Paris est après Londres la ville du monde où l’on emploie le plus de voitures, aussi les fiacres et les omnibus sont-ils devenus une sorte de service public qui a son importance sociale, comme les postes et les télégraphes.
Chacun en use, et le matin il n’est pas rare de voir quatre maçons, installés dans un fiacre sur lequel les auges sont déposées avec les truelles, se rendre à leur chantier. A cette vue que penseraient les entrepreneurs des carrosses à cinq sols qui, dans leurs placards de mai 1662, avaient soin de dire : On fait aussi sçavoir que par l’arrêt de vérification du parlement défenses sont faites à tous soldats, pages, laquais et tous autres gens de livrée, manœuvres et gens de bras, d’y entrer pour la plus grande commodité et liberté des bourgeois.
Aujourd’hui il n’y a pas de coin de rue, de carrefours, de quais et de boulevards où l’on ne trouve des coupés, des calèches, des fiacres et des omnibus ; le nombre s’en accroît chaque jour, et grâce au décret du 23 mai 1866, qui reconnaît la liberté illimitée en pareille matière, le chiffre des voitures de louage ne fera qu’augmenter encore ; Cela est fort bien fait ; mais un tel état de choses n’a pas été improvisé, car voilà deux cent vingt-sept ans que le premier fiacre s’est montré a Paris.
Au commencement du XVIIe siècle, il n’existait qu’une seule entreprise de chaises à bras qu’on pouvait louer ; elle avait été créée en 1617. Les porteurs savaient faire payer les clients récalcitrants, on peut à ce sujet consulter les Précieuses ridicules. Ce fut en 1640 qu’un certain Nicolas Sauvage, facteur des maîtres de coches d’Amiens, imagina d’établir des carrosses qui, toujours attelés et stationnant dans des quartiers désignés, se tiendraient à la disposition du public. Ces voitures furent appelées fiacres. Est-ce parce que Sauvage habitait rue Saint-Martin, en face de la rue de Montmorency, une maison qui avait pour enseigne l’image de saint Fiacre ? Est-ce parce que vers cette époque un moine des Petits-Pères, nommé Fiacre, mourut en odeur de sainteté, et qu’on mit son portrait dans les nouvelles voitures pour les protéger contre les accidents ? Je ne sais, mais ce nom, qui n’a aucune raison d’être apparente, a prévalu malgré tous les efforts qu’on a faits à diverses reprises pour le changer en celui d’urbaines et de lutéciennes.
Il faut croire que la spéculation n’était pas mauvaise, car immédiatement les personnages qui avaient l’oreille des ministres ou du roi sollicitèrent et obtinrent de nouveaux privilèges. Le nombre des voitures augmenta dans une si grande proportion qu’une ordonnance de 1703 en prescrivit le numérotage, afin qu’il fût facile de les reconnaître et de désigner au lieutenant de police les cochers dont on avait à se plaindre. Dès 1688, un règlement avait déterminé quelles stations les fiacres devaient occuper, et une ordonnance du 20 janvier 1696 avait fixé le tarif : 25 sous pour la première heure et 20 sous pour les suivantes. En 1753, il existe à Paris 28 places de fiacres, et 60 entrepreneurs de carrosses de remise possédant environ 170 voitures.
« Vous aurez, dit Mercier, vingt-cinq ans plus tard, un équipage, des chevaux et un cocher, fouet et bride en main, pour trente sols par heure. »
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867