J’ai décidé de devenir écrivain à 25 ans, en 1954, sous le régime communiste de Rákosi. Les camps, la dictature travaillent contre
la construction personnelle de l’individu. Ils tentent de s’y opposer, de la saboter. J’ai lutté en essayant de ne pas rentrer dans la société dans laquelle j’étais enfermé : la journée, je me
déguisais en écrivain populaire, distrayant. Je rédigeais des opérettes. C’était ce qui me faisait vivre financièrement. La nuit, à la maison, je me cachais et j’écrivais Être sans
destin. J’ai commencé à vivre vraiment à partir du jour où j’ai su ce que je voulais écrire.
Je souhaite que l’homme devienne lui-même, envers et contre tout. Aujourd’hui, nous sommes entourés
d’individus 'fonctionnels' qui ne vivent pas leur propre vie. Ils vivent leur 'fonction'. Et quand cette dernière change, ils changent. C’est tout. Il n’existe plus – ou peu – d’hommes
tragiques, c’est-à-dire d’êtres qui disposent de leur propre sort, qui l’établissent pour eux-mêmes. J’aimerais que l’être humain refuse de devenir une pièce d’une grande machine sans âme. Je
pense qu’il faut essayer de se construire soi-même, quel que soit le système qui nous entoure, en se regardant le plus lucidement possible.
Je me suis réalisé dans un univers mensonger en essayant d’être clairvoyant sur moi-même. J’ai l’impression d’y être parvenu, même si je ne suis pas sûr que ce soit le cas et que tout ait été fait pour que je n’y arrive pas. Au fond, la tâche est la même pour chacun d’entre nous. C’est une obligation d’être juste et vrai vis-à-vis de soi face à l’hypocrisie collective. C’est difficile, voire impossible, mais c’est ce vers quoi tend mon travail. D’ailleurs, si je refuse d’employer le terme d’autobiographie et que j’affirme écrire de la fiction, c’est aussi parce que je sais qu’il est difficile de se voir tel que l’on est. Le souci de vérité est ma clé.
Imre Kertész (extrait d'un entretien avec Hélène Fresnel)
" S'il y a un destin, la liberté n'est pas possible, si, au contraire la liberté existe, alors il n'y a pas de destin, c'est-à-dire qu'alors nous sommes nous-mêmes le destin."
Jeune homme avec un chapeau à la main, Boris Zaborov
Imre Kertész