Les Halles de Paris - La volaille et le gibier

Comparé au pavillon de la marée, celui où l’on vend le beurre et les œufs est assez paisible, car il est très vaste et suffît amplement aux acheteurs, qui le parcourent ; mais le bruit, l’animation, l’encombrement, ne font point défaut au pavillon n° 4, où l’on vend les volailles.

 

Le marché y est toujours animé le lundi, le mercredi, le vendredi et le samedi, en souvenir du marché de la Vallée, dont c’étaient les jours de vente. Là, le bruit atteint parfois des proportions diaboliques, car aux cris des marchands, aux appels des crieurs, viennent se joindre le bêlement des agneaux, le gloussement des poules, le roucoulement des pigeons, le nasillement des canards ; toutes ces voix humaines et animales forment un insupportable charivari. Quelques hommes exercent là une industrie toute spéciale contre laquelle Mercier protestait déjà de son temps ; je parle des gaveurs. Les pigeons sont expédiés vivants, dans des paniers légers et fermés ; au fur et à mesure qu’ils parviennent sur le marché, ils sont déballés et passés à un homme qui, s’emplissant la bouche d’eau tiède et de grains de vesce, pousse cette nourriture forcée dans le bec de «la volatile malheureuse». Le gavage se fait avec une rapidité extraordinaire, et ne doit pas produire des bénéfices considérables, car cette opération est payée à raison de 30 centimes par douzaine de pigeons, encore faut-il fournir les graines.

 

Pendant l’année 1867, il a été vendu 14,651,203 pièces de volaille et de gibier sur ce marché, qui est bien moins alimenté qu’il ne pourrait l’être, car beaucoup de particuliers et de marchands de comestibles se font expédier directement les animaux dont ils ont besoin, quitte à payer à l’octroi des droits plus élevés. Les apports de gibier pendant la période de chasse de 1867 à 1868 ont atteint le chiffre de 3,114,295 pièces, dont le détail est de nature à intéresser les chasseurs. Ce qui domine, c’est l’alouette, car on en a compté 1,110,756 ; mais l’affluence en varie singulièrement selon les époques : en janvier, 513,609 ont paru sur le marché, septembre n’en a fourni que 435. Il en est de même à peu près de tous les gibiers, 26,314 cailles en septembre, 3 en janvier ; sur 30,280 bécasses, 50 arrivent dans le mois de l’ouverture de la chasse, et 14,108 en décembre ; 13,373 daims, cerfs et chevreuils se répartissent en proportions à peu près égales en novembre, décembre et janvier ; sur 37,406 faisans, novembre et décembre seuls en donnent 21,053 ; les perdrix, dont le total est de 541,024, débutent brillamment par 185,028, et en janvier tombent à 65,000.

 

Les lièvres, qui ont été au nombre de 270,144, varient dans les deux premiers mois de chasse entre 25 et 40,000 ; mais dès que novembre arrive, que les grandes battues d’Allemagne sont commencées, l’accroissement se fait sentir, et la Vallée en reçoit 79,783. Depuis quelques mois, on a autorisé l’entrée en France du gibier qui ne vit pas sous notre latitude, et dont la destruction ne peut par conséquent nous causer aucun préjudice. Deux ou trois fois par semaine, des paniers tressés en lanières de sapin qui servent en Russie de berceaux pour les enfants nous apportent des coqs de bruyère, des gelinottes, des lagopèdes, des ptarmigans, qui arrivent directement des bords du Dnieper et de la Neva, entourés de grains d’avoine. Jusqu’à présent, la population parisienne semble ne se familiariser que difficilement avec ce genre d’alimentation, qui est cependant agréable et nutritif. Les coqs de bruyère surtout, quoique ce soit un gibier rare et recherché, n’ont pas encore atteint le prix qu’ils valent à Moscou et à Wilna ; tandis que les poulardes de la Bresse et du Maine sont enlevées au feu des enchères, c’est à peine si le grand coq de bois, ce rêve de tout chasseur, offre quelque tentation aux marchands de comestibles.

 

Rien ne sent plus mauvais que la volaille rassemblée ; aussi, lorsqu’aux pigeons et aux poules on joint les lapins de clapier, il en résulte d’intolérables émanations. Pour neutraliser l’odeur de toutes ces bêtes malflairantes, comme eût dit Montaigne, on a élevé au milieu de la salle de vente un fort ventilateur qui renouvelle l’air empesté et va vivifier les resserres souterraines. Rien de semblable n’est nécessaire dans le pavillon n° 8, qui est consacré aux légumes.

 

 

Maxime Du Camp, Les Halles de Paris, Revue des Deux Mondes, 1868

 

Marché aux volailles aux Halles de Paris, carte postale des années 1900

Marché aux volailles aux Halles de Paris, carte postale des années 1900

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