Paris possède aujourd’hui vingt-six ponts et même vingt-sept, si l’on compte le pont Saint-Charles, qui sert aux communications des deux rives de l’Hôtel-Dieu.
Sous le gouvernement de Louis-Philippe, la mode était aux ponts suspendus ; on en fit beaucoup trop. Outre le très grave inconvénient qu’ils ont de ne point offrir de passage aux voitures, ils ont prouvé, par l’usage, qu’ils étaient peu solides et résistaient mal au piétinement perpétuel d’une population toujours active et pressée. De toutes les passerelles qui ont été élevées il y a une trentaine d’années, une seule subsiste encore aujourd’hui : c’est la passerelle de Constantine, qui, livrée au public en janvier 1838, réunit le quai Saint-Bernard au quai de Béthune. La révolution de février a rendu aux Parisiens le service considérable d’annuler d’un seul coup tous les péages dont certains ponts étaient grevés ; aujourd’hui toute circulation est libre, l’état a désintéressé les compagnies concessionnaires.
Il existe cependant encore quelques ponts, le pont des Arts et la passerelle de Constantine, qui sont exclusivement réservés aux piétons ; il faut le dire franchement, à une époque comme la nôtre, où nos rues sont à toute heure encombrées par une quantité extraordinaire de voitures, où, malgré de considérables travaux rapidement accomplis, les débouchés sont encore insuffisants, une pareille anomalie, un tel contre-sens est absurde et devrait disparaître sans délai ; autant il était vexatoire d’avoir à payer jadis sur les ponts d’Austerlitz, d’Arcole, des Saints-Pères, des Invalides, autant il est difficile à comprendre qu’on force les voitures à des détours inutiles et préjudiciables, tandis qu’il serait si facile de reconstruire les ponts insuffisants qui leur refusent le passage aujourd’hui.
Depuis le 2 décembre, on a beaucoup fait pour les ponts de Paris ; le second empire en a construit ou reconstruit quinze ; les deux plus importants sont le pont Napoléon, au-dessus de Bercy, et le pont monumental du Point-du-Jour, au-dessous d’Auteuil. Tous deux servent de viaduc au chemin de fer de ceinture, mais ils sont ouverts aussi aux voitures et aux piétons.
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Certes Paris a un système de ponts qui est sans pareil au monde, et je ne sais nulle capitale qui sous ce rapport puisse lui être comparée ; cependant il entre dans les projets de l’autorité municipale de rendre ce système plus complet encore, et d’ouvrir entre les deux rives de la Seine des communications plus faciles et plus larges. — Le terre-plein qui porte la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf, conduit en forme de jetée jusqu’à l’extrémité aval de l’écluse, rejoindrait un pont qu’on doit construire entre le quai Conti et le point d’intersection des quais du Louvre et de l’École, de façon à établir un va-et-vient reliant la rue du Louvre et le futur prolongement de la rue de Rennes, qui, partant de la gare Montparnasse, aboutirait presque en ligne droite au boulevard Poissonnière, si la rue du Louvre est, comme on le dit, poussée jusque-là. Ce n’est pas assez, et une entreprise plus grandiose encore sera mise à exécution lorsque les nouvelles constructions du Louvre seront terminées : un pont de 45 mètres de large, ayant ses trottoirs dans l’axe du pavillon Lesdiguières et du pavillon La Trémouille, irait rejoindre le quai Voltaire, où il s’aboucherait avec une place recevant deux vastes voies qui communiqueraient avec le boulevard Saint-Germain. Dans ce cas-là, le pont des Saints-Pères et le Pont-Royal seraient démolis.
Aujourd’hui tous les ponts sont libres ; les arches, débarrassées des constructions sur pilotis qui les encombraient jadis, offrent à la navigation un passage facile ; les piles portent à la surface de solides anneaux de fer où les bateaux peuvent attacher un grelin qui leur sert à se haler lorsque la remonte est trop pénible ; les fondations sont visitées régulièrement ; dès qu’un ensablement se manifeste sous une arche, vite on amène une drague à vapeur, et l’on rend à la rivière sa profondeur normale. Quelque rapide que soit encore le courant sous le pont Notre-Dame et le Pont-au-Change, il n’offre plus de danger, et les naufrages sont bien plus rares aujourd’hui qu’autrefois.
Faut-il ajouter que les abords des ponts sont encore un rendez-vous pour les pêcheurs à la ligne ? Malgré les bateaux à vapeur qui la fouettent incessamment, la Seine, largement engraissée par les détritus de Paris, est abondante en poisson. Ce qui le prouve, c’est que la pêche au filet depuis Bercy jusqu’à l’ancienne barrière des Bonshommes est affermée annuellement pour la somme de 9,100 francs.
Maxime Du Camp, La Seine à Paris, Revue des Deux Mondes, 1867