Le Sauveur, aujourd'hui, après avoir lavé les pieds à ses disciples, leur a dit : "Savez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien ; car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi Maître et Seigneur, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné l'exemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi". L' Eglise a recueilli et mis en pratique cette parole; et quoique le précepte qu'elle contient n'ait pas d'autre portée obligatoire que de nous astreindre, par l'exemple même de l'Homme-Dieu, aux procédés de la charité fraternelle, dans tous les siècles on a vu les chrétiens suivre cet exemple à la lettre, et se laver les pieds les uns aux autres.
A l'origine du christianisme, cette action d'humble charité était fréquente ; saint Paul, énumérant les qualités de la veuve chrétienne, recommande à Timothée d'observer si elle a été empressée "à laver les pieds des saints", c'est-à-dire des fidèles. Nous voyons, en effet, cette pieuse pratique en usage au temps des martyrs, et même plus tard, dans les siècles de la paix. Les Actes des Saints des six premiers siècles, les Homélies et les traités des Pères y font mille allusions. Dans la suite, la charité se refroidit, et le lavement des pieds tendit à n'être plus qu'une pratique pour les monastères.
Toutefois de grands exemples étaient donnés de temps en temps, et jusque sur le trône, comme pour empêcher la prescription que l'orgueil humain cherchait à établir contre l'exemple du Rédempteur. La France vit son pieux roi Robert, et plus tard son incomparable saint Louis, laver avec délices les pieds des pauvres. De saintes princesses, une Marguerite d'Ecosse, une Elisabeth de Hongrie et tant d'autres, tinrent à honneur d'imiter à la lettre l'action du Christ. Enfin l'Eglise, qui ne peut rien laisser perdre des traditions que lui a recommandées celui qui est son Chef et son Epoux, a voulu que du moins une fois dans l'année la représentation de l'humilité sublime du Sauveur envers ses serviteurs fût mise sous les yeux des fidèles. Elle veut que, dans chaque église importante, le Prélat, ou le supérieur, honore les abaissements du Fils de Dieu, en accomplissant le rite touchant du lavement des pieds. Le Pontife suprême donne aujourd'hui, comme il convient, l'exemple à toute l'Eglise, dans le palais du Vatican ; et son action est répétée, par ses frères les Evêques, dans le monde entier ; bien plus, dans les cours catholiques, on voit les rois et les reines s'agenouiller aux pieds de leurs sujets, leur laver humblement les pieds, et les combler de pieuses largesses.
Douze pauvres sont ordinairement choisis pour représenter, en cette occasion, les douze Apôtres ; mais le Pontife Romain lave les pieds à treize prêtres de treize nations différentes : ce qui a porté la sainte Eglise, dans son Cérémonial, à exiger ce nombre pour la fonction du lavement des pieds dans les Eglises cathédrales. Cet usage a été diversement interprété. Les uns y ont vu l'intention de représenter le nombre parfait du Collège Apostolique, qui est de treize : le traître Judas ayant été remplacé par saint Mathias, et une disposition extraordinaire du Christ ayant adjoint saint Paul aux Apôtres antérieurement choisis. D'autres sont plus fondés à dire, avec le savant pape Benoit XIV, qu'il faut aller chercher la raison de ce nombre dans un fait de la vie de saint Grégoire le Grand, dont Rome a voulu conserver le touchant souvenir. Cet illustre Pontife lavait chaque jour les pieds à douze pauvres qu'il admettait ensuite à sa table. Un jour, un treizième pauvre se trouva mêlé avec les autres, sans que personne l'eût vu entrer ; ce personnage était un Ange que Dieu avait envoyé afin qu'il témoignât, par sa miraculeuse présence, combien était agréable au ciel la charité de Grégoire.
La cérémonie du lavement des pieds, qui est aussi appelée le Mandatum, à cause du premier mot de l'Antienne que l'on chante à cette fonction, commence par la lecture de l'Evangile de la Messe du Jeudi saint. Après cet Evangile, où est racontée l'action du Sauveur, le Célébrant se dépouille du pluvial ; on le ceint ensuite d'un linge, et il se dirige vers ceux dont il doit laver les pieds. Il s'agenouille devant chacun d'eux, et baise le pied après l'avoir lavé.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique