La Seine à Paris - On n’allait pas vite et l’on s’arrêtait volontiers à tous les cabarets

« N’avons-nous pas vu, dit Mercier dans son Tableau de Paris, le 1er août 1766, le capitaine Bertholo arriver au Pont-Royal, vis-à-vis les Tuileries, sur son vaisseau de cent soixante tonneaux, de cinquante pieds de quille, et dont le grand mât avait quatre-vingts pieds de hauteur ?» Il en conclut que Paris peut être un port de mer ; mais il ne prévoyait pas que la devise du chemin de fer du Havre, sic Lutetia portus, deviendrait si facilement une vérité. Que dirait-il donc aujourd’hui, s’il voyait ancrés au port Saint-Nicolas les bateaux à vapeur Seine et Tamise qui font un service régulier entre Paris et Londres ?

 

J’aurais voulu donner au lecteur des renseignemens positifs sur cette entreprise qui, en germe du moins, est d’une grande importance ; mais les personnes qui la dirigent n’ont pas pensé que le moment fût venu de la révéler au public. Tout ce que je puis dire, c’est que trois bateaux accomplissant chacun en moyenne quinze voyages par an font la navette entre Londres et Paris, que leur tonnage est au maximum de 400 tonneaux, qu’ils sont à hélice, et que leur construction spéciale, qui sans doute est à trois quilles comme celle des navires employés à la navigation mixte, les rend propres au parcours des fleuves et de la mer.

 

Si le halage à l’aide des chevaux a été remplacé par le touage et la remorque à vapeur, les fameuses galiotes et les coches ont disparu pour toujours devant les bateaux à roues et à hélice. Qui n’a entendu parler du coche d’Auxerre qui a tant fait rire nos grands-parents dans les Petites Danaïdes ? Il arrivait et s’amarrait au quai de la Grève ; c’était, dit-on, une arche immense toute pleine de raisiné, de futailles et de nourrices. On n’allait pas vite, et l’on s’arrêtait volontiers à tous les cabarets qui bordaient le chemin de halage. Il a cédé le pas aux bateaux à vapeur, qui eux-mêmes aujourd’hui ne luttent que bien difficilement contre la redoutable concurrence des chemins de fer.

 

Onze steamers, ayant des départs réguliers et quotidiens, mettent aujourd’hui Paris en communication avec Saint-Cloud, Melun et Montereau ; c’est bien peu pour une ville comme la nôtre, et je ne crois pas cependant que ce genre de transport, très délaissé par les voyageurs, fasse de brillantes affaires. Le bateau qui, allant à Melun, s’arrête à Corbeil, porte encore le surnom qu’on avait donné pendant le XVIe siècle au coche qui faisait le même service ; jouant sur le mot Corbeil, on l’appelle le Corbillard, ce qui prouve qu’une plaisanterie n’a pas besoin d’être bonne pour durer longtemps.

 

 

Maxime Du Camp, La Seine à Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

L'Hirondelle sur la Seine, Paul Signac

L'Hirondelle sur la Seine, Paul Signac

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