Présentation de la Vierge au
Temple
Inférieure en solennité aux autres fêtes de Notre-Dame, tardivement inscrite au Cycle sacré, la Présentation semble de préférence réserver chez nous le culte de ses mystères à la contemplation
silencieuse. Dans le silence de leur prière ignorée, les justes gouvernent la terre ; la Reine des saints, la première, fit plus par ses mystères cachés que tous les faux grands hommes dont les
gestes bruyants prétendent constituer la trame des annales du monde.
L'Orient chantait depuis sept siècles au moins l’entrée de la Mère de Dieu dans le temple de Jérusalem, quand pour la première fois, en 1372, Grégoire XI permit qu'elle fût célébrée à la cour
romaine d'Avignon. Or en réponse, Marie brisait les chaînes qui depuis soixante-dix ans retenaient la Papauté captive, et bientôt Grégoire XI rendait à Rome le successeur de
Pierre. Ainsi déjà, au Cycle d'Occident, la Visitation nous était apparue comme le monument de
l'unité reconquise sur le schisme qui suivit l'exil.
Dès l’année 1373, à l'imitation du Pontife suprême, Charles V de France introduisait la fête de la Présentation dans sa chapelle du palais. Par lettres en date du 10 novembre 1374, aux maîtres et
écoliers du collège de Navarre, il exprimait le désir qu'elle fût célébrée dans le royaume entier : Charles, par la grâce de Dieu roi des Francs, à nos bien-aimés : salut en Celui qui ne cesse point d'honorer sa Mère sur la terre. Entre les autres objets de notre
sollicitude, souci journalier et diligente méditation, le premier qui occupe à bon droit nos pensées est que la bienheureuse Vierge et très sainte Impératrice soit honorée par nous d'un très
grand amour et louée comme il convient à la vénération qui lui est due. Car c'est un devoir pour nous de lui rendre gloire ; et nous qui élevons vers elle en haut les veux de notre âme, nous
savons quelle protectrice incomparable elle est pour tous, quelle puissante médiatrice auprès de son béni Fils pour ceux qui l'honorent avec un cœur pur. Et c'est pourquoi, voulant exciter notre
fidèle peuple à solenniser ladite fête comme Nous-même nous proposons de le faire, Dieu aidant, chacune des années de notre vie, nous en adressons l'Office à votre dévotion à cette fin
d'augmenter vos joies.
Ainsi parlaient les princes dans ces temps. Or on sait comment dans ces mêmes années le sage et pieux roi, poursuivant l'œuvre inaugurée à Brétigny par la Vierge de Chartres, sauvait une première fois de l'Anglais la France vaincue et démembrée. Dans l'Etat donc
comme dans l'Eglise, à cette heure si critique pour les deux, Notre-Dame en sa Présentation commandait à l'orage, et le sourire de Marie enfant dissipait la nue.
La nouvelle fête, enrichie d'indulgences par Paul II, s'était peu à peu généralisée, quand saint Pie V, voulant alléger d'un certain nombre d'Offices le calendrier universel, crut devoir la
comprendre en ses suppressions. Mais Sixte-Quint la rétablissait au Bréviaire romain dès l'année 1585, et peu après, Clément VIII l'élevait au rang des Doubles-majeurs. Bientôt clercs et
réguliers prenaient pour coutume de renouveler leurs engagements sacrés en ce jour où leur commune Reine ouvrit devant eux la voie qui conduit par le sacrifice aux prédilections du
Seigneur.
Ecoute, ma fille, et vois, et prête l'oreille ; oublie ton peuple et la maison de ton père, et le Roi convoitera ta beauté. Ainsi, formulant les vœux des filles de Tyr, chantait au
sommet de Moriah l'Eglise de l'attente ; et son regard inspiré perçant l'avenir, elle ajoutait : A sa suite viendront les vierges, ses compagnes ; elles s'avanceront dans la joie et
l'allégresse; elles entreront dans le temple du Roi.
Or donc, salué d'avance comme le plus beau des fils des hommes, ce Roi, qui est le Très Puissant, prélude à ses conquêtes en ce jour ; et son début, selon le mot du Psaume, est admirable, Par la
gracieuse enfant qui à cette heure franchit les degrés du temple, il prend possession de ce temple,
dont le sacerdoce le reniera vainement plus tard ; car cette enfant qu'accueille aujourd'hui le temple est son trône. Dès maintenant, son parfum le précède et l'annonce en la mère au sein de
laquelle l'huile d'allégresse, coulant à flots, doit le faire Christ entre ses frères ; en elle déjà les Anges saluent la Reine dont la virginité féconde enfantera toutes ces âmes consacrées qui
réservent à l'Epoux la myrrhe et l'encens de leurs holocaustes, ces filles des rois qui feront l'honneur de sa cour.
Mais la Présentation de Notre-Dame ouvre encore à l'Eglise d'autres horizons. Au Cycle des Saints, dépourvu des frontières précises qui délimitent celui du Temps, le mystère du séjour de Marie
dans le sanctuaire de l'ancienne alliance prélude, mieux que n'aurait pu faire aucun autre, à la saison si prochaine de l'Avent liturgique.
Marie, conduite au temple pour s'y préparer dans la retraite, l'humilité, l'amour, à ses incomparables destinées, eut aussi pour mission d'y parfaire, au pied des autels figuratifs, la prière de
l'humanité trop impuissante à faire pleuvoir des cieux le Sauveur.
Elle fut, dit saint Bernardin de Sienne, le bienheureux couronnement de toute attente et demande de l'avènement du Fils de Dieu ; en elle, comme en un sommet, tous les désirs des saints qui
l'avaient précédée eurent leur consommation et leur terme.
Par son admirable intelligence des Ecritures, par sa conformité de chaque jour, de toute heure, aux moindres enseignements et prescriptions du rituel mosaïque, Marie découvrait, adorait
partout le Messie sous la lettre ; elle s'unissait à lui, s'immolait avec lui dans chacune des
victimes immolées sous ses yeux ; et ainsi rendait-elle au Dieu du Sinaï l'hommage, vainement attendu jusque-là, de la Loi comprise, pratiquée, fécondée selon la plénitude qu'elle comportait pour
le Législateur. Alors Jéhovah put dire en toute vérité : Comme la pluie descend du ciel et n'y retourne point, mais enivre la terre et lui fait produire ses fruits ; ainsi sera ma parole :
elle ne me reviendra pas inféconde, mais aura heureusement tous les effets que j’ai voulus.
Supplément béni de la gentilité non moins que de la synagogue, Marie dès lors vit dans l'Epouse du Cantique sacré l'Eglise à venir. En notre nom à tous elle adressait à Celui qu'elle savait
devoir être l'Epoux, sans connaître encore qu'elle l'aurait pour fils, les appels d'un amour qui, sur ses lèvres, était bien fait pour obtenir du Verbe divin l'oubli des infidélités passées, des
dérèglements où le monde dévoyé s'abîmait toujours plus.
Arche de l'alliance universelle, combien avantageusement ne remplaçait-elle pas celle des Juifs, disparue avec le premier temple ! C'était pour elle sans le savoir qu'Hérode, le Gentil, avait
repris la construction du second, demeuré comme désert et comme vide depuis Zorobabel ; car le temple, aussi bien que le tabernacle qu'il remplaçait, n'était que l'asile de l'arche destinée à
porter Dieu lui-même : mais garder la réalité fut pour le second temple une gloire plus grande que d'abriter comme le premier la figure.
Les Grecs ont fait choix, comme Leçons de ce jour, des passages de l'Ecriture qui rappellent
l'entrée de l'arche dans le tabernacle au désert, et plus tard dans le temple à Jérusalem. Le synaxaire, ou leçon historique de la solennité, résume les traditions qui nous montrent la
bienheureuse Vierge offerte par ses saints parents dans la troisième année de son âge au temple de Dieu, pour y demeurer jusqu'aux jours où, après douze années écoulées, devait s'accomplir en
elle le mystère du salut.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique