On sent une réprobation muette seulement

 

22 juillet 1942, Gare d'Austerlitz

 

Tandis que je prends le train qui me conduit à Ligugé, j'aperçois sur le quai voisin un convoi composé de wagons à bestiaux. On y fait monter une multitude d'enfants et quelques femmes qui pleurent. Tous portent l'étoile jaune. Où mène-t-on ces juifs misérables ? Il paraît qu'ils sont tous ou presque d'origine étrangère. Misérable troupeau d'émigrés déjà déracinés et qui repart pour un nouvel exode. Les plus petits, qui ne comprennent pas, rient. Les plus grands ont le regard anxieux. Tout est silencieux.

Autour de moi, dans ce train joyeux qui est rempli de gens partant en vacances, on regarde avec curiosité mais personne ne manifeste très nettement son indignation. On sent une réprobation muette seulement. Par ce temps de terreur, il est trop grave de faire connaître ses sentiments s'ils ne sont pas absolument conformistes.

 

Maurice Garçon, Journal (1939-1945)

On sent une réprobation muette seulement
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