L'Annonciation de la Très Sainte Vierge

C'est en parlant à un roi impie qui refusait un prodige que Dieu daignait lui offrir, en signe de sa miséricordieuse protection sur Jérusalem, que le Prophète annonce à Juda la sublime merveille qui s'accomplit aujourd'hui : Une vierge concevra et enfantera un fils. C'est dans un siècle où le genre humain semblait avoir comblé la mesure de tous ses crimes, où le polythéisme et la plus affreuse dépravation régnaient par toute la terre, que le Seigneur réalise ce prodige. La plénitude des temps est arrivée ; et cette antique tradition qui a fait le tour du monde : qu'une Vierge deviendrait mère, se réveille dans le souvenir  des peuples.

 

En ce jour où un si profond mystère s'est accompli, révérons la puissance du Seigneur, et sa fidélité à ses promesses. L'auteur des lois de la nature les suspend pour agir lui-même ; la virginité et la maternité s'unissent dans une même créature : c'est qu'un Dieu va naître. Une Vierge ne pouvait enfanter qu'un Dieu : c'est pourquoi le fils de Marie aura nom Emmanuel, Dieu avec nous.

 

Adorons dans son infirmité volontaire le Dieu créateur du monde visible et invisible, qui veut désormais que toute créature confesse non seulement sa grandeur infinie, mais encore la vérité de cette nature humaine qu'il daigne prendre pour nous sauver. A partir de cette heure, il est bien le Fils de l’Homme : neuf mois il habitera le sein maternel, comme les autres enfants ; comme eux après sa naissance, il goûtera le lait et le miel, et sanctifiera tous les états de l'humanité : car il est l'homme nouveau qui a daigné descendre du ciel pour relever l'ancien. Sans rien perdre de sa divinité, il vient subir toutes les conditions de notre être infirme et borné, afin de nous rendre à son tour participants de la nature divine.

 

L'Annonciation par Philippe de Champaigne 

 

 " Voici la servante du Seigneur : qu'il me soit fait selon votre parole."

Par ces dernières paroles, ô Marie, notre sort est fixé. Vous consentez au désir du Ciel et votre acquiescement assure notre salut. Ô Vierge! ô Mère ! bénie entre les femmes, recevez les actions de grâces du genre humain. Par vous, notre ruine est réparée, en vous notre nature se relève, car vous êtes le trophée de la victoire de l'homme sur son ennemi.

 

Réjouis-toi, ô Adam, notre père, mais triomphe surtout, toi notre mère, ô Eve ! vous qui, ancêtres de nous tous, fûtes aussi envers nous tous des auteurs de mort : meurtriers de votre race avant d'en être les pères. Consolez-vous désormais en cette noble fille qui vous est donnée ; mais, toi surtout, ô Eve ! sèche tes pleurs : toi de qui le mal sortit au commencement, toi qui jusqu'aujourd'hui avais communiqué ta disgrâce à ton sexe tout entier. Voici l'heure où cet opprobre va disparaître, où l'homme va cesser d'avoir droit de se plaindre de la femme. Un jour, cherchant à excuser son propre crime, il fit tout aussitôt peser sur elle une accusation cruelle : "La femme que j'ai reçue de vous, dit-il à Dieu, cette femme m'a donné du fruit ; et j'en ai mangé. Ô Eve, cours donc à Marie ; mère, réfugie-toi près de ta fille. C'est la fille qui va répondre pour la mère ; c'est elle qui va a enlever la honte de sa mère, elle qui va satisfaire pour la mère auprès du père : car si c'est par la femme que l'homme est tombé, voici qu'il ne peut plus se relever que par la femme. Que disais-tu donc, ô Adam ? La femme que j'ai reçue de vous m'a donné du fruit ; et j'en ai mangé. Ces paroles sont mauvaises ; elles augmentent ton péché ; elles ne l'effacent pas. Mais la divine Sagesse a vaincu ta malice ; elle a pris dans le trésor de son inépuisable bonté le moyen de te procurer un pardon qu'elle avait essayé de te faire mériter, en te fournissant l'occasion de répondre dignement à la question qu'elle t'adressait. Tu recevras femme pour femme : une femme prudente pour une femme insensée ; une femme humble pour une femme orgueilleuse ; une femme qui, au lieu d'un fruit de mort, te présentera l'aliment de la vie ; qui, au lieu d'une nourriture empoisonnée, enfantera pour toi le  fruit des délices éternelles. Change donc en paroles d'actions de grâces ton injuste excuse, et dis maintenant : Seigneur, la femme que j'ai reçue de vous m'a donné du fruit de l'arbre de vie, et j'en ai mangé ; et ce fruit a été doux à ma bouche : car c'est en lui que vous m'avez rendu  la vie.

