Les céréales viennent relativement en petite quantité par la Seine ; 1866 en a vu arriver 157,250,005 kilogrammes, sur lesquels les blés et farines comptent pour 82,556,269. L’Yonne et ses affluens en amènent la plus grande partie.
C’est encore les chemins de fer qui ont accaparé ce transport, qui jadis appartenait exclusivement aux rivières et aux canaux ; il ne faut pas s’en plaindre : le blé a, dans des wagons bien fermés, moins de chances de s’avarier que dans des bateaux où la plus mince voie d’eau peut pénétrer, et où les rats ne se font pas faute d’y faire de larges brèches. Un riche minotier qui a des moulins célèbres sur la Seine, aux environs de Corbeil, a fait construire sur le quai d’Austerlitz un vaste débarcadère couvert, où les sacs, amenés par une grue pivotante, sont toujours à l’abri de la pluie et du soleil.
Dans les débarquemens faits aux ports de Paris l’année dernière, les fruits ne sont représentés que par le chiffre presque insignifiant, eu égard à la consommation parisienne, de 3,127,650 kilogrammes ; encore faut-il en déduire quelques tonnes de quatre-mendiants et de larges pots de raisiné. L’arrivée des fruits varie naturellement selon les saisons : en automne les raisins, et vers le mois de février les pommes, qu’on apporte à la Grève dans des toues profondes où elles sont jetées au hasard comme des cailloux sur une route. Cette année-ci, il y avait une flottille de plus de trente bateaux chargés de pommes symétriquement rangés devant le quai de l’Hôtel-de-Ville.
Ce sont de très forts bateaux, des chalands solides qui conduisent jusqu’à Paris les matériaux de construction dont, depuis une quinzaine d’années, on fait un si grand usage autour de nous. Le chiffre de cette importation est considérable et s’est élevé pour 1866 à 1,519,269,511 kilogrammes ; il faut dire que la matière est pesante, et les grues à vapeur du quai d’Orsay, où la plus grande partie des pierres de taille est déchargée, n’ont jamais été à pareille fête : elles fument jour et nuit et manœuvrent nuit et jour. Autrefois, du temps de la Grenouillère, c’était en face qu’on recevait cette espèce de matériaux, et le quai de la Conférence, où s’ouvrait le port de l’Evêque, à l’époque où ce dernier avait une ville, est encore désigné dans les plans du commencement de ce siècle sous le nom de Port-aux-pierres-de-Saint-Leu. C’est en effet des carrières qui bordent l’Oise entre Creil et Saint-Leu que la plupart de ces belles pierres arrivaient ; mais aujourd’hui il s’en fait une telle et si prodigieuse consommation pour les églises, les théâtres, les palais, les tribunaux, les préfectures, les casernes et les maisons nouvelles, qu’on en demande un peu partout, et que l’Eure nous en a envoyé l’année dernière près de 400 millions de kilogrammes. L’Yonne, l’Oise, la Loire, le canal de l’Ourcq, ne sont pas restés en arrière et ont rivalisé de zèle avec la rivière normande.
Paris attire et reçoit par la Seine bien d’autres objets qui sont indispensables à la vie quotidienne : des vinaigres, des huiles, des trois-six, des sucres, des cafés, des savons, des fourrages, des poissons, des métaux, des cotons, des faïences, des papiers et des meubles. Tout ce commerce donne à la rivière une activité considérable ; mais nous sommes si actifs nous-mêmes que c’est à peine si nous le remarquons, et peut-être sera-t-on étonné d’apprendre que les débarquemens faits dans le département de la Seine par les 32,507 bateaux ou trains qui ont abordé à ses ports en 1866 représentent un poids de 3,496,624,712 kilogrammes, dont les deux tiers au moins, sinon les trois quarts, étaient à destination de Paris, et que la même année les embarquemens se sont élevés au chiffre de 396,690,048 kilogrammes emportés par 4,795 bateaux vers les pays de haute et de basse Seine.
Nos importations, il faut le reconnaître, sont singulièrement plus considérables que nos exportations ; mais c’est un fait qui n’a pas besoin de commentaires pour être compris.
Maxime Du Camp, La Seine à Paris, Revue des Deux Mondes, 1867