Les Halles de Paris - Le poisson déballé, la rareté des huîtres

Le poisson, déballé, est placé sur de larges paniers plats assez semblables à des éventaires, et porté sur l’un des huit bancs de vente qui entourent le marché.

 

Ce travail, qui exige une certaine habileté, car il faut assembler les espèces, faire les lots de manière qu’ils ne soient ni trop forts ni trop faibles, présenter les marchandises sous l’aspect le meilleur, sans cependant en dissimuler les défauts, est accompli par des agens spéciaux au nombre de 16 ; on les appelle verseurs. Ils passent le poisson ainsi préparé à l’un des 34 compteurs-crieurs qui sont chargés d’annoncer la denrée mise en vente, de recevoir les enchère, et d’indiquer aux commis du facteur le nom de l’acquéreur. Malgré le tumulte, les cris, les plaisanteries salées qui s’entre-croisent, tout se passe avec ordre et célérité. C’est dans cette circonstance surtout que le temps est de l’argent. Aussi les corbeilles où brillent les poissons nacrés ne font-elles que paraître et disparaître. Lorsque d’aventure une pièce rare a été apportée, saumon gigantesque, esturgeon monstrueux, des hommes vont la criant à grands efforts de voix parmi les halles pour prévenir les marchands, et exciter la concurrence.

 

La vente et ensuite l’étalage sont surveillés par l’inspecteur du marché, qui fait impitoyablement enlever, mettre en fourrière et jeter aux ordures tout poisson qui lui paraît insalubre. C’est dans ce même pavillon que se fait la criée du poisson d’eau douce. Celui qui vient du port Saint-Paul est disposé assez habilement dans les mannes qui le contiennent pour arriver vivant ; on le verse en hâte dans une boutique en pierre alimentée d’eau courante où, après quelques mouvemens indécis, les carpes, les brochets, les tanches et les anguilles se remettent à frétiller de plus belle.

 

En 1867, il a été vendu aux halles 18,576,287 kilogrammes de marée et 1,652,382 kilogrammes de poisson d’eau douce ; les premiers ont été adjugés au prix de 16,441,007 fr. 50 centimes et les seconds au prix de 1,925,905 fr. 75 centimes. L’étranger est entré pour une part notable dans cet apport : il nous a envoyé 3,671,187 kilogrammes de marée et 1,027,163 kilogrammes de poisson d’eau douce ; une grande quantité de ce dernier vient de Hollande, de Prusse, de Suisse, d’Italie ; la Belgique et l’Angleterre ont surtout expédié de la marée ; plus de 52 pour 100 des moules mangées à Paris sont de provenance belge.

 

Ce pavillon n° 9 est manifestement trop exigu ; l’encombrement y est excessif dès l’ouverture du marché, c’est à peine si devant les étalages, si autour des bancs de vente on peut passer ; la foule se presse, se heurte, et interrompt toute circulation régulière. Plus tard, cet état de choses sera modifié ; lorsque les halles terminées permettront des aménagemens meilleurs, le poisson d’eau douce sera transporté au pavillon maintenant occupé par la volaille, et on y adjoindra les huîtres, qui ont trouvé une place provisoire dans le pavillon n° 12.

 

Les huîtres se vendent peu et mal aux halles, où elles ne sont apportées que depuis la suppression du marché spécial de la rue Montorgueil. C’est un commerce tout particulier que celui-là, et malgré les efforts de l’administration compétente il reste soumis à certaines habitudes traditionnelles qui ressemblent bien à ce que jadis on appelait l’accaparement. Aux termes des règlemens ministériels, la pêche ouvre le 1er septembre et ferme le 30 avril ; mais avant de partir pour aller draguer les bancs désignés, les pêcheurs se sont entendus avec les représentans des marchands de Paris, et ont fixé avec eux d’un commun accord le prix auquel l’huître future sera livrée. C’est une sorte de taxe consentie dont la durée se prolonge pendant toute la campagne, quels que soient les résultats que l’on obtienne. Ce prix augmente d’année en année dans une progression excessive : en 1840, le mille valait 12 fr., en 1850 16 fr. 50 cent., en 1860 26 fr., en 1867 il a atteint le chiffre de 40 fr.

 

La rareté des huîtres, la stérilité des bancs, ne sont pas les seules causes de cet accroissement de valeur ; les chemins de fer portent aujourd’hui les huîtres non-seulement dans l’intérieur de la France, mais en Allemagne et jusqu’en Russie. Celles d’Ostende, qui presque toutes arrivent du comté d’Essex, en Angleterre, ont disparu ou à peu près de nos marchés ; on les mange aujourd’hui à Berlin, à Pétersbourg, à Moscou. L’année dernière, Paris a consommé 26,750,775 huîtres, dont la majeure partie venait de Courseulles et de Saint-Waast ; les huîtres d’Ostende n’ont figuré que pour 913,900, et celles de Marennes pour le chiffre insignifiant de 4,250.

 

C’est là, au grand préjudice de la population, un aliment précieux qui, par le prix élevé auquel il est parvenu, tend chaque jour davantage à n’être plus qu’une denrée de luxe ; quand l’huître coûte, comme aujourd’hui, 10 centimes la pièce, elle échappe forcément aux ressources de la plupart des Parisiens.

 

 

Maxime Du Camp, Les Halles de Paris, Revue des Deux Mondes, 1868

 

Le marché aux poissons, photographie de Denise Colomb, les Halles de Paris, 1954

Le marché aux poissons, photographie de Denise Colomb, les Halles de Paris, 1954

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