Les voitures publiques dans la ville de Paris - Loger cette cavalerie considérable

Pour conduire tant de voitures, les mettre toujours à même de sortir et ne pas laisser en souffrance les besoins qu’elles ont mission de servir, il faut une cavalerie considérable ; celle de la Compagnie générale se composait, en 1866, de 10 741 chevaux, dont la valeur moyenne varie entre 650 et 800 francs. Chaque voiture a un relais, de sorte que les chevaux se reposent de deux jours l’un ; de plus, comme il faut prévoir les accidents et les maladies, un certain nombre de chevaux est constamment tenu en réserve aux écuries de manière à combler immédiatement les vides qui peuvent se produire. Il faut du temps pour bien dresser un cheval à ce métier pénible d’être toujours dehors, de manger à des heures irrégulières, de trotter sur le pavé par le soleil, la pluie, la poussière et la neige, de rester à demi endormi debout entre les brancards.

 

On procède lentement, par fatigues successives ; un quart de journée d’abord, puis une demie, puis un peu plus et enfin la journée entière de sept heures du matin à minuit. Il faut une extrême prudence dans cette éducation première ; si on l’active plus que de raison, si l’animal est surmené trop tôt, il meurt. On nourrit les chevaux avec un grand soin, car c’est l’intérêt de la Compagnie de leur donner le plus de forces possible. En 1806, les fourrages consommés ont représenté la somme de 9 115 750 fr. 88, c’est-à-dire près de 25 000 francs par jour : 7 fr. 64 par voiture et 2 fr. 42 par ration. On ne ménage ni le foin ni l’avoine ; on va jusqu’à l’orge, jusqu’aux féveroles, et l’on ne recule même pas devant l’emploi des carottes, dont les chevaux sont très friands.

 

Il faut remiser toutes ces voitures et loger cette cavalerie considérable ; aussi la Compagnie possède-t-elle dans Paris même 173 600 mètres de terrain, sur lesquels elle a fait construire dix-neuf dépôts, qui représentent une valeur de plus de 13 millions de francs ; elle est en outre locataire, dans différents quartiers, de huit vastes bâtiments appropriés à ses besoins et dont les baux annuels sont de 138 281 francs. De plus, elle loue dans les rues centrales et commerçantes 30 stations de remise qu’elle paye 111 160 francs par an. Si à cela on ajoute que la redevance municipale, l’octroi, les contributions de toute sorte montent à la somme de 2 146 266 francs, on comprendra que la Compagnie générale est accablée par des charges très lourdes et qu’il lui faut recevoir le prix de bien des heures, de bien des courses de voiture pour faire face à tant d’obligations.

 

Ses bénéfices sont toujours aléatoires et soumis aux variations souvent excessives du prix des fourrages. En 1864, les fourrages ont été bon marché : chaque voiture coûtant 13 fr. 42 par jour et ayant rapporté 14 fr. 55, il y eut un gain de 1 fr. 23 ; mais en 1865, les fourrages ayant été très-chers, la dépense a été de 15 fr. 27 ; la recette, il est vrai, s’est élevée à 14 fr. 67 ; mais la différence constitue une perte sèche et quotidienne de 0 fr. 60. C’est peu que 0 fr. 60 ; mais l’année a 365 jours, l’exploitation a 3 200 voitures et le total arrive à la somme considérable de 700 800 francs. Ce sont là des inconvénients graves, que nulle prévision humaine ne saurait empêcher de se produire ; peut-être la Compagnie arriverait-elle à en diminuer l’importance, maintenant qu’elle n’est plus soumise aux mesures restrictives qui contre-balançaient la valeur de son monopole, en transportant ses dépôts hors des fortifications et en économisant ainsi les 600 000 francs qu’elle paye annuellement à l’octroi ; mais il lui faudrait alors acquérir de nouveaux terrains, vendre ceux qu’elle possède, opérer par conséquent un remaniement complet dans son administration, dans ses façons d’agir, et placer ses remises et ses écuries bien loin des centres populeux qu’elle doit desservir.

 

 

Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

Grand dépôt des Batignolles à Paris XVIIe

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