Les Halles de Paris - Les dames de la halle

A cette époque, l’aspect des halles ne ressemblait en rien à celui qu’elles nous présentent aujourd’hui ; on y trouvait des denrées alimentaires, ceci n’est point douteux, mais les marchands de comestibles s’étaient groupés instinctivement d’abord, puis avec une certaine régularité autour des lieux où l’on vendait les draps, les chanvres, la friperie, la cordonnerie, les armes, les heaumes et toute sorte d’autres objets usuels. C’était, en un mot, bien plutôt un bazar qu’un marché.

 

Grâce au Tractatus de laudibus parisius de Jean de Jeandun, publié par M. Leroux de Lincy, nous savons positivement à quoi nous en tenir, car nous avons une description complète des halles vers 1325 et l’énumération des objets qui s’y vendaient, vêtements, colliers, gants, aumônières, pelisses, étoffes et autres matières délicates dont l’auteur avoue ne pas connaître les noms latins. A cette époque, la vente des différentes denrées était limitée à certains quartiers désignés ; loin de chercher la centralisation, on semblait la fuir. «On ne vend du porc qu’à Saint-Germain, du mouton qu’à Saint-Marceau, du bœuf qu’à la halle du Châtelet».

 

Au XVe siècle, Guillebert de Metz, visitant Paris, parle avec admiration des halles : «contenant l’espace d’une ville de grandeur». Au XVIe siècle, la population parisienne avait pris un accroissement considérable ; mais le grand marché urbain était resté le même, serré dans ses antiques limites, pressé de toutes parts entre des rues trop étroites, incommode, obstrué, impraticable. En 1551, on prit un grand parti ; on démolit et on reconstruisit les halles, autour desquelles, en 1553, on perça de nouvelles rues, devenues indispensables à la circulation et à l’apport des marchandises. C’était alors, dans la ville même, comme une sorte de ville particulière toute consacrée au négoce et où chaque corps d’état avait sa rue spéciale ; quelques-unes ont gardé leur ancien nom : rue des Potiers-d’étain, de la Heaumerie, de la Cossonnerie (volaille), de la Lingerie, des Fourreurs, de la Cordonnerie, et bien d’autres. Si le XVIe siècle vit la reconstruction des halles, il vit aussi la confirmation des édits qui contraignaient les approvisionneurs à se rendre à des endroits déterminés.

 

Les dames de la halle, les poissardes, comme on les appelait communément, ne jouissaient pas d’une excellente réputation ; Villon avait dit depuis longtemps : Il n’est bon bec que de Paris ! Elles étaient «fortes en gueule», comme les servantes de Molière, très fières de certains privilèges qui les autorisaient à aller complimenter le roi en quelques circonstances spéciales, lestes à la riposte et peu embarrassées de faire le coup de poing lorsqu’il le fallait. On prit inutilement bien des mesures pour calmer leur intempérance de langage. Elles tenaient à leur verbe haut, à leurs phrases injurieuses, plaisantes, presque rimées ; cela faisait partie du métier, c’était l’esprit de corps : aussi ne tinrent-elles aucun compte de l’ordonnance de police du 22 août 1738 qui, sous peine de 100 livres d’amende et de la prison, leur défendait d’insulter les passants.

 

Tout cela est bien changé aujourd’hui, et M. de Beaufort, s’il revenait, ne reconnaîtrait plus ce peuple des halles dont il aimait à se dire le roi.

 

 

Maxime Du Camp, Les Halles de Paris, Revue des Deux Mondes, 1868

 

Les Halles à la hauteur de l'église Saint-Eustache, rue du Jour, vers 1900

Les Halles à la hauteur de l'église Saint-Eustache, rue du Jour, vers 1900

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