La traversée des rues de Paris sous l'Occupation

19 novembre 1940

 

Je viens de faire une assez curieuse expérience de la lâcheté servile des fonctionnaires de la police. Depuis que les Allemands sont à Paris, les sergents de ville qui les saluent en claquant des talons molestent les Français et les obligent à respecter tous les règlements possibles, notamment ceux relatifs à la traversée des rues. On ne doit traverser les chaussées qu'à certains endroits délimités par des clous. Cet ordre, qui s'explique et qui est raisonnable aux heures d'affluence dans les carrefours fréquentés, n'a pas de raison d'être lorsqu'il n'y a pas de véhicule en vue. Jamais on n'avait embêté les piétons à ce propos. Maintenant, pour bien montrer de platitude à l'égard de l'autorité occupante, les agents se font un malin plaisir de donner des coups de sifflets à la moindre infraction, et ils verbalisent comme animés d'une joie sadique.

Tout à l'heure, me rendant au Palais, j'ai traversé, sans y prendre garde, la place Saint-Michel qui ressemblait à un désert. J'ai entendu siffler et crier. J'ai continué mon chemin comme si je n'entendais pas. Une galopade bruyante de gros souliers cloutés ne m'a pas davantage détourné du chemin défendu.

Et j'ai été interpellé avec une incroyable grossièreté. Alors, me retournant, j'ai négligemment laissé tomber :

- Was ist los ?

Me prenant pour un vainqueur, le gardien de la paix est devenu cramoisi, s'est mis au garde-à-vous, m'a salué et a dit :

- Excusez-moi, Monsieur, ce n'est rien...

Et j'ai continué mon chemin.

 

Maurice Garçon

http://www.lesbelleslettres.com/

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