Le changement a été profond et si radical qu’il n’a rien laissé subsister des choses du passé.
Les piliers, ces fameux piliers des halles dont il a tant été parlé jadis, ont disparu ; les passages entre-croisés, sales, malsains, par où l’on arrivait si difficilement sur le carreau, ont fait place à des voies larges, aérées et commodes ; ces cabarets qui dès minuit s’ouvraient à toute la population vagabonde de la grande ville, aux chiffonniers, aux ivrognes, aux repris de justice, qui là, sous toute sorte de dénominations, trouvaient de l’alcool à peine déguisé, ces repaires où l’ivresse engendrait la débauche et menait au crime, ont été enlevés et rejetés hors de l’enceinte actuelle de Paris ; en modifiant ce quartier, en l’épurant, on l’a moralisé. Les halles sont aujourd’hui ce qu’elles auraient dû toujours être, un lieu de transactions sévèrement surveillées, un réservoir où la population parisienne peut venir en toute sécurité puiser les subsistances dont elle a besoin.
Autour de ce marché central, quelques restes de l’ancien Paris sont cependant demeurés debout comme une impuissante protestation du passé ; il suffit de traverser la rue Pirouette, les rues de la Grande et de la Petite-Truanderie pour s’étonner qu’on ait pu vivre et qu’on vive encore dans de pareils cloaques. Les halles comprendront en tout quatorze pavillons, dont dix sont aujourd’hui livrés au public ; les quatre qui restent à élever doivent entourer la halle au blé, servir en partie de logement aux employés de l’administration et remplacer les groupes de vieilles maisons qui entourent les rues du Four, Sartines, Mercier, Oblin, Babille et des Deux-Écus. Ce sera à peu près l’emplacement exact qu’occupait jadis l’hôtel de Soissons.
Les halles, ainsi complétées, auront coûté 60 millions, s’étendront sur une superficie de 70,000 mètres, et seront bornées à l’est par la rue Pierre Lescot, au nord par la rue de Rambuteau, au sud par la rue Berger, à l’ouest par la future rue du Louvre, qui, partant de la Seine, où elle communiquera par un pont avec la prolongation de la rue de Rennes, aboutira rue Réaumur, et probablement sera poussée jusqu’au boulevard Poissonnière.
Ainsi environnées de voies de communication très larges, qui directement ou par leurs affluents desservent les barrières et les gares de chemins de fer, les halles offriront à l’apport fit à l’enlèvement des denrées des facilités exceptionnellement favorables qui donneront au service intérieur de cet immense marché une activité et une régularité de plus en plus grandes. Six mille voitures au moins employées chaque nuit à l’approvisionnement se mêlent à huit cents bêtes de somme, aux charrettes à bras, aux porteurs de hottes, et exigent un emplacement de 22,000 mètres pour stationner. Aussi l’encombrement serait excessif, si une ordonnance de police n’empêchait toute autre voiture de circuler dans le périmètre des halles entre trois et dix heures du matin.
Le soin de faire exécuter les mille et une minutieuses prescriptions que nécessite un service pareil est confié à une brigade de quarante sergents de ville et à un peloton de garde municipale.
Maxime Du Camp, Les Halles de Paris, Revue des Deux Mondes, 1868