Les voitures publiques dans la ville de Paris - Il n’y a que les fardiers qui lui résistent

Les cochers et les conducteurs d’omnibus sont, comme les cochers de fiacre, soumis à la double autorité de leur administration et de la préfecture de police.

 

Les peines disciplinaires sont les mêmes : l’amende, la mise à pied et l’exclusion. Ils gagnent quatre francs par jour pendant les premières années de service, et cinq francs au bout de trois ans. Une mesure récente (1867), inspirée par le haut prix des denrées alimentaires, vient d’accorder à chacun des agents subalternes de l’entreprise une indemnité de pain de dix centimes par jour. C’est un bon état, facile, régulier, sans morte-saison, et qui profite de tous les avantages que l’administration offre à ses employés : soins gratuits de médecin, vêtements au prix coûtant, caisse de retraite, caisse de secours.

 

Aussi les demandes d’admission sont nombreuses, et il ne se passe pas d’année que le secrétariat de l’entreprise n’en ait douze ou quinze cents à enregistrer. On est difficile pour les cochers, et l’on a raison. Il faut une habileté spéciale pour conduire adroitement ces lourdes voitures dans les rues de Paris, où l’obstacle renaît sans cesse, où l’embarras se multiplie de minute en minute.

 

L’omnibus à une telle ampleur que les autres voitures l’évitent avec soin et se rangent promptement à son approche. Dans les rencontres les plus violentes, il est rarement ébranlé : mole sua stat. Toute voiture, coupé, calèche, charrette, pirouette à son choc ; il n’y a que les fardiers qui lui résistent ; aussi il les respecte et leur cède sans discussion le haut du pavé. Les accidents causés par les omnibus sont relativement assez rares ; on a calculé qu’il s’en produisait un pour 4 800 kilomètres parcourus, et j’appelle accident tout ce qui peut donner lieu à un rapport, une vitre brisée aussi bien qu’une voiture défoncée, un essieu tordu aussi bien qu’un homme écrasé ; en somme, les accidents frappant les personnes et pouvant entraîner une incapacité de travail sont de un par jour ; ceux qui atteignent les voitures et qui méritent d’être signalés sont au nombre de deux.

 

Il fut un temps où les omnibus subissaient eux-mêmes des accidents graves et souvent irréparables. C’était dans les jours d’émeute. L’omnibus qui pouvait sain et sauf regagner son dépôt, avait été favorisé du ciel ; à tous les coins de rue, les insurgés le guettaient ; on se jetait à la tête des chevaux, on les arrêtait, on faisait descendre les voyageurs, en ayant soin d’offrir galamment la main aux dames, on laissait au cocher le temps de dételer ; puis la voiture, en deux coups d’épaule, était jetée bas, les roues en l’air ; on l’assurait de quelques pavés, on la flanquait de deux ou trois tonneaux remplis de sable ; au sommet de son timon, redressé comme un mât, on arborait un drapeau, et la barricade était faite. L’omnibus devenait ainsi un instrument de désordre ou de victoire, selon les péripéties de la journée.

 

L’année 1848 a coûté cher à la Compagnie, qui s’en souvient encore avec une certaine amertume.

 

 

Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

Un fardier d'une trentaine de chevaux achemine La Savoyarde à Montmartre le 16 octobre 1895

Un fardier d'une trentaine de chevaux achemine La Savoyarde à Montmartre le 16 octobre 1895

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