Les Halles de Paris - On n’a cessé de travailler aux halles et pourtant elles ne sont point encore terminées

Deux projets étaient à l’étude, l’un appuyé par la préfecture de la Seine, l’autre présenté par M. Horeau. D’après ce dernier, les halles, partant de la rue Rambuteau, faisant façade sur la rue Saint-Denis d’un côté et de l’autre sur une rue future qui eût absorbé celles des Potiers-d’étain et des Orfèvres, allaient chercher la Seine quai de la Mégisserie, demandant au fleuve tous les services qu’on peut exiger de lui pour le transport des denrées et l’enlèvement des immondices. Trois immenses pavillons divisés en marchés particuliers eussent abrité les marchands, les acheteurs et les denrées. Après une enquête à laquelle prirent part les ministres, le conseil municipal, la préfecture de la Seine, la préfecture de police, ce projet, très grandiose en lui-même, fut repoussé, et l’on s’arrêta au premier, qui reproduisait celui que l’empereur avait adopté en 1811.

 

On commença les fouilles en hâte, et le 25 septembre 1851 le président de la république posa la première pierre des halles nouvelles. Le bâtiment qui peu à peu sortit de terre avait un aspect singulier ; plus il s’élevait, plus il avait l’air étrange. Il était composé de fortes pierres de taille, si épaisses et si bien liées qu’elles paraissaient à l’abri du canon ; trapu, solide, écrasé, percé d’ouvertures si manifestement trop étroites qu’en le voyant on pensait involontairement aux embrasures d’une forteresse barbacanée, il ressemblait à un formidable blockhaus placé là pour contenir une population turbulente, et n’avait rien d’un pavillon destiné à la vente de denrées pacifiques. On ne s’y trompa guère, et dès qu’il fut terminé, les gens du quartier le surnommèrent le fort de la halle. On dit que ce bâtiment, dont le plan n’aurait déparé aucun ouvrage technique de castramétation, déplut singulièrement en haut lieu ; mais il ne subsista pas moins jusqu’au jour où l’ouverture de la rue Turbigo, dégageant la caserne du Prince-Eugène, vint le rendre stratégiquement inutile.

 

L’essai était malheureux, on ne le renouvela pas ; un tel spécimen suffisait amplement à certaines nécessités accidentelles, et l’on chercha un genre de construction mieux approprié au but qu’on s’était proposé. La partie vitrée de la gare de l’ouest et le souvenir du palais de cristal qui avait, à Londres, abrité l’exposition universelle de 1851 donnèrent l’idée d’employer presque exclusivement la fonte et le verre. On peut voir aujourd’hui qu’on a eu raison d’avoir recours à ces légers matériaux, qui remplissent parfaitement les conditions qu’on doit exiger dans des établissements semblables.

 

Depuis 1851, on n’a cessé de travailler aux halles, et pourtant elles ne sont point encore terminées. Rien n’a manqué cependant, ni l’activité, ni l’argent ; mais l’œuvre était longue, d’autant plus longue et délicate qu’on l’avait entreprise sur les terrains occupés par les marchands, qu’il a fallu respecter leurs droits, ne pas apporter une trop vive perturbation dans leurs habitudes traditionnelles, et qu’on n’a pu avancer qu’avec beaucoup de lenteur.

 

Il est probable cependant que l’on touche au terme, et que d’ici à deux ans les halles, absolument reconstruites, offriront une telle ampleur que nul marché connu ne pourra leur être comparé.

 

 

Maxime Du Camp, Les Halles de Paris, Revue des Deux Mondes, 1868

 

Les Halles de Paris au petit matin, photographie de François Kollar, 1931

Les Halles de Paris au petit matin, photographie de François Kollar, 1931

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