Les voitures publiques dans la ville de Paris - La catacombe des parapluies

La fourrière n’est pas le seul local où l’on dépose les épaves ; il en est un autre spécialement destiné à recevoir les objets oubliés dans les voitures de louage ; il est situé à la préfecture de police même et ne chôme guère : c’est un va-et-vient perpétuel.

 

D’après les règlements, tout cocher doit, sous peine de contravention, visiter sa voiture lorsqu’un voyageur en descend et déposer à son administration les objets qu’il a pu y trouver. Celle-ci les envoie à la préfecture. Chacun de ces objets, quel qu’il soit, est inscrit sur un registre, porte un numéro d’ordre particulier, plus le numéro de la voiture où il a été laissé, et est rangé dans un casier qui est le contraire du tonneau des Danaïdes, car il se remplit toujours et ne se vide jamais. J’y ai vu bien des parapluies, bien des manchons, bien des sacs, bien des lorgnettes, et un portefeuille qui renfermait 6 500 francs. Si l’objet déposé contient une indication quelconque qui permette de reconnaître le propriétaire, on écrit immédiatement à ce dernier afin de le prévenir.

 

Le bureau des objets trouvés dans les voitures serait vite encombré ; aussi, tous les mois, il verse au dépôt central tout ce qui n’a pas été légitimement repris. Ce dépôt est curieux : c’est une série de pièces obscures, espèces de caves situées au rez-de-chaussée, et où le gaz doit être incessamment allumé. C’est la catacombe des parapluies, jamais je n’en ai tant vu ; ils sont par bottes, en chantier comme des fagots ; chacun d’eux est muni d’une étiquette indicative. La comptabilité est fort bien tenue et varie selon que les objets ont été trouvés dans des voitures de louage, dans des omnibus, dans des wagons de chemins de fer, dans des hôtels garnis, sur la voie publique ou qu’ils proviennent de contraventions. Il y a un registre particulièrement affecté aux parapluies. Les restitutions sont en moyenne de 40 pour 100 ; cependant au mois de mars 1867 le dépôt central gardait 19 636 objets trouvés dans les voitures pendant l’année 1866 et qui n’ont pas encore été réclamés ; sur ce nombre, il faut compter 6 225 parapluies. Tout est enregistré, contrôlé, catalogué. Chaque objet, quel qu’il soit, fût-ce un gant dépareillé, à sa feuille d’entrée, sa place désignée, son bulletin de sortie ou son procès-verbal de livraison au domaine, qui devient propriétaire définitif au bout de trois ans.

 

Il est triste d’avoir à constater, mais il est certain, que l’étroite surveillance dont les cochers sont l’objet, les a rendus plus honnêtes que par le passé. Leur probité s’est accrue en proportion exacte du contrôle. Aussi les cochers fidèles, dont jadis on faisait des enseignes de cabaret, sont moins rares aujourd’hui qu’autrefois. Le diable n’y perd rien sans doute ; mais s’ils enragent d’être forcés à de pénibles restitutions, ils ont du moins plus de philosophie qu’un cocher russe dont on m’a conté l’histoire. M. X. gagne trente mille roubles au jeu ; à minuit, il quitte la réunion où il était, monte dans un coupé de louage qu’il avait pris au mois, rentre chez lui et s’aperçoit aussitôt qu’il a oublié ses billets de banque sur les coussins de la voiture. Il court à la remise, trouve le cocher occupé à donner l’avoine à son cheval, ouvre le coupé et y reprend les 30 000 roubles qui n’avaient même pas été aperçus. À cette vue, le cocher se frappe la tête, saisit un licou, le passe dans une des poutres de l’écurie et se pend de désespoir d’avoir manqué une si bonne aubaine.

 

La Compagnie générale et la préfecture de police font ce qu’elles peuvent pour assurer le service des voitures de louage, auquel la population parisienne est accoutumée maintenant, qui n’est pas parfait, mais qui s’améliore chaque jour en raison directe de l’expérience et de la bonne volonté de ceux qui le dirigent. Mes contemporains, j’entends ceux dont les souvenirs d’enfance remontent à plus de trente ans, peuvent être frappés comme moi des progrès remarquables que l’organisation des voitures de place a faits à Paris. Ces progrès, il serait ingrat de ne pas les reconnaître et injuste de ne pas les signaler.

 

 

Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

La préfecture de police de Paris, photographie de la  Société des archives photographiques d'art et d'histoire, 1932

La préfecture de police de Paris, photographie de la Société des archives photographiques d'art et d'histoire, 1932

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