 

Nous ne terminerons pas cette grande journée sans avoir rappelé et recommandé ici la pieuse et salutaire institution que la chrétienté solennise chaque jour dans tout pays catholique, en l'honneur de l'auguste mystère de l'Incarnation et de la divine maternité de Marie. Trois fois le jour, le matin, à midi et le soir, la cloche se fait entendre, et les fidèles, avertis par ses sons, s'unissent à l'Ange Gabriel pour saluer la Vierge-Mère, et glorifier l'instant où le propre Fils de Dieu daigna prendre chair en elle.

 

La terre devait bien cet hommage et ce souvenir de chaque jour à l'ineffable événement dont elle fut l'heureux témoin un vingt-cinq mars, lorsqu'une attente universelle avait saisi les peuples que Dieu allait sauver à leur insu.

 

 Depuis, le nom du Seigneur Christ a retenti dans le monde entier ; il est grand de l'Orient à l'Occident ; grand aussi est celui de sa Mère. De là est né le besoin d'une action de grâces journalière pour le sublime mystère de l'Annonciation qui a donné le Fils de Dieu aux hommes. Nous rencontrons déjà la trace de ce pieux  usage au XIVe siècle, lorsque Jean XXII ouvre le trésor des indulgences en faveur des fidèles qui  réciteront l’Ave Maria, le soir, au son de la cloche qui  retentit pour les inviter à penser à la Mère de Dieu.

 

Au XVe siècle, nous apprenons de saint Antonin, dans sa Somme, que la sonnerie avait déjà lieu soir et matin dans la Toscane. Ce n'est qu'au commencement du XVIe siècle que l'on trouve sur un document français cité par Mabillon le son à midi venant se joindre à ceux du lever et du coucher du soleil.  Ce fut en cette forme que Léon X approuva cette dévotion,  en 1513, pour l'abbaye de Saint-Germain des  Prés,  à Paris. Dès  lors  la chrétienté tout entière accepta le pieux usage avec ses développements ; les Papes multiplièrent les indulgences ;  après  celles  de Jean XXII et de Léon X, le XVIIIe siècle vit publier celles de Benoit XIII ; et telle parut l'importance de cette pratique que Rome statua qu'en l'année du jubilé, où toutes les indulgences, sauf celles du pèlerinage de Rome, demeurent suspendues, les trois salutations sonnées en l'honneur de Marie, le matin, à midi et le soir, continueraient chaque jour  de convier tous les fidèles à s'unir dans la glorification du Verbe fait chair.  Quant à Marie, l'Epouse du  Cantique, l'Esprit-Saint semblait avoir désigné à l'avance les trois termes de cette touchante dévotion, en nous invitant à la célébrer, parce qu'elle est douce "comme l'aurore" à son lever, resplendissante "comme le soleil" en son midi, et belle "comme la lune" au reflet argenté.

 

Ô Emmanuel, Dieu avec nous, qui, comme chante votre Eglise, "ayant entrepris de  délivrer l'homme, avez daigné descendre au sein d'une vierge pour y prendre notre nature", le genre humain tout entier salue aujourd'hui votre miséricordieux avènement.

 

Verbe éternel du Père, ce n'est donc pas assez pour vous d'avoir tiré l'homme du néant par votre puissance ; votre inépuisable bonté vient le poursuivre jusque dans l'abîme de dégradation où il est plongé. Par le péché, l'homme était tombé au-dessous de lui-même ; et, afin de le faire remonter aux destinées divines pour lesquelles vous l'aviez formé, vous venez en personne vous revêtir de sa substance, et le relever jusqu'à vous. En vous, aujourd'hui et pour jamais, Dieu se fait homme, et l'homme est fait Dieu.

 

Accomplissant divinement les promesses du sacré Cantique, vous vous unissez à la nature humaine, et c'est au sein virginal de la fille de David que vous célébrez ces noces ineffables. Ô abaissement incompréhensible ! ô gloire inénarrable ! l’anéantissement est pour le Fils de Dieu, la gloire pour le fils de l'homme. C'est ainsi que vous nous avez aimés, ô Verbe divin, et que votre amour a triomphé de notre dégradation. Vous avez laissé les anges rebelles dans l'abîme que leur orgueil a creusé ; c'est sur nous que votre pitié s'est arrêtée. Mais ce n'est point par un de vos regards miséricordieux que vous nous avez sauvés ; c'est en venant sur cette terre souillée, prendre la nature d'esclave, et commencer une vie d'humiliation et de douleurs.

 

Verbe fait chair, qui descendez pour sauver, et non pour juger, nous vous adorons, nous vous rendons grâces, nous vous aimons, rendez-nous dignes de tout ce que votre amour vous a fait entreprendre pour nous.

 

 Nous vous saluons, ô Marie, pleine de grâce, en ce jour où vous jouissez du sublime honneur qui vous était destiné. Par votre incomparable pureté, vous avez fixé les regards du souverain Créateur de toutes choses, et par votre humilité vous l'avez attiré dans votre sein ; sa présence en vous accroît encore la sainteté de votre âme et la pureté de votre corps. Avec quelles délices vous sentez le Fils de Dieu vivre de votre vie, emprunter à votre substance ce nouvel être qu'il vient prendre pour notre amour ! Déjà est formé entre vous et lui ce lien ineffable que vous seule avez connu : il est votre créateur, et vous êtes sa mère ; il est votre fils, et vous êtes sa créature. Tout genou fléchit devant lui, ô Marie ! car il est le grand Dieu du ciel et de la terre ; mais toute créature s'incline devant vous : car vous l'avez porté dans votre sein, vous l'avez allaité ; seule entre tous les êtres, vous pouvez, comme le Père céleste, lui dire : "Mon fils !"

 

Ô femme incomparable, vous êtes le suprême effort de la puissance divine : recevez l'humble soumission de la race humaine qui se glorifie, en présence même des Anges, de ce que son sang est le vôtre, et votre nature la sienne. Nouvelle Eve, fille de l'ancienne, mais sans le péché ! par votre obéissance aux décrets divins, vous sauvez votre mère et toute sa race ; vous rétablissez dans l'innocence primitive votre père et toute sa famille qui est la vôtre. Le Sauveur que vous portez nous assure tous ces biens ; et c'est par vous qu'il vient à nous ; sans lui, nous demeurerions dans la mort ; sans vous, il ne pouvait nous racheter. Il puise dans votre sein virginal ce sang précieux qui sera notre rançon, ce sang dont sa puissance a protégé la pureté au moment de votre conception immaculée, et qui devient le sang d'un Dieu par l'union qui se consomme en vous de la nature divine avec la nature humaine.

 

 Aujourd'hui s'accomplit, ô Marie, l'oracle du Seigneur qui annonça, après la faute, "qu'il établirait une inimitié entre la femme et le serpent". Jusqu'ici le genre humain tremblait devant le dragon infernal ; dans son égarement, il lui dressait de toutes parts des autels ; votre bras redoutable terrasse aujourd'hui cet affreux ennemi. Par l'humilité, par la chasteté, par l'obéissance, vous l'avez abattu pour jamais ; il ne séduira plus les nations. Par vous, libératrice des hommes, nous sommes arrachés à son pouvoir ; notre perversité, notre ingratitude pourraient seules nous rejeter sous son joug. Ne le souffrez pas, ô Marie ! venez-nous en aide ; et si, dans ces jours de réparation, nous reconnaissons à vos pieds que nous avons abusé de la grâce céleste dont vous fûtes pour nous le sublime moyen, aujourd'hui, en cette fête de votre Annonciation, ô Mère des vivants, rendez-nous la vie, par votre toute-puissante intercession auprès de celui qui daigne aujourd'hui être votre fils pour l'éternité.

 

Fille des hommes, ô notre sœur aimée, par la salutation que vous adressa Gabriel, par votre trouble virginal, par votre fidélité au Seigneur, par votre prudente humilité, par votre acquiescement qui nous sauva, nous vous en supplions, convertissez nos cœurs, rendez-nous sincèrement pénitents, préparez-nous aux grands mystères que nous allons célébrer. Qu'ils seront douloureux pour vous, ces mystères, ô Marie ! Que le passage va être rapide des joies de cette journée aux tristesses inénarrables qui vous attendent ! Mais vous voulez qu'aujourd'hui notre âme se réjouisse en songeant à l'ineffable félicité qui inonda votre cœur, au moment où le divin Esprit vous couvrit de son ombre, et où le Fils de Dieu devint aussi le vôtre ; nous demeurons donc, toute cette journée, près de vous, dans votre modeste demeure de Nazareth.

 

Neuf mois encore, et Bethléhem nous verra prosternés, avec les bergers et les Mages, devant l'Enfant-Dieu qui naîtra pour votre joie et pour notre salut ; et nous dirons alors avec les Anges : "Gloire à Dieu dans les hauteurs du ciel ; et sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté !"

 

DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique

 

L'Annonciation par Jacquemart de Hesdin

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