Les voitures publiques dans la ville de Paris - Quand on était pressé il était plus sage d’aller à pied

On compte actuellement à Paris 6 101 voitures de place et de régie, auxquelles il faut ajouter 2 950 voitures de grande remise ; ces voitures appartiennent à dix-huit cents entrepreneurs et à la Compagnie générale qui seule est intéressante à étudier, car elle représente une administration complète et elle a les rapports les plus fréquents avec le public.

 

Parmi les loueurs, il y en a beaucoup, — plus de huit cents, — qui n’ont qu’une voiture et qu’un cheval ; ce sont pour ainsi dire des cochers libres, qui échappent aux règlements des entreprises particulières, mais fort heureusement n’en restent pas moins soumis à ceux de la préfecture de police. Pas plus que les autres, ils ne peuvent refuser le service qu’on est en droit d’exiger d’eux, et ils doivent marcher à toute réquisition. D’après les nouvelles ordonnances, les voitures sont divisées en trois catégories distinctes : 1° les voitures de place proprement dites, qui, moyennant une redevance annuelle de 365 fr., peuvent stationner sur un des 158 emplacements désignés par la police ; elles sont marquées d’un numéro couleur d’or ; 2° les voitures mixtes, qui, acquittant la taxe municipale, peuvent séjourner à leur choix sur place ou sous remise ; le numéro en est rouge ; 3° les voitures de remise, qui, ne payant aucune taxe, ne peuvent pas charger sur la voie publique et n’ont d’autres stations que leur remise particulière ; elles sont aussi numérotées en rouge. Le public peut ne faire aucune différence entre elles, mais les agents de police et les surveillants ne s’y trompent pas. En effet, toute voiture de louage porte un timbre rouge aux lettres P. P. (préfecture de police), qui prouve que son numéro est régulier ; mais celles qui ont le droit de demeurer sur les places et qui comme telles acquittent l’impôt municipal sont poinçonnées des lettres P. S. (préfecture de la Seine). Toute voiture qui n’a pas ces deux lettres près de son numéro et qui stationne sur la voie publique est en contravention.

 

Qui ne se souvient de ce fiacre monumental, de ce sapin, qui cahotait dans Paris aux jours de notre enfance ? On y montait par un marchepied de fer à six étages ; on s’installait tant bien que mal dans la boîte incommode couverte d’un velours d’Utrecht jaune, piquant comme un paquet d’aiguilles ; sous les pieds s’amoncelait une litière de paille qui ressemblait bien à du fumier, sentait le moisi et tenait les pieds humides ; les portières ne fermaient pas, les vitres étaient cassées ou absentes. Le cocher, toujours grognon, vêtu d’un carrick crasseux à sept collets, la tête enfouie sous un lourd bonnet de laine que coiffait un chapeau déformé, les pieds enfoncés dans de larges sabots, escaladait son siège après avoir allumé sa pipe, et fouaillait ses rosses, qui flottaient dans les harnais raccommodés avec des ficelles. On partait quelquefois, on n’arrivait pas toujours.

 

Balançant leur tête amaigrie, remuant une queue dénudée, les chevaux s’ébranlaient au tout petit trot, mâchant un brin de foin resté fixé à leurs lèvres pendantes, et entraînaient cahin-caha la lourde machine, qui heurtait les pavés pointus avec un bruit de ferraille peu rassurant. Quand on était pressé, il était plus sage d’aller à pied. Si un de ces vieux fiacres qui nous reconduisaient jadis au collège apparaissait tout à coup dans les rues de Paris, il aurait son heure de célébrité, car il représenterait pour les voitures un spécimen antédiluvien des espèces disparues.

 

 

Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

Omnibus place Saint-Sulpice, photographie d'Eugène Atget, 1898, Paris

Omnibus place Saint-Sulpice, photographie d'Eugène Atget, 1898, