensonge et par la passion qui les aveugle. Cependant Caïphe les écoute, lui qui devait, en juge équitable, réprimer leur audace ; et les scribes, les pharisiens, les princes des prêtres, les anciens de la Synagogue, tous assemblés pour délibérer avec le pontife, bien loin d'imposer silence à ces imposteurs et de les confondre, se déclarent en leur faveur, et deviennent les plus zélés à les exciter : Summi vero sacerdotes et omne concilium quœrebant adversus Jesum testimonium (Marc, XIV, 55.).

 

Voilà, Chrétiens, quoique d'une manière en apparence moins odieuse, ce qui arrive encore chaque jour dans la société humaine et dans les conversations du monde. Il est vrai qu'on ne se porte pas communément à des calomnies atroces, et qu'il est moins ordinaire de vouloir, en parlant du prochain, lui imputer des crimes dont on le croit innocent ; mais, du reste, est-il rien de plus commun, dans le commerce des hommes, que de se déchirer mutuellement par de cruelles et d'injurieuses médisances ? et toutes injustes, toutes criminelles qu'elles sont, en a-t-on quelque remords dans l’âme, et s'en fait-on quelque scrupule ? Avec quelle liberté les débite-t-on ? avec quelle facilité les écoute-t-on ? Deux désordres dignes de tout le zèle évangélique, et contre lesquels je ne puis ici m'élever avec trop de force. C'est aussi de quoi je prétends vous entretenir. Désordre de la médisance dans celui qui la fait, et désordre de la médisance dans celui qui l'écoute.

 

Désordre de la médisance dans celui qui la fait, et qui souvent ne se rend pas moins coupable que ces faux accusateurs, qui témoignent contre le Fils de Dieu : ce sera la première partie. Désordre de la médisance dans celui qui l'écoute, et qui souvent n'est pas moins condamnable que ce pontife et que tout son conseil, qui prêtent si volontiers l'oreille aux accusations formées contre le Fils de Dieu : ce sera la seconde partie. La matière est d'une extrême conséquence , et mérite toutes vos réflexions..

 

C'est le caractère de l'iniquité, de se parer autant qu'elle le peut des dehors de la plus belle, de la plus exacte justice, et d'en affecter les plus belles apparences, lorsque dans le fond on en viole les règles les plus essentielles. Ainsi, quoique la mort du Fils de Dieu eût été déjà résolue dans un conseil secret des pharisiens et des pontifes, ils feignent néanmoins d'agir contre lui dans toutes les formes, et de ne manquer à aucune des procédures ordinaires. Il faut donc qu'il soit déféré au tribunal du grand prêtre, qu'il y soit accusé publiquement, et juridiquement examiné. C'est pour cela qu'on cherche des preuves ; et, dans ce jugement où la passion domine, on ne trouve que trop de délateurs et de prétendus témoins.

 

Que ne disent-ils point contre Jésus-Christ, et sous quels traits le dépeignent-ils? Cet homme dont toute la conduite fut toujours la plus droite et la plus irréprochable ; cet homme qui, dans ses paroles et dans ses actions, fut toujours la douceur même, la patience, la charité, l'humilité, la sainteté même ; cet Homme-Dieu, pour qui le font-ils passer ? pour le plus méchant des hommes, pour un perturbateur du repos public, qui veut changer le gouvernement et révolter toute la nation ; pour un usurpateur qui prétend se faire roi et ose attenter aux droits et à l'autorité du prince ; pour un impie qui blasphème la loi de Moïse, et qui parle même de renverser le temple de Dieu. Une parole qu'il a dite dans le sens le plus juste, et avec l'intention la plus pure et la plus innocente, ils la relèvent, ils l'empoisonnent, ils l'interprètent à leur gré, et lui en font un sujet de condamnation. Ne nous en étonnons pas ; c'est que ce sont des gens prévenus ; c'est qu'ils ont le cœur envenimé, et qu'ils sont remplis contre lui d'amertume. Pourvu qu'ils contentent leur haine, et qu'ils puissent venir à bout du dessein qu'ils ont formé de le perdre, rien du reste ne les arrête, et ils ne suivent que leur animosité et leur ressentiment. C'est de quoi le Prophète, s'expliquant au nom de ce divin Sauveur, se plaignait avec tant de raison : Ils ont aiguisé leurs langues, ils les ont rendues aussi subtiles et aussi pénétrantes que le glaive le mieux affilé, pour me percer des coups les plus mortels : Lingua eorum gladius acutus (Psal., LVI, 3.).

 

Or, mes Frères, le même crime que commirent a l'égard de Jésus-Christ ces faux témoins, je dis que c'est, par proportion, celui dont tous les jours nous devenons coupables nous-mêmes dans les discours que nous tenons du prochain, et dans les médisances que nous en faisons avec si peu de retenue et si peu de modération. Car prenez garde, s'il vous plaît, et faites-en avec moi la comparaison, autant qu'elle nous peut convenir. Ces accusateurs du fils de Dieu avançaient contre lui mille impostures ; et je soutiens que rien ne nous est plus ordinaire dans nos médisances que d'y ajouter des faussetés, que peut-être nous ne connaissons pas comme telles, mais qui le sont en effet, et dont nous aurions dû mieux nous instruire, pour en parler du moins avec plus d'exactitude, et pour n'y être pas trompés. Ces accusateurs du Fils de Dieu voulaient le noircir dans l'esprit de ses juges, et le faire condamner ; et vous savez que l'injustice de la médisance est de s'attaquer à la réputation d'autrui, de la détruire dans l'estime publique, et d'exposer le prochain aux mépris et aux jugements les plus désavantageux. Ces accusateurs du Fils de Dieu n'agissaient que par passion : et l'expérience de la vie nous apprend assez que le principe le plus commun de tant de médisances où l'on se porte si aisément et si impunément dans tous les états, même les plus saints, c'est une secrète passion qui nous anime et qui veut se satisfaire. Expliquons-nous, et considérons encore chacun de ces trois articles plus en détail.

 

Je sais combien la calomnie, je dis la calomnie délibérée et préméditée, nous paraît odieuse ; et je ne puis ignorer que, pour peu qu'on ait de droiture d'âme et de probité, on ne voudrait pas imaginer des titres d'accusation contre le prochain, ni lui attribuer de pures fictions comme des faits réels et comme des vérités. Ce n'est pas que nous n'en ayons vu de nos jours, et que nous n'en voyions encore des exemples en certaines rencontres et sur certains sujets. Il n'y a rien qu'un faux zèle de religion n'ait employé et qu'il n'emploie pour décréditer, non point seulement quelques particuliers, mais des sociétés entières qui s'opposent à ses progrès. Les plus évidentes suppositions ne lui coûtent plus alors à soutenir, et lui semblent suffisamment justifiées, dès là qu'elles peuvent servir à ses desseins et favoriser ses entreprises. Cependant, Chrétiens, je veux bien reconnaître que la médisance ne va pas toujours jusque-là, et que ce sont des excès dont nous avons naturellement horreur.

 

Mais voici en même temps ce que j'ose avancer, et de quoi le seul usage du monde doit pleinement nous convaincre. C'est qu'il n'y a guère de médisances où la vérité même, outre la justice et la charité, ne soit au moins blessée en quelque manière ; où elle ne soit au moins altérée, déguisée, diminuée. Combien d'histoires se racontent dans les entretiens comme des choses certaines et avérées, et ne sont néanmoins que de faux bruits et de simples imaginations ? On les croit comme on les entend, et on les répète de même. Elles deviennent communes par une démangeaison extrême qu'on a de les publier, et d'en informer toutes les personnes à qui elles ne sont point encore parvenues. S'il était question de les vérifier, quelle preuve en pourrait-on produire ? point d'autre que le récit qu'on nous en a fait à nous-mêmes ; récit aussi mal fondé que la créance que nous y avons donnée. Mais tout s'éclaircit enfin avec le temps, et l'on a la confusion d'apercevoir l'erreur dont on s'était laissé prévenir, et dont on a prévenu les autres. Je le pensais ainsi, dit-on, et j'en avais ouï parler de la sorte. Belle et solide excuse ! comme si c'était une raison suffisante pour former votre jugement et pour l'appuyer, que quelques rapports vagues et sans autorité ; comme si vous ne deviez pas savoir qu'il n'est rien de plus incertain ni de plus trompeur ; comme si la sagesse ne demandait pas d'autre examen, lorsqu'il s'agit de flétrir votre frère et de l'outrager. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que des gens, après y avoir été trompés cent fois, n'en sont dans la suite ni plus réservés, ni plus circonspects, et qu'on les trouve toujours également disposés à recevoir tous les mauvais discours qu'on leur tient, et à les répandre.

 

Accordons-leur néanmoins qu'ils ne disent rien qui dans le fond ne soit vrai : mais ce fond, qui peut être véritable, combien l'exagère-t-on ? quelles circonstances y ajoute-t-on ? sous quelles couleurs empruntées le représente-t-on ? de quels prétendus embellissements l'orne-t-on, ou plutôt le défigure-t-on ? On fait là-dessus mille raisonnements ; on en tire des conséquences ; on en veut pénétrer les motifs, les vues, les intentions, les principes les plus secrets : tout cela autant de fantômes qu'on se figure, et autant d'idées vaines et chimériques où l'esprit s'égare et se perd. Or n'est-ce pas là ce qui arrive presque sans cesse dans ces conversations où l'on met si volontiers en jeu le prochain ? et n'est-ce pas ainsi que, sans vouloir être calomniateur, et sans croire l'être, on l'est toutefois, sinon absolument, du moins en partie et sur des points très essentiels ?

 

Mais sans aller plus loin, et à se renfermer précisément dans les bornes de la médisance, je n'ai, mes Frères, qu'à vous la faire considérer en elle-même, pour vous en faire connaître l'injustice ; injustice la plus grave : pourquoi ? parce qu'elle ravit au prochain, de tous les biens naturels, le plus précieux, le plus délicat, le plus difficile et à conserver et à réparer, qui est l'honneur. Et en effet, qui ne sait pas que l'honneur, dans l'opinion du monde, est un bien du premier ordre ? Qu'est-ce qu'un homme sans honneur ? eut-il tous les autres biens, fût-il comblé de richesses, pût-il goûter dans son état tous les plaisirs, si c'est un homme noté et déshonoré, on le regarde comme le dernier des hommes. Ainsi tout ce qu'un homme du siècle oppose à l'Evangile sur le pardon des injures, qu'il se le dise à lui-même sur la médisance, et qu'il mesure son péché par les maximes qu'il établit et qu'il suit en matière de point d'honneur. Il a horreur des concussions, des usurpations violentes ou frauduleuses, des vols, des assassinats, des meurtres ; mais tout cela n'attaque, après tout, que les biens de fortune ou que la vie. Or il préfère l'honneur à tous ces biens ; d'où il s'ensuit qu'il doit donc avoir encore plus d'horreur de la médisance, que de tout cela.

 

Est-il, mes chers auditeurs (souffrez que je m'exprime de la sorte), est-il une bizarrerie pareille à la nôtre ? Nous mettons l'honneur à la tête de tous les autres biens ; nous sommes sur cet honneur sensibles à l'excès ; il n'y a rien, pour sauver cet honneur, à quoi nous ne fussions prêts de renoncer ; nous nous en déclarons hautement ; nous le témoignons dans toutes les rencontres, et la moindre atteinte faite à cet honneur est capable d'exciter dans nos cœurs les ressentiments les plus amers : mais, par une contradiction qui ne se peut comprendre, et que nous ne justifierons jamais, nous traitons de péché léger ce qui enlève aux autres ce même honneur, ce qui le ternit, ce qui le détruit. Est-ce là raisonner conséquemment ? Ou bien abandonnons ces grands principes auxquels nous paraissons si attachés, et que nous faisons tant valoir touchant l'honneur ; ou bien reconnaissons notre injustice, lorsque nous le blessons si aisément dans autrui, et que nous en tenons si peu de compte.

 

Injustice d'autant plus condamnable, que l'honneur est un bien plus délicat, un bien plus difficile à acquérir, à maintenir, à rétablir. Il n'y a qu'à voir combien il en coûte pour se faire dans le monde une bonne réputation. On n'en vient à bout qu'après de longues années d'épreuves, et des épreuves les plus critiques et les plus rigoureuses. Est-elle faite, que ne faut-il point pour s'y conformer, et pour la défendre de tout ce qui en pourrait obscurcir l'éclat ? Car cet éclat d'une réputation saine et heureusement établie, est comme la glace d'un miroir, à qui la plus faible haleine ôte dans un moment tout son lustre. Nous avons un tel penchant à croire le mal, nous sommes même si accoutumés à l'augmenter et à l'exagérer, qu'une parole suffit pour perdre un homme, une femme dans notre estime. Nous prenons cette parole dans tous les sens, et toujours dans les plus mauvais, parce que c'est la perversité naturelle de notre cœur qui nous la fait interpréter. De sorte que la meilleure réputation et la plus juste est tout d'un coup renversée, et que souvent il n'est presque plus possible de la relever. Pour peu que vous touchiez à certain fruit, il perd toute sa fleur, et ne la peut plus reprendre ; et dès qu'une fois l'honneur est endommagé, la tache est presque ineffaçable et le dommage sans remède. Vous direz dans la suite tout ce qu'il vous plaira, vous prendrez tous les soins imaginables pour guérir le coup que vous avez porté, et pour en fermer la plaie ; malgré toutes vos réparations et tous vos soins, on se souviendra toujours de tel mot qui vous est échappé, on s'en tiendra là, et l'on traitera tout le reste de discours étudiés et de cérémonies.

 

Qu'est-ce donc que la médisance ? c'est comme une grêle, qui ruine dans un jour, et même en beaucoup moins de temps, l'ouvrage de vingt années de travaux, de précautions, de mesures. On regarde comme une cruauté de ravager des terres cultivées : que sera-ce de détruire une réputation achetée si cher et au prix de tant de peines ? Mais vous ne la détruisez, dites-vous, que par une vérité, et la vérité ne peut être contre la justice. Erreur : car il ne vous est pas permis de faire connaître toute la vérité. Quoique ce soit une vérité, tant qu’elle demeure secrète, ma réputation est entière, et vous l'entamez ; j'ai droit à cette réputation, et vous m'en privez ; je suis dans une possession actuelle de cette réputation, et vous m'en dépouillez ; ce que j'ai fait est caché, et vous le révélez. Voilà votre injustice, et envers Dieu et envers moi-même : envers Dieu, puisqu'il vous avait défendu de me ravir un bien dont j'étais le maître, et que vous violez sa loi ; envers moi-même, puisque sans raison vous attentez sur ce qui m'appartenait le plus légitimement, et que par une espèce d'oppression vous me l'arrachez des mains et le dissipez.

 

Oui, Chrétiens, c'est sans raison que le médisant se porte à de pareils attentats contre la réputation de son frère, et c'est aussi ce qui met le comble à son crime. Car je n'ai garde d'appeler de véritables raisons une vengeance outrée, une haine envenimée, une aveugle antipathie, une jalousie mortelle, un esprit d'intérêt, une humeur chagrine et critique, un zèle mal entendu, une envie démesurée de parler, de railler, de plaisanter, une légèreté sans attention, sans réflexion, sans ménagement ni discrétion. Or, ne sont-ce pas là les principes de la médisance?

 

Reprenons.

 

Une vengeance outrée : on se croit bien fondé à rendre médisance pour médisance. Il a dit ceci de moi, et je dis cela de lui ; il ne m'épargne pas, pourquoi l'épargnerais-je ? Conduite en quelque sorte tolérable parmi des idolâtres et des païens ; mais expressément réprouvée dans les. chrétiens, à qui Jésus Christ a donné cette grande règle de pardonner toute injure et de bénir ceux qui les chargent d'imprécations, Du moins, si l'on y observait quelque proportion : mais pour une chose qu'on a dite de vous, et qu'on n'a dite qu'une fois, peut être même pour le seul soupçon que vous en avez, il y a des années entières que vous poursuivez sans relâche cette personne, et que vous la déchirez.

 

Une haine envenimée : c'est assez d'être mal ensemble, d'avoir ensemble quelque dispute, quelque contestation, quelque procès, pour conclure qu'on peut publier contre son ennemi tout ce qu'on en sait, ou tout ce qu'on en croit savoir. De là, dans la défense d'une cause, tant de faits scandaleux que l'on recueille et que l'on produit, sans autre sujet ni d'autre avantage que de contenter son animosité et de couvrir de confusion l'adverse partie.

 

Une aveugle antipathie : certaines gens ne nous plaisent pas, et dès lors on n'en peut dire du bien. Mais pourquoi ne nous plaisent-ils pas ? il ne faut point nous demander pourquoi, car nous ne le voyons guère nous-mêmes, et nous aurions de la peine à le marquer. Quoi qu'il en soit, dès qu'ils ne nous reviennent pas, et que nous en avons je ne sais quel éloignement, on ne leur passe rien, on ne leur pardonne rien, on ne les ménage en rien. C'est un plaisir de les faire sans cesse paraître sur la scène, et d'en divertir les compagnies.

 

Une jalousie mortelle : on ne l'avoue pas, parce que de soi-même c'est un vice honteux et humiliant ; mais sans l'avouer, on ne la sent pas moins. Jalousie ingénieuse à déguiser la médisance sous les plus beaux dehors, et à lui donner les couleurs les plus spécieuses ; jalousie du mérite d'autrui, de ses succès, de ses vertus et de ses perfections ; jalousie entre des partis différents, surtout entre des personnes du sexe, plus susceptibles que les autres de cette passion, et par là même plus sujettes à médire, et plus piquantes dans leurs traits satiriques et médisants.

 

Un esprit d'intérêt : examinez bien pourquoi dans la même vocation, dans le même emploi, celui-ci s'étudie tant à rabaisser l'autre et à le décréditer : c'est qu'il voudrait tout attirer à soi, et profiter aux dépens de celui-là qui lui fait ombrage. Examinez bien pourquoi dans la cour d'un prince la médisance est si fort en règne, et pourquoi il s'y répand tant de mémoires injurieux : c'est que chacun pense à s'avancer, et que tous ne pouvant occuper telle et telle place, vous vous trouvez par conséquent intéressé à flétrir quiconque pourrait y aspirer préférablement à vous, et les obtenir. Examinez même, si je puis user ici de cet exemple, examinez bien pourquoi, dans le cours d'une intrigue criminelle, ce rival se déchaîne à toute occasion et avec tant de violence contre son rival : c'est qu'il travaille a l'écarter, et qu'il prétend posséder seul l'infâme et malheureux objet de ses désirs.

 

Que dirai-je encore ? Une humeur chagrine et critique, le monde est plein de ces censeurs par état, qui ne voient dans le prochain que ce qu'il y a de défectueux, ou ce qui en a l'apparence. Du moins est-ce à cela qu'ils s'attachent, sans égard à tout le reste : n'ayant, ce semble, d'autre occupation, ni d'autre satisfaction dans la vie, que de déclamer, tantôt contre l'un, tantôt contre l'autre ; cherchant en tout et y trouvant, selon leurs bizarres idées, de quoi exciter le fiel qui les dévore, et sur quoi le faire couler.

 

Un zèle mal entendu : oh ! que de médisances par là sont justifiées, sont consacrées, sont sanctifiées ! un médisant dévot, un médisant zélé ou prétendu tel, est le plus à craindre. D'un air tranquille et composé, d'un ton pieux et modeste, il en dira plus que l'emportement le plus passionné et la plus ardente colère n'en peut inspirer. Encore se flattera-t-il d'avoir en cela rendu service à Dieu, et s'en fera-t-il un mérite auprès du Seigneur. Content de lui-même, il ira devant un autel ou au pied d'un oratoire épancher son âme, et croira pouvoir dire, comme David (Psal., C, 8.) : Dans un matin, ô mon Dieu ! sans autre glaive que celui de la langue ou que celui de la plume, je combattais tous les ennemis de votre loi, et j'exterminais tous les pécheurs de la terre.

 

Une envie démesurée de parler, de railler, de plaisanter : Je n'ai rien contre cet homme, dit-on, je ne lui veux point de mal ; et si j'en parle, ce n'est que pour me réjouir. Divertissement sans doute bien charitable et bien chrétien ! vous n'avez rien contre lui, et vous le frappez aussi rudement que s'il y avait entre lui et vous l'inimitié la plus déclarée ! vous ne lui voulez point de mal, et vous lui en faites ! Vous n'avez en vue que de vous réjouir : eh quoi ! de le noircir et de le diffamer, de le rendre au moins un sujet de risée, et de lui ôter par là toute la douceur de la société humaine, de lui causer mille chagrins et de lui aigrir le cœur contre vous, est-ce donc si peu de chose que vous en deviez faire un jeu ? Esprit railleur dont on s'applaudit, dont on tire une fausse gloire, dont on se laisse tellement posséder, qu'on n'est plus maître de le retenir. Esprit pernicieux qui trouble la paix, qui rompt les amitiés les plus étroites, qui suscite les querelles et les dissensions.

 

Enfin, une légèreté sans attention, sans réflexion, sans ménagement ni discrétion : on raisonne de tout, à propos et hors de propos ; on dit tout ce qu'on sait, et souvent tout ce qu'on ne sait pas ; on n'a rien de secret, et quoi que ce soit qui s'offre à la pensée, on le jette d'abord tel qu'il se présente. Ce n'est point dessein prémédité , j'en conviens : c'est vivacité ; mais cette vivacité, ne fallait-il pas la modérer ? ne fallait-il pas vous en défier ? ne fallait-il pas profiter de tant d'occasions, où vous avez reconnu vous-même qu'elle vous avait emporté au delà des bornes ? En serez-vous quitte quand vous direz à Dieu : Je n'y pensais pas. Il vous répondra que vous deviez y penser. Car que vous n'y ayez pas pensé, le prochain n'en souffre pas moins : et c'est à vous de voir par où vous pourrez le dédommager.

 

Concluons, Chrétiens.

 

Voilà les principes de la médisance ; or de tels principes, que peut-il venir que de mauvais et de corrompu ? Si donc nous voulons acquérir la vie éternelle, et nous garantir d'un des dangers les plus présents d'en être exclus pour jamais ; si même dès ce monde nous voulons couler d'heureux jours et couper la racine de mille peines, de mille disgrâces, de mille affaires désagréables, Qui vult diligere vitam, et dies videre bonos (1 Petr., III, 10.) ; que ferons-nous pour cela ? c'est de suivre l'important avis que nous donne le Prophète en ces courtes paroles : Prohibe linguam tuam a malo (Psal., XXXIII, 14.).

 

C'est, dis-je, de veiller sur notre langue et de la régler ; d'y mettre un frein, et, si je puis m'exprimer de la sorte, un frein d'équité, un frein de charité, un frein de circonspection et de sagesse, qui en arrête l'intempérance et qui en réprime les saillies. Ainsi nous éviterons le désordre de celui qui fait la médisance, et vous allez encore apprendre à éviter le désordre de celui qui l'écoute : c'est la seconde partie.    

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LES FAUX TÉMOIGNAGES RENDUS CONTRE JÉSUS-CHRIST 

 

Christ Accused by the Pharisees (detail)

Le Christ accusé par les Pharisiens (détail), Duccio di Buoninsegna

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17 mars 2012 6 17 /03 /mars /2012 08:00

Ce n'est présentement qu'un Dieu de miséricorde : profitons de cette heureuse disposition, et ne laissons pas échapper un temps si favorable. Pleurons nos égarements passés : ce ne sera pas en vain, si nos larmes sont accompagnées d'une sainte résolution pour l'avenir. Faisons à Jésus-Christ la même protestation que Pierre, mais faisons-la avec plus d'humilité, et par là même avec plus d'efficace et plus de constance que ce disciple présomptueux : Etiam si oportuerit me mori, non te negabo (Matth., XXVI, 35.) ; Je suis un infidèle, Seigneur, ou plutôt je l'ai été, et ne le veux plus être.

BOURDALOUE

 

 

Quoique Pierre ait renoncé Jésus-Christ, ce n'est pas, dans le sens où je l'entends, une conséquence qu'il ait été renoncé de Jésus-Christ : pourquoi ? parce que le repentir de cet apôtre suivit immédiatement son péché, et le rétablit promptement dans la grâce qu'il avait perdue. Vous savez comment le Sauveur se tourna vers lui, et le regarda : Et conversus Dominus respexit Petrum (Luc, XXII, 61.). Vous savez quelle impression fit ce regard sur le cœur de ce disciple infidèle. Pierre en fut pénétré, il se reconnut, il se retira à l'écart, il pleura amèrement. Ses larmes effacèrent le crime que sa bouche avait commis en reniant son Maître, et bientôt sa douleur le remit auprès du Fils de Dieu dans l'heureux état d'où l'avait précipité une crainte immodérée : Et egressus foras, flevit amare (Ibid. 23.). Mais nous, mes Frères, si nous renonçons Jésus-Christ, c'est souvent avec une obstination sans retour : nous demeurons dans cette disposition criminelle, nous y vivons, nous y mourons ; et voilà pourquoi je dis que nous sommes aussi renoncés de Jésus-Christ. Je m'explique ; et suivez-moi, s'il vous plaît.

 

C'est un secret de prédestination bien surprenant que Jésus-Christ, le Rédempteur et le Sauveur du monde, doive être un jour la ruine de plusieurs, et servir à leur réprobation : mais c'est un autre secret encore plus étonnant, que de tous les réprouvés il n'y en ait point pour qui Jésus-Christ soit le sujet d'une plus grande ruine et d'une plus grande damnation, que pour les mauvais chrétiens. Toutefois ces deux secrets nous sont révélés par le Saint-Esprit. Car l'Evangile ne nous a pas seulement fait entendre que cet Homme-Dieu sera la perte éternelle d'un grand nombre d'hommes : Positus est in ruinam multorum (Luc, II, 34.) ; mais il a ajouté que ce serait dans Israël, c'est-à-dire parmi le peuple de Dieu, parmi le peuple choisi de Dieu, parmi le peuple spécialement aimé de Dieu et favorisé de la connaissance de Dieu : In Israël. Or quel est ce peuple ? Le peuple chrétien, qui a succédé au peuple juif, et qui, selon saint Paul, tient maintenant la place des vrais Israélites. Pour mieux comprendre ceci, souvenons-nous d'une chose bien terrible qui doit arriver à la fin des siècles : c'est que le Fils de Dieu, après avoir été renoncé par les hommes, les renoncera à son tour dans le jugement dernier, et que ce renoncement de la part de Jésus-Christ sera justement leur ruine, et comme le sceau de leur réprobation ; de sorte que le renoncement doit être mutuel et réciproque. Quiconque aura renoncé Jésus-Christ, en sera renoncé ; quiconque aura désavoué Jésus-Christ, en sera désavoué ; quiconque aura , pour ainsi parler, réprouvé Jésus-Christ, en sera réprouvé. Sa parole y est expresse : Qui negaverit me, negabo eum (Matth., X, 33.). Dès le temps même que ce Dieu Sauveur était sur la terre, il a commencé à vérifier cet oracle. Qu'a fait Jésus-Christ dans le monde, demande l'abbé Rupert ? Il a contredit et renoncé le monde : Propterea exhibuit se mundo ut contradiceret mundo. Voilà son emploi et sa mission. Il a contredit et renoncé les sensualités du monde ; il a contredit et renoncé l'orgueil du monde ; il a contredit et renoncé les convoitises du monde ; il a contredit et renoncé les vengeances, les perfidies, les injustices du monde ; en un mot, toute sa vie n'a été qu'une contradiction et un renoncement perpétuel à l'égard du monde. Mais après tout, remarque saint Augustin, tous les arrêts qu'il prononçait alors contre le monde n'étaient que comminatoires. Ils sortaient de sa bouche et de son cœur, mais ils ne passaient pas outre. C'étaient des foudres qu'il faisait seulement gronder contre les pécheurs, sans les faire encore éclater sur eux. Mais dans son dernier jugement, poursuit le même saint docteur, il les renoncera pour les perdre, pour les détruire, pour les ruiner. Ce ne sera plus de simples menaces, ni de simples paroles : mais ce sera l'accomplissement et l'exécution de toutes ses paroles et de toutes ses menaces. Et comme il n'est rien de plus formidable que ses menaces et que ses paroles, jugeons de là combien à plus forte raison nous en devons craindre l'exécution et l'accomplissement.

 

Autrefois David demandait à Dieu qu'il le préservât des contradictions du peuple : Eripies me de contradictionibus populi (Psal., XVII, 44.). Mais moi, mon Dieu , je vous demande tout autre chose. Je n'appréhende point les contradictions ni les jugements des hommes ; mais pour les vôtres , je les crains souverainement. Que les hommes s'attachent à condamner ma vie et toute ma conduite, peu m'importe, pourvu que je ne sois pas condamné de vous. Car que peuvent contre moi tous les peuples de la terre, si vous êtes pour moi, si vous vous déclarez pour moi, si vous vous joignez à moi ? Mais du moment que vous viendrez, en me renonçant, à me rejeter et à vous retirer de moi, me voilà perdu sans ressource, et frappé d'une malédiction éternelle : Qui negaverit me, negabo eum.

 

Cependant, à qui est-ce que ce renoncement de Jésus-Christ sera plus funeste, et de tous les impies que le Fils de Dieu, comme dit saint Paul, exterminera dans son jugement, qui sont ceux contre qui il s'élèvera avec plus de rigueur ? Ah ! mes Frères, ce sont ceux qui auront été dans Israël, mais qui n'auront pas vécu en Israélites ; ceux qui, ayant été éclairés de la foi, ne se seront pas mis en peine de suivre ses lumières , et qui, ayant connu Dieu, ne l'auront pas glorifié comme leur Dieu ; ceux enfin que nous comprenons sous le terme de mauvais chrétiens. La raison en est évidente, et la chose s'explique assez d'elle-même. Car il est juste (c'est la réflexion de Tertullien) que ceux qui auront été les plus rebelles à Jésus-Christ sentent à proportion les plus rudes effets de ses vengeances. Il est de la droite équité (c'est la pensée de saint Chrysostome), que ceux qui lui auront montré plus d'ingratitude, en reçoivent aussi de plus rigoureux châtiments. Et il est de l'ordre, conclut saint Bernard, que ceux qui auront eu part aux avantages de sa loi soient jugés selon toute la sévérité de sa loi. Or, entre les réprouvés, il n'y en aura point à qui tout cela convienne plus sensiblement, ni plus incontestablement, qu'aux mauvais chrétiens.

 

En effet, qu'appelons-nous mauvais chrétiens, sinon des hommes rebelles par profession et par état au Sauveur du monde, et dont par conséquent le Sauveur du monde doit se venger d'une manière plus éclatante ? Souvenons-nous de la parabole et de la figure dont se servit là-dessus Jésus-Christ même, parlant aux pharisiens. Il leur dit qu'il était la pierre angulaire sur laquelle devait porter tout l'édifice de notre salut, mais qu'ils l'avaient rebuté ; et pour leur faire concevoir à quoi ils s'étaient exposés par leur obstination : Quiconque, ajouta-t-il, ira heurter contre cette pierre, elle le brisera ; et sur qui que ce soit que tombe cette pierre, elle l'écrasera. Les pharisiens, au lieu de profiter d'un avertissement si salutaire, n'en devinrent que plus animés contre ce divin Maître ; et, selon l'expression de l'évangéliste, leur ressentiment passa jusques à la fureur. Ne nous endurcissons pas de la sorte ; mais détournons, par une sainte pénitence et un prompt changement de vie, l'affreux malheur dont nous sommes menacés. C'est à nous-mêmes que le Fils de Dieu prétendait parler, aussi bien qu'aux pharisiens. Il est pour nous-mêmes, comme pour eux, cette pierre mystérieuse, cette pierre fondamentale. Or Dieu nous déclare que si jamais elle vient à tomber sur nous, nous en serons accablés ; et d'ailleurs il est indubitable qu'elle y tombera, si nous continuons à faire de criminels efforts pour la rejeter. Combien y en a-t-il déjà qu'elle a brisés ? combien de grands de la terre ? combien de potentats et de monarques ? Quand un Julien s'écriait, dans l'extrémité de son désespoir: Vicisti, Galilœe ; Tu as vaincu, Galiléen, ne confessait-il pas qu'il succombait sous le poids de la colère de ce Dieu vengeur, et que c'était son bras tout-puissant qui le frappait ? Combien de particuliers dans le christianisme ont éprouvé le même sort, ou sont en danger de l'éprouver bientôt ?

 

Car non seulement ce sont des rebelles à leur Sauveur, mais des ingrats, d'autant plus condamnables en qualité de chrétiens, qu'ils ont été plus comblés de grâces. Abus, de se persuader que Jésus-Christ, dans le jugement qu'il fera de nous, nous doive être plus favorable, parce que nous aurons eu plus de part à ses bienfaits et à son amour. C'est pour cela même, au contraire, qu'il se rendra plus inflexible à notre égard. Que disait-il à ces villes de Bethsaïde et de Corozaïn, lorsqu'il lançait contre elles ses anathèmes, parce qu'elles étaient demeurées dans leur aveuglement malgré ses miracles ? Il leur reprochait que si des païens et des idolâtres eussent été témoins des mêmes merveilles, ils auraient pris le sac et le cilice pour faire pénitence ; et par là même il leur annonçait qu'elles seraient plus sévèrement punies que ces idolâtres et ces païens. Or qu'avait fait Jésus-Christ dans Bethsaïde, qu'avait-il fait dans Corozaïn, en comparaison de ce qu'il a fait dans nous et pour nous ? Il ne visita qu'une fois Bethsaïde, et combien de fois nous a-t-il honorés de ses visites intérieures ? Il ne fit entendre qu'une fois sa parole dans Corozaïn ; et ne l'avons-nous pas mille fois entendue ? Que répondra donc un chrétien quand Jésus-Christ lui dira : Vois, malheureux, et compte toutes les grâces que tu as reçues de moi. Avec ces seules grâces, j'aurais converti dans le paganisme des nations entières, et tu n'en as pas été meilleur. A quoi t'ont servi tant d'avis, tant d'instructions, tant de connaissances, tant de bons sentiments, tant de moyens de salut ? Tout cela me demande justice contre toi, et cette justice sera mesurée selon ma miséricorde. Or ma miséricorde pour toi n'a point eu de bornes : apprends quelle justice tu dois attendre.

 

Justice d'autant plus redoutable pour nous, qu'ayant vécu dans la loi de Jésus-Christ nous serons jugés selon la loi de Jésus-Christ. Quel titre de condamnation, et quel sujet de frayeur ! y avons-nous jamais fait une réflexion sérieuse ? Etre jugé selon la loi la plus sainte, selon la loi la plus pure, selon la loi la plus irrépréhensible ! tellement que cette loi de Jésus-Christ, qui devait être pour nous un fonds de mérite et un principe de vie, servira, contre l'intention de Dieu et de Jésus-Christ même, à notre réprobation et à notre perte. Ce n'est pas, au reste, que la loi de Jésus-Christ soit mauvaise en soi, ni que ce qui est bon en soi puisse être mauvais en nous : mais, dit l'Apôtre, c'est que la concupiscence et nos passions, dont nous nous laissons dominer, s'élèvent en nous contre cette loi, et qu'à l'occasion de cette loi qu'elles nous font violer, elles nous deviennent des sources plus abondantes de péché.

 

Voilà, mes chers auditeurs, ce que nous ne pouvons prévenir avec trop de soin. Ne sommes-nous donc chrétiens que pour être un jour plus réprouvés ? Cette glorieuse qualité que nous portons ne sera-t-elle pour nous qu'un caractère de damnation ? A qui nous en pourrons-nous prendre, et qui en pourrons-nous accuser ? Sera-ce Dieu qui nous a donné un Sauveur, et qui nous a aimés jusqu'à livrer pour notre salut son Fils unique ? Sera-ce ce Sauveur que Dieu nous a donné, ce Fils unique du Père, lequel a bien voulu quitter le séjour de sa gloire, et venir sur la terre pour travailler à l'ouvrage de notre rédemption ? Reconnaissons que nous serons nous-mêmes les auteurs de notre ruine, et que nous ne pourrons l'imputer qu'à nous-mêmes. Dans le juste effroi dont nous devons être saisis, adressons-nous à ce même Sauveur que nous avons tant de fois renoncé, et qui veut bien encore nous recevoir, malgré toutes nos infidélités. Ce n'est présentement qu'un Dieu de miséricorde : profitons de cette heureuse disposition, et ne laissons pas échapper un temps si favorable. Pleurons nos égarements passés : ce ne sera pas en vain, si nos larmes sont accompagnées d'une sainte résolution pour l'avenir. Faisons à Jésus-Christ la même protestation que Pierre, mais faisons-la avec plus d'humilité, et par là même avec plus d'efficace et plus de constance que ce disciple présomptueux : Etiam si oportuerit me mori, non te negabo (Matth., XXVI, 35.) ; Je suis un infidèle, Seigneur, ou plutôt je l'ai été, et ne le veux plus être.

 

Vous êtes encore assez miséricordieux pour oublier toutes mes révoltes ; et c'est ce qui m'attache à vous pour jamais : Non te negabo. Non, Seigneur, quoi qu'il arrive, et quoi qu'il m'en puisse coûter, je ne vous renoncerai plus. Que dis-je ? et me suffit-il de ne vous plus renoncer ? Il faut désormais me déclarer ouvertement pour vous, il faut pour la juste réparation de tant de scandales, et pour l'honneur de votre loi, la professer hautement, la pratiquer exactement, l'accomplir parfaitement et dans toute son étendue. Il le faut malgré toute considération humaine ; il le faut, malgré tous les discours et tous les respects du monde ; il le faut aux dépens de ma fortune, au péril de ma vie, au prix de mon sang : Etiam si oportuerit me mori.

 

J'en serai bien payé, Seigneur, et bien récompensé, puisque vous me promettez de me reconnaître devant votre Père après que je vous aurai confessé devant les hommes, et de me mettre en possession de votre royaume.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE

 

Denial of St Peter 

Le Reniement de Saint Pierre, Gerrit van Honthorst

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16 mars 2012 5 16 /03 /mars /2012 12:30

Pierre tomba, et nous donna tout à la fois, dans sa chute, et un exemple sensible de la fragilité humaine, et une triste image de ce qui se passe tous les jours parmi nous.

BOURDALOUE

 

 

Et post pusillum, rursus qui astabant, dicebant Petro : Vere ex illis es, nam et Galilœus es. Ille autem cœpit anathematizare, et jurare : Quia nescio hominem istum quem dicitis.

Quelque temps après, ceux qui se trouvèrent là, dirent à Pierre : Assurément vous êtes de ces gens-là, car vous êtes aussi de Galilée. Mais il se mit à faire des imprécations, et à dire avec serment : Je ne connais point cet homme-là, dont vous me parlez. (Saint Marc, chap. XIV, 71.)

 

N'était-ce donc pas assez pour le Sauveur du monde qu'un de ses apôtres l'eût trahi et vendu ; et fallait-il que, dans son affliction, il eût encore la douleur de voir le prince même des apôtres le renoncer, et d'entendre celui qu'il destinait à être un jour le souverain pasteur des fidèles le charger d'anathèmes et le blasphémer ? Providence de mon Dieu, vous le permîtes ainsi, selon les décrets éternels de cette justice impénétrable dont nous devons adorer les jugements, sans entreprendre d'en découvrir le fond et de les examiner. Quoi qu'il en soit, cette colonne sur laquelle devait porter le saint édifice de l'Eglise fut ébranlée ; Pierre tomba, et nous donna tout à la fois, dans sa chute, et un exemple sensible de la fragilité humaine, et une triste image de ce qui se passe tous les jours parmi nous. Car, au milieu du christianisme, combien de chrétiens renoncent tout de nouveau Jésus-Christ ? mais à cette cette différence bien essentielle et bien funeste pour nous, que Pierre ne renonça son Maître que dans une rencontre, et que par une prompte pénitence il prévint les suites malheureuses de son infidélité ; au lieu que nous renonçons ce Dieu Sauveur habituellement, constamment, et que par là nous nous exposons à être renoncés nous-mêmes. En deux mots, qui comprennent tout le sujet de cet entretien, Jésus-Christ renoncé par les mauvais Chrétiens : ce sera la première partie ; et les mauvais chrétiens, renoncés par Jésus-Christ : ce sera la seconde. Deux vérités affligeantes que je prends ici occasion de traiter, et qui pourront vous engager à faire un retour salutaire sur vous-mêmes.

 

Commençons.

 

Ce fut sans doute un changement bien subit et bien étrange que celui de Pierre ; ce fut une faiblesse bien condamnable, lorsque, voyant Jésus-Christ entre les mains des pharisiens, et craignant d'être arrêté lui-même comme son disciple et enveloppé dans le même sort, il ne se contenta pas de méconnaître publiquement ce divin Sauveur, mais qu'il en vint jusqu'aux imprécations et aux serments. Etait-ce là cet homme auparavant si résolu, ainsi qu'il le protesta plus d'une fois, et si déterminé à perdre la vie plutôt que d'abandonner jamais le Fils de Dieu ? Etiam si oportuerit me mori, non te negabo (Matth., XXVI, 85.). Etait-ce cet apôtre si ferme et si intrépide, qui seul dans le jardin s'était présenté au combat contre une multitude de gens armés, et qui n'attendait qu'un ordre de son Maître pour se jeter au milieu d'eux ? Domine, si percutimus in gladio (Luc., XXII, 49.) ? Après de si belles démonstrations, après une conduite si hardie et des sentiments si généreux, une parole l'étonne, une simple fille le fait trembler : dans le trouble où il entre et la frayeur dont il est saisi, il devient blasphémateur et parjure ; il renonce son Dieu et sa foi : Nescio hominem istum (Matth., XXVI, 72). De dire qu'en ce moment la grâce lui avait manqué, ce serait renouveler une erreur proscrite dans l'Eglise, et flétrie de ses censures : mais disons avec plus de vérité, que dans cette fatale conjoncture il manqua à la grâce, qui pouvait le confirmer et le soutenir. De dire que sa chute fut une suite et le juste châtiment de sa présomption , c'est la pensée de tous les Pères et de tous les interprètes, autorisée par l'Evangile et fondée sur l'oracle du Saint-Esprit. Mais sans rechercher la source de son désordre, considérons le nôtre, et confondons-nous d'avoir tant de fois nous-mêmes renoncé Jésus-Christ, et de le renoncer peut-être encore tous les jours. Vous me demandez comment, et je vais vous l'expliquer.

 

C'est une plainte que faisait saint Paul écrivant à Tite son disciple, et déplorant la conduite de quelques chrétiens, fidèles tout à la fois et infidèles ; fidèles dans les paroles, mais infidèles dans la pratique et dans les œuvres : Confitentur se nosse Deum, factis autem negant (Tit., I, 16.) ; Il est vrai, disait ce docteur des nations, ils parlent comme nous : mais ils n'agissent pas comme nous ; ils confessent comme nous Jésus-Christ, Fils de Dieu et vrai Dieu ; mais ils n'observent pas comme nous sa loi, et par leurs mœurs ils blasphèment, non plus ce qu'ils ignorent, mais ce qu'ils connaissent et ce qu'ils croient. Or, tel est le déplorable désordre où nous sommes tombés dans le christianisme, et voilà comment le monde, même chrétien, a renoncé et renonce sans cesse Jésus-Christ. Renoncement le plus universel, et renoncement le plus criminel. Développons ces deux points, qui nous donneront bien lieu de gémir, pour peu que nous soyons sensibles aux intérêts, de la sainte religion que nous professons.

 

Renoncement le plus universel : car à quoi ne s'étend-il pas, et jusqu'où ne le porte-t-on pas ? On le renonce, cet adorable et divin Maître, en tout : c'est-à-dire, qu'on le renonce dans sa vie et dans ses exemples, qu'on le renonce dans sa mort et dans sa croix, qu'on le renonce dans son Evangile et dans sa morale, qu'on le renonce dans ses sacrements, et en particulier dans le plus auguste et le plus saint de ses mystères ; enfin qu'on le renonce jusque dans ses disciples et ses sectateurs. Et pour en venir à la preuve, qu'est-ce que renoncer Jésus-Christ, ainsi que nous le devons présentement entendre ? C'est tenir une conduite toute contraire à celle de Jésus-Christ ; c'est suivre dans l'usage ordinaire de la vie des maximes et des règles incompatibles avec l'esprit de Jésus-Christ ; c'est rejeter ce qu'il a recherché, fuir ce qu'il a aimé, négliger sans attention et sans soin ce qu'il nous a laissé de plus salutaire et de plus précieux, l'attaquer jusque dans ses membres, et faire de ses imitateurs et de ce petit nombre de fidèles qui lui sont dévoués, le sujet ou des plus malignes railleries, ou des plus violentes persécutions. Or, n'est-ce pas là comment le traitent une multitude innombrable de mondains, quoique éclairés des lumières de la foi et nourris dans le sein de son Eglise ? Nous n'avons qu'à ouvrir les yeux et qu'à les jeter autour de nous, pour nous en convaincre : l'expérience ne nous en instruit que trop, et il serait à souhaiter que nous n'en eussions pas des témoignages si sensibles et si communs.

 

On le renonce dans sa vie et dans ses exemples. Il nous les a proposés pour modèles, et c'est à nous aussi bien qu'à ses apôtres qu'il a dit: Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci, ita et vos faciatis (Joan., XIII, 15.) ; Je suis venu et j'ai vécu parmi vous, afin que vous puissiez vous former sur moi, et que, par une sainte conformité de pratiques et d'actions, on put me reconnaître en vous. L'Apôtre , dans le même sens, voulait que la vie de Jésus-Christ parût dans la vie des chrétiens, qui composent le corps mystique dont il est le chef : Ut et vita Jesu manifestetur in corporibus nostris (2 Cor., IV, 10.). Et ce maître des Gentils prenant pour lui-même ce qu'il enseignait aux autres, et se l'appliquant dans toute son étendue et toute sa force, croyait, sans perdre l'humilité chrétienne, pouvoir dire de lui : Ce n'est pas moi qui vis, mais Jésus- Christ qui vit en moi : Vivo autem jam non ego ; vivit vero in me Christus (Galat., II, 20.). Pouvons-nous parler de la sorte ? et y a-t-il dans toute notre vie un seul trait qui ne soit pas directement opposé à la vie de Jésus-Christ pauvre et amateur de la pauvreté, de Jésus-Christ humble et amateur de l'humiliation et de l'obscurité, de Jésus-Christ ennemi du siècle et de ses fausses prospérités ?

 

On le renonce dans sa mort et dans sa croix. Cette croix, selon le langage de saint Paul, a été une folie pour les Gentils et un scandale pour les Juifs ; mais, dit saint Chrysostome, elle est souvent pour nous l'un et l'autre tout ensemble : une folie, quand nous devrions la rechercher nous-mêmes, et un scandale, quand nous sommes forcés de la porter ; une folie, quand nous devrions la rechercher nous-mêmes, parce que, bien loin de la rechercher en effet, nous mettons toute notre sagesse à la fuir et à ne rien souffrir ; un scandale, quand nous sommes forcés de la porter, parce que nous en faisons le sujet de nos révoltes intérieures et de nos murmures. Que Dieu nous envoie une affliction, et que par là il veuille nous associer à Jésus-Christ souffrant et crucifié, en quelle désolation ne tombons-nous pas ? à quels excès, et quelquefois à quels désespoirs ne nous emportons-nous pas ? On a beau nous dire que cette croix, cette peine qui nous arrive est une portion de la croix du Sauveur, elle nous paraît insoutenable ; et quoiqu'elle nous soit présentée de la main même du Fils de Dieu, quelque légère d'ailleurs qu'elle puisse être, au lieu de la recevoir avec respect, nous la rejetons avec horreur.

 

On le renonce dans son Evangile et dans sa morale.

 

Il y a deux morales qui se contredisent formellement, la morale de Jésus-Christ et la morale du monde. Parcourons les maximes de l'une et de l'autre, nous n'en trouverons point entre lesquelles il ne se rencontre une contrariété absolue. Selon la morale de Jésus-Christ, toute affection aux biens de la terre et aux richesses temporelles est réprouvée ; et selon la morale du monde, il faut avoir, et avoir le plus qu'on peut, et avoir le plus tôt qu'on peut, et avoir comme on peut. Il y faut tourner tous ses désirs et toutes ses réflexions ; il y faut appliquer tous ses soins : car on ne vaut, et l'on n'est heureux qu'autant qu'on se voit à son aise et bien pourvu.

 

Selon la morale de Jésus-Christ, c'est une béatitude que d'être doux et débonnaire, que d'être pacifique et patient, que d'endurer les injures et de les pardonner ; et, selon la morale du monde, c'est une lâcheté que de supporter la moindre offense. Il n'y a point là-dessus de ménagement à garder, il n'y a point de satisfaction qu'on ne doive exiger, point de paix qu'on ne doive pour cela troubler, point d'intérêt qu'on ne doive sacrifier : autrement, ce serait se couvrir d'une tache ineffaçable, et se mettre dans un opprobre dont on ne se laverait jamais.

 

Selon la morale de Jésus-Christ, nous n'entrons point dans le royaume du ciel, si nous ne nous faisons petits comme des enfants ; et selon la morale du monde, c'est une bassesse de cœur que de ne travailler pas, autant qu'il est possible, à se distinguer, à se faire de la réputation, à s'attirer du respect, à s'établir dans l'autorité et dans le crédit, à se pousser dans les emplois, dans les dignités. L'ambition est une noblesse d'âme, et c'est n'avoir point d'honneur que de ne se sentir pas piqué d'une si belle passion.

 

Selon la morale de Jésus-Christ, l'état de ceux qui pleurent en cette vie, de ceux qui mortifient leurs sens, de ceux qui font pénitence, est préférable à tous les plaisirs et à toutes les joies du siècle ; mais là-dessus quelle est la morale du monde, et à quoi nous porte-t-elle ? à se divertir, à jouir du temps, à se procurer tous les agréments de la vie, à être à des jeux, des compagnies, des spectacles, des repas ; à ne se faire aucune violence, à ne se gêner en rien.

 

Il en est de même de tous les autres articles, qu'il serait trop long de parcourir en détail, et où la morale de Jésus-Christ et celle du monde ont des principes tout différents. Par conséquent, s'attacher à l'une, c'est renoncer à l'autre. Or, des deux laquelle suivons-nous ? quelles maximes débitons-nous dans les entretiens ? à nous entendre parler, et à voir la manière dont nous nous comportons en tout, peut-on se former quelque idée du christianisme ? et si d'ailleurs l'on ne savait que nous en faisons une certaine profession, s'imaginerait-on jamais que nous avons été élevés à l'école de Jésus-Christ, et que nous croyons à son Evangile ?

 

On le renonce dans ses sacrements, et surtout dans le plus auguste et le plus saint de ses mystères, qui est la divine Eucharistie. Dans ce mystère adorable il se propose à nous comme l'objet de notre culte ; mais au lieu des honneurs qui lui sont dus, quels outrages ne lui fait-on pas ! Point de respect en sa présence, point d'attention ni de recueillement : encore si l'on ne le déshonorait que par de simples dissipations et de simples immodesties ; mais jusque dans son sanctuaire, à quelles abominations n'en vient-on pas ? quels discours y tient-on ? quels sentiments y conçoit-on ? quelles scènes y donne-t-on ? quels scandales y cause-t-on ? Les hommages qu'on devrait lui rendre, on les rend à une idole mortelle ; l'encens qu'on devrait lui offrir comme au vrai Dieu, on l'offre à une fausse divinité. Ce n'est pas tout : dans ce même mystère, dans ce sacrement où il réside en personne, il a voulu demeurer avec nous jusqu'à la fin des siècles ; il s'est attendu que nous irions l'y visiter, et que, dans ces saintes et salutaires visites, il serait notre conseil, notre consolation, notre ressource ; il nous a promis que nous trouverions tout en lui, et nous l'abandonnons comme s'il ne devait rien être pour nous. N'est-il pas étrange que ses temples soient si solitaires et si délaissés ! A peine y voit-on quelques personnes s'entretenir avec lui ; à peine y sommes-nous entrés à certains jours, que l'ennui nous prend, et que nous pensons à nous retirer. S'il n'y avait un précepte qui nous obligeât quelquefois d'y paraître, nous nous en absenterions durant des années entières. Il y a encore plus:, c'est qu'il nous a donné ce sacrement de son corps et de son sang comme un pain, comme une nourriture, comme le soutien de nos âmes ; mais ce pain de vie, nous ne le mangeons presque jamais ; mais cette nourriture céleste, nous la négligeons, nous la rebutons, nous n'en usons qu'avec dégoût ; mais ce soutien de nos âmes, souvent par de sacrilèges profanations, nous nous en faisons un poison ; en sorte que ce qui devait être notre salut, devient notre mort : ainsi renversons-nous toutes les vues de Jésus-Christ, et abusons-nous de ses grâces contre lui-même et contre nous.

 

Enfin, on le renonce jusque dans ses disciples et dans ses sectateurs. Quoiqu'il n'y ait plus, comme autrefois, de tyrans qui persécutent l'Eglise de Jésus-Christ, il y a néanmoins, dans l'Eglise même, une espèce de persécution moins sanglante, mais du reste non moins dangereuse, qu'ont à soutenir les vrais chrétiens. Il semble que ce soit une honte dans le monde de se conduire selon les principes de la religion, et d'en pratiquer les devoirs. Qu'une personne prenne le parti de la piété, qu'elle en fasse une profession particulière ; qu'une femme se détache de ses habitudes, et qu'elle se réduise à une vie moins mondaine et plus conforme à l'esprit de l'Evangile ; qu'un homme refuse de s'engager dans une affaire, parce qu'elle lui paraît délicate pour la conscience et qu'elle blesse la pureté de la loi chrétienne, cela suffit pour être exposé à mille discours et à mille jugements : d'où il arrive que, comme aux premiers siècles de l'Eglise, les fidèles qui confessaient Jésus-Christ étaient souvent dans la nécessité de se cacher, pour se mettre à couvert des arrêts et des violences de leurs persécuteurs, ceux maintenant qui veulent vivre selon les règles et la sainteté de la foi qu'ils professent sont quelquefois dans une espèce d'obligation de dérober leurs pieuses pratiques et leurs bonnes œuvres à la connaissance du public, pour se garantir de la malignité des chrétiens même et de leur mépris.

 

Voilà donc le renoncement le plus universel, et il est encore évident que c'est le renoncement le plus criminel. Car, comme la qualité d'apôtre dont Pierre était revêtu ne servit qu'à redoubler le crime de sa désertion, ainsi la qualité de chrétiens dont nous sommes honorés n'a point d'autre effet alors que de nous rendre plus coupables devant Dieu, et plus condamnables. Il est vrai, et il en faut convenir, tout ce qu'il y a eu d'infidèles ont renoncé Jésus-Christ ; ils s'en sont hautement déclarés, et quelque différents qu'ils fussent de secte et de religion, ils sont tous convenus en ce point, de faire la guerre à cet Homme-Dieu : Convenerunt in unum adversus Dominum et adversus Christum ejus (Psal., II, 2.). Mais, après tout, il y a là-dessus une réflexion à faire, qui est essentielle : c'est que ces infidèles, qui se sont ligués contre le Fils de Dieu, ne le connaissaient pas pour ce qu'il était,et qu'ils n'y avaient pas la même créance que nous. Si donc, par exemple, les païens l'ont renoncé dans sa personne et dans sa divinité, c'est qu'en effet ils ne le regardaient pas comme un Dieu, et qu'ils traitaient les honneurs divins qu'on lui rendait de superstition et de profanation. En cela ils étaient aveugles, et malheureux dans leur aveuglement ; ils étaient même coupables ; mais du reste, tout coupables qu'ils pouvaient être, ils agissaient conséquemment, et péchaient autant par erreur que par une malice délibérée. Si les Pharisiens l'ont renoncé dans sa doctrine et dans sa loi, c'est qu'ils ne le prenaient pas pour le Messie et l'envoyé de Dieu, et que, trop prévenus en faveur de la loi de Moïse, ils rejetaient comme une loi supposée le nouvel Evangile qu'il leur annonçait. Car, dit saint Paul, s'ils avaient été persuadés qu'il leur parlait de la part de Dieu, et qu'il était Dieu lui-même, ils ne l'auraient pas crucifié. C'était opiniâtreté dans eux de ne pas écouter sa parole, confirmée par tant de miracles, et leur ignorance était inexcusable ; mais enfin l'animosité qu'ils témoignèrent contre lui était une suite naturelle de cette ignorance, et ils ne se portèrent à de si cruels excès, que par un faux principe où ils pensaient être bien fondés. Si les hérétiques l'ont renoncé dans ses principaux mystères, et, pour ne rien dire des autres, si les hérétiques de ces derniers siècles le renoncent dans le sacrement de ses autels, et s'ils refusent de l'y adorer, c'est qu'ils ne croient pas qu'il y soit réellement ; ils se trompent, ils s'égarent, et ils sont condamnables dans leur égarement, parce qu'ils s'obstinent contre les témoignages les plus certains ; mais après tout, selon leur intention, ce n'est pas à lui directement qu'ils s'attaquent, et ils ne manqueraient pas de lui rendre tout l'honneur qu'il mérite, du moment qu'ils viendraient à se détromper, et à s'apercevoir de l'illusion où ils sont engagés.

 

De là il nous est aisé de conclure que, de toutes les contradictions où l'on tombe à l'égard de ce Dieu Sauveur, il n'en est point de plus injurieuse, ni par conséquent de plus criminelle que la nôtre : car en même temps que nous le renonçons, soit dans sa vie et dans ses exemples par une vie toute profane et toute mondaine, soit dans ses souffrances et dans sa croix par notre extrême délicatesse et nos sensualités, soit dans son Evangile et dans sa morale par des maximes et une conduite formellement opposées, soit dans son adorable sacrement et le précieux sacrifice de son corps et de son sang par nos négligences et nos irrévérences, soit dans ses disciples et ses sectateurs par nos mépris et la malignité de nos jugements, nous savons néanmoins, ainsi que la foi nous l'enseigne, que sa vie et ses exemples nous doivent servir de règle ; qu'il a souffert et qu'il est mort sur la croix, pour nous inspirer le détachement de nous-mêmes, l'esprit de patience et de mortification ; que son Evangile est une parole de vérité, et que sa morale contient nos plus essentielles obligations ; qu'il est en personne dans son sacrement, ou plutôt que ce divin sacrement n'est autre chose que lui-même, vrai Dieu et vrai homme ; enfin, que ses disciples et ses sectateurs sont ses élus, ses favoris, et qu'en s'attachant à lui ils ont pris le meilleur parti, et même le seul qu'il y ait à prendre. Or savoir tout cela, et cependant le renoncer en tout cela, n'est-ce pas le traitement le plus indigne et l'injure la plus outrageante ?

 

Voilà ce que nous ne pouvons assez méditer, et c'est à quoi saint Paul exhortait les Hébreux de penser incessamment : Recogitate eum qui talem sustinuit a peccatoribus adverstis semetipsum contradictionem (Hebr., XII, 3.). Mes Frères, leur disait ce grand apôtre, pensez à Celui qui a souffert de la part des pécheurs une telle contradiction. Il ne leur dit pas qu'ils pensent aux affronts et aux outrages que Jésus-Christ a reçut de la part des Pharisiens, ni à la violence du supplice dont ils le firent mourir ; mais à la contradiction des pécheurs, parce que cette contradiction lui est mille fois plus sensible. Il ne leur dit pas seulement : Pensez-y ; mais pensez continuellement : Recogitate ; n'en perdez jamais le souvenir, parce que ce souvenir, bien imprimé dans vos esprits, y produira des fruits infaillibles de conversion. Occupons-nous sans cesse nous-mêmes de cette pensée, conservons-la, entretenons-la dans notre cœur : Recogitate.

 

A force de nous représenter souvent le désordre d'une contradiction qui dément toute notre toi, nous en concevrons de l'horreur, nous nous humilierons en la présence de Jésus-Christ, nous lui dirons : Ah ! Seigneur, il n'est que trop vrai, et je suis obligé de le reconnaître a ma confusion, j'ai contredit votre loi, j'ai contredit vos actions, je vous ai contredit en tout ce que vous avez voulu être pour moi ; et en vous contredisant de la sorte, je me suis contredit moi-même : car il ne m'était pas possible d'être bien d'accord avec moi-même, tandis que j'étais en contradiction avec vous ; et voilà ce qui a fait le trouble de mon âme. Si j'avais été tout à fait athée et sans religion, j'aurais eu du moins quelque sorte de paix dans les dérèglements de ma vie ; mais ce reste de foi que je n'ai point perdu, joint au désordre de ma conduite, a fait naître dans mon esprit des contradictions qui m'ont jeté en de cruelles inquiétudes. Ainsi, Seigneur, ou je dois me conformer désormais à vous, ou il faut renoncer à mon propre repos et à mon bonheur éternel ; car que puis-je attendre en contredisant et en renonçant l'auteur de mon salut, sinon d'en être à jamais renoncé moi-même et réprouvé ?

 

Jésus-Christ renoncé par les mauvais chrétiens, c'a été le premier point ; mais aussi les mauvais chrétiens renoncés par Jésus-Christ, c'est l'autre point, dont nous devons être d'autant plus touchés qu'il y a plus de quoi nous intéresser.

 

BOURDALOUE

EXHORTATION SUR LE RENIEMENT DE SAINT PIERRE

 

The Denial of St Peter

Le Reniement de Saint Pierre, Le Caravage

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