« Le pilori du roi est aux halles de Paris. » Cette phrase, qui se retrouve dans plus d’un vieil historien, apprend à qui les marchés appartenaient avant la révolution. C’était en effet le seigneur justicier qui seul dans les communes avait le droit de faire élever des halles et d’en percevoir le produit. On se montrait jaloux de ce privilège, et il était rare qu’un instrument patibulaire ne se dressât pas, comme un signe de possession redoutable, sur la place même où les marchands apportaient les denrées premières indispensables à la vie. Le prieur du Temple, l’abbé de Sainte-Geneviève, l’abbé de Saint-Germain-des-Prés, avaient aussi leur pilori sur les marchés relevant de leur territoire.
La loi du 28 mars 1790 abolit régulièrement cet usage féodal que la révolution avait renversé dès les premiers jours d’août 1789. Le pilori royal était situé à l’endroit où se fait aujourd’hui la vente à la criée du poisson de mer. C’était une tourelle octogone coiffée d’un toit en éteignoir. Sur la plate-forme, une roue horizontale percée de trous était portée sur un moyeu à pivot. Dans les trous, on faisait entrer la tète et les mains du patient, on mettait la roue en mouvement, et le malheureux était ainsi montré circulairement et méthodiquement aux regards de la foule. Le pilori offrait un spectacle fort recherché de la multitude, car on y exposait le corps des criminels exécutés en place de Grève avant d’aller les pendre aux fourches de Montfaucon.
Près du pilori on voyait le gibet qui servait dans certaines circonstances graves ; c’est là que fut pendu Jean de Montaigu ; plus tard, en 1418, Capeluche, le bourreau de Paris, à qui le duc de Bourgogne avait donné publiquement la main, fut décapité à cette même place. C’est là aussi, sur un grand échafaud construit exprès et tout tendu de noir, que Jacques d’Armagnac périt par le glaive le 4 août 1477.
Entre le pilori et le gibet, une large croix étendait ses bras de pierre. Auprès d’elle, les débiteurs insolvables venaient faire cession de leurs biens et recevoir le bonnet de laine verte que le bourreau lui-même leur mettait sur la tête. La croix des banqueroutiers et le pilori, qui avait été reconstruit en 1562, disparurent pour toujours quelques années avant la révolution, en 1786, au moment où l’on enleva le charnier des Innocents ; du reste il y avait déjà longtemps qu’ils étaient inutiles.
Tous ces souvenirs sont effacés aujourd’hui, et l’on n’en retrouve aucune trace visible dans les halles centrales, qui sont un des monuments les plus curieux de Paris.
Lorsque Paris tout entier était contenu dans l’île de la Cité, un seul marché, le marché Palu, situé à côté d’une église nommée Saint-Germain-le-Vieil, subvenait aux besoins de la petite ville ; mais lorsque les rives de la Seine furent franchies, un nouveau marché s’établit place de Grève, et ne tarda pas à devenir insuffisant. Louis le Gros, voyant sa capitale prendre un grand développement et voulant lui donner un marché digne d’elle, acheta en dehors des murailles et à proximité de la ville un vaste terrain qui appartenait à l’archevêque de Paris. Cet espace, très considérable et alors ensemencé de céréales, s’appelait Campelli ; les rues Croix et Neuve-des-Petits-Champs en consacrent le souvenir encore aujourd’hui.
Les premières constructions furent élevées sur les Champeaux en 1183 par Philippe-Auguste, qui y installa une foire permanente dont il avait racheté le privilège à la maladrerie de Saint-Lazare ; l’emplacement fut alors entouré de murailles dont on fermait les portes tous les soirs, et les marchands purent ainsi être à couvert pendant le mauvais temps. En 1278, Philippe le Hardi, pour secourir «povres femmes et povres pitéables personnes» fît bâtir le long du cimetière des Saints-Innocents des étaux destinés à la vente des chaussures et de la friperie.
Saint Louis augmenta ces constructions, les halles devinrent le rendez-vous de tous les marchands de Paris, et, dit Gilles Corrozet, fut appelé ce marché halles ou alles, parce que chacun y allait, étymologie naïve et qui concorde peu avec l’appellation de aulœ Campellorum qu’on trouve dans les écrivains latins de ce temps-là.
Maxime Du Camp, Les Halles de Paris, Revue des Deux Mondes, 1868