La cathédrale Notre-Dame de Paris - C'est alors qu'on a le sentiment de sa grandeur

Cet ensemble, la rose qui s'ouvre entre les tours, les baies inférieures de ces tours, resplendissaient de couleurs et de dorures dont on voit encore de nombreuses traces.

 

En 1490, un évêque arménien nommé Martyr, étant venu en France, a laissé une relation de son voyage. Ce prélat, qui avait vu un grand nombre de monuments et qui devait être habitué aux splendeurs des églises d'Orient, est émerveillé devant la grandeur majestueuse et la richesse de cette façade de Notre-Dame, éclatante de couleur et d'or.

 

Il faut s'arrêter un moment devant en face des vantaux des deux portes de la Vierge et de Sainte-Anne, couverts de pentures en fer forgé d'un merveilleux travail. La légende prétend que le serrurier qui s'était chargé de ferrer ces portes, désespérant de réussir dans l'ouvrage qu'il avait entrepris, s'adressa au diable, lequel consentit à faire les pentures à la condition, bien entendu, de se payer avec l'âme du forgeron. Le marché portait que les trois portes seraient ferrées. Le diable remplit exactement les conditions du marché ; les deux portes latérales furent ferrées sans difficulté, mais impossible de poser les pentures sur les vantaux de la porte centrale, parce que c'est par cette porte que passe le saint Sacrement les jours de procession. Ainsi, toutes les clauses de l'engagement n'ayant pas été remplies, le serrurier garda son âme et le diable en fut pour ses deux portes, qui seules restèrent garnies de leur magnifique ferronnerie. Il faut dire que la légende ne date que du XIVe siècle, et que les pentures appartiennent à la ferronnerie du commencement du XIIIe. Nous espérons que rien ne s'opposera à ce que les pentures de la porte centrale, bientôt terminées, soient attachées aux vantaux qui les attendent depuis si longtemps.

 

C'est au coucher du soleil, pendant les beaux jours, qu'il faut voir le grand portail de Notre-Dame. Son front s'illumine des couleurs les plus chaudes, les verrières semblent jeter des étincelles; ces myriades de figures, ces êtres étranges qui garnissent les galeries, paraissent s'animer comme un mystérieux concert. Rien d'ailleurs, dans cet ensemble, n'est abandonné au hasard ou à la fantaisie, ainsi qu'on le répète trop souvent, ignorants que nous sommes des choses du moyen âge. Tout se tient dans ces grandes compositions ; la science et l'art se prêtent un appui mutuel. L'architecte, le sculpteur, le peintre, le verrier ont travaillé, inspirés par une seule pensée, et s'ils n'ont point, le plus souvent, laissé leur nom sur ces œuvres, ils ont su, bien mieux, y graver ce caractère de grandeur et d'unité dont nous poursuivons vainement l'expression aujourd'hui, préoccupés que nous sommes de notre personnalité et d'un succès éphémère.

 

C'est encore un jour de fête nationale qu'il faut s'acheminer vers Notre-Dame, quand les portes de la grande façade engloutissent cortèges brillants, peuple, soldats, que les cloches sonnent à toute volée, que gronde l'artillerie, et que sous ses larges nefs se répand une mer vivante. C'est alors qu'on a le sentiment de sa grandeur et qu'on ne saurait sans émotion coudoyer ces piliers, témoins impassibles de la vie d'un des peuples les plus agités de la terre. Quand, au-dessus de cette foule, des milliers de lumières dorent l'atmosphère poudreuse, que les vitraux jettent des lueurs nacrées, que résonnent les grandes orgues, la vieille église paraît se réveiller et participer à la vie, aux sentiments du peuple qu'elle abrite.

 

Ce n'est pas par la richesse des marbres, par l'éclat des peintures que ce grand vaisseau séduit les yeux, mais par l'harmonie parfaite de ses lignes, le juste rapport entre l'ensemble et les détails. Fait pour l'homme, le monument le protège, mais ne l'écrase pas sous sa puissante masse par le luxe des matières rares et curieuses. Grand problème d'architecture que ces maîtres du moyen âge ont su résoudre !

 

Autrefois, devant la façade, existait une plate-forme qu'on appelait le Parvis, au niveau du pavé de l'église. Ce parvis clos de barrières, s'élevait de deux mètres environ au-dessus des voies environnantes de la berge de la Seine. On y montait encore par treize marches, du côté de la rivière, au commencement du XVIIe siècle. Peu à peu le sol environnant s'étant élevé, le parvis ne fut plus distingué que par la clôture qui en marquait le périmètre : celle-ci disparut à son tour pendant le dernier siècle. Lorsqu'en 1847 on voulut abaisser le sol de la place pour dégager la façade, on trouva presque immédiatement, sous le pavé, des constructions romaines des bas temps dépendant d'un vaste édifice.

 

Ces constructions s'étendent sous l'église et montrent leurs débris jusque vers le chevet, où furent découverts les curieux fragments de sculpture déposés au musée de Cluny.

 

Fin

 

Eugène-Emmanuel VIOLLET-LE-DUC, Les églises de Paris, NOTRE-DAME, Éditeur : C. Marpon et E. Flammarion, Paris, 1883

 

Notre-Dame de Paris, photographie de Médéric Mieusement, 1892

Notre-Dame de Paris, photographie de Médéric Mieusement, 1892

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