La Seine à Paris - Une partie de la population parisienne vit du travail que développe sur nos ports l’arrivée de tant de marchandises et de tant de bateaux

L’exposition universelle a fait naître à Paris une nouvelle industrie fluviale, celle des mouches, petits bateaux à vapeur rapides, pouvant contenir cent cinquante passagers, déjà employés à Lyon et usités depuis bien longtemps à Londres. On eût pu croire que ce service n’était que transitoire et simplement appelé à subvenir aux exigences d’une circonstance exceptionnelle ; l’administration a été plus libérale, elle a voulu qu’il fût définitif, et les mouches ont désormais droit de cité sur la Seine.

 

Une décision du ministre des travaux publics en date du 19 juillet 1866, rendue exécutoire par un arrêté du préfet de police du 10 août 1866, autorise, pour un délai de quinze ans à compter du 1er février 1867, la circulation entre le pont Napoléon et le viaduc d’Auteuil d’un certain nombre de bateaux pour le transport en commun des voyageurs ; le tarif est fixé, depuis le 28 mai 1867, à 25 centimes par place. Ces bateaux seront à la rivière ce que les omnibus sont à nos rues et à nos boulevards ; mais pour qu’ils puissent faire en tout temps un bon service, actif, ininterrompu, vraiment profitable à la population, pour qu’ils ne soient pas, comme nous l’avons vu récemment, en partie neutralisés par les basses eaux, il faut que le barrage de Suresne maintienne la rivière à une hauteur minima invariable : sans cela les pauvres mouches pourront bien briser leurs ailes sur le fond même de la Seine, dont le lit est souvent inhospitalier. Ce n’est pas qu’on ne le surveille avec soin et qu’on ne le cure incessamment pour offrir à la navigation toute la sécurité possible. Dix-huit bateaux dragueurs se portent partout où il est nécessaire d’enlever un banc de sable inopinément formé, de ramasser des vases accumulées ou de ressaisir les pierres tombées d’un chaland maladroit écrasé contre un pont.

 

Lorsque j’aurai dit qu’il existe à Paris 929 bachots, canots, yoles, glissoire, j’aurai parlé, je crois, de toutes les embarcations qui animent la Seine entre Bercy et Auteuil ; mais une partie de la population parisienne vit du travail que développe sur nos ports l’arrivée de tant de marchandises et de tant de bateaux.

 

Indépendamment des mariniers, des pilotes et des conducteurs de trains, il y a des corps d’état qui doivent leur existence à notre marine locale ; il convient de ne pas les passer sous silence. Les coltineurs sont les ouvriers qui, la nuque garantie par un capuchon de forte toile ou de sparterie, portent sur leur tête ou plutôt sur leur cou les fardeaux d’un navire qu’on charge ou qu’on décharge ; les débardeurs font à peu près le même office et deviennent tireurs lorsqu’il s’agit de dépecer les trains de bois ; les dérouleurs sont ceux qui roulent les tonneaux ; il y a aussi les sabliers qui, à l’aide d’une drague à main, extraient le sable du fond de la rivière ; ils ne peuvent exercer leur pénible métier que sur un permis de l’autorité municipale, et d’après l’article 198 de l’ordonnance de police du 25 octobre 1840 ils sont obligés de se tenir à 50 mètres en amont et à 30 mètres en aval des ponts, à 12 mètres des quais et des berges, à 20 mètres des écoles de natation, restrictions excellentes et qui assurent la sécurité de la rivière. Presque tous les tireurs de sable ont un petit bureau où ils reçoivent les commandes que viennent leur faire les jardiniers de Paris. Cette maigre industrie tend à disparaître ; elle est remplacée par les dragueurs à vapeur qui fouillent la Haute-Seine au-dessus de Charenton. A l’heure présente, il n’y a plus à Paris que 19 tireurs de sable.

 

Les déchireurs détruisent, déchirent les bateaux hors de service ; ils ont des ports spéciaux où se fait la mise en pièces : Grenelle, Bercy, la Râpée, Orsay ; encore dans ces divers emplacemens un endroit particulier sévèrement limité leur est réservé. L’inspection générale a la direction immédiate des ouvriers de l’Entrepôt, dont le nombre ne peut réglementairement dépasser cinquante, et des forts du port aux fruits (Grève), qui ne sont que trente en activité pendant la saison des arrivages.

 

 

Maxime Du Camp, La Seine à Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

Les déchargeurs de charbon, Claude Monet, Musée d'Orsay

Les déchargeurs de charbon, Claude Monet, Musée d'Orsay

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