Les Cathédrales de France : Les trois tours de Laon sont comme des étendards

J’ai préludé à ce joli voyage par une visite au Louvre.

 

Une fois de plus, j’ai constaté jusqu’à l’évidence combien les Grecs cherchaient la couleur en même temps que la forme. Il est, du reste, certain que la forme, bien faite, donne la couleur, et vice versa.

Ainsi, la palmette antique, que je vois à côté de ces vasques et de cette victoire, procède du même principe que celles-ci. Les grands sculpteurs, non contents de s’exprimer puissamment par les plans, reçoivent de leur goût infaillible le conseil d’attirer l’attention où il faut, par un accent foncé, une ombre noire, un coup de force, opportunément.

Mais quelle modération dans cette force !

À notre époque, on prodigue tellement les effets qu’il n’y a plus d’effet qui gouverne harmoniquement l’ensemble. Ce ne sont que des violences vaines. Elles avouent la faiblesse.

Cette vertu grecque, la mesure, qui signifie la force consciente, est perdue.

Or, c’était aussi et par excellence la vertu française, aux beaux temps romans, gothiques, Renaissance et suivants, jusqu’au Louis XVI.

 

Admiration profonde devant le porche. Je me sens environné de gloire.

Les trois tours de Laon, vues à distance, sont comme des étendards qui portent au loin le juste orgueil de l’homme.

 

Dès l’entrée dans l’église, quelle préparation ! Les premières communiantes, dans leurs robes et leurs voiles blancs, s’engagent sous le porche… Que de choses à admirer à la fois ! La beauté variée de toutes ces jeunes filles et la sublime ordonnance de l’église…

Déjà la cérémonie commence. Mon regard errait dans les petites chapelles, mais il est distrait par l’agitation rhythmée, gracieuse, harmonieuse, des officiants aux riches costumes et de ce peuple blanc des petites fidèles.

 

Âme française, je te retrouve ! Le sentiment de la mesure juste, je l’ai ici, dans sa libre expansion vivante, comme je l’avais au Louvre dans l’immobilité des antiques.

 

Ces femmes, quels objets sacrés ! Comme elles font à cette forêt de pierres une décoration naturelle ! Comme tout en elles, types, attitudes, vêtements, s’adapte au style de l’édifice, entre avec aisance et se tient dans cette atmosphère !

Oui, les Grecs avaient raison de dire que la beauté est vertu, — cette beauté calme, ennemie de toute violence, grave, retenue, qu’ils aimaient et qu’ils nous ont transmise, la beauté qui dérobe sa force sous le voile délicat de la grâce.

Cette grâce, la leur et la nôtre, c’est le geste souple, agile, facile, de la vigueur, de l’énergie. Cette grâce anime, jusqu’à cette heure, chez nous tout ce qui n’est pas encore irrémédiablement fatigué, vaincu. — Ces jeunes filles, ces jeunes femmes qui m’entourent ne savent pas qu’elles sont de parfaits modèles de grâce.

 

Ô ce charme sacré de la vraie femme, que la grande ville ignore !…

 

 

Auguste RODIN, Les Cathédrales de France, Librairie Armand Colin, 1914, Paris

Chapitre XI, LAON

 

Cathédrale Notre-Dame de Laon

Cathédrale Notre-Dame de Laon

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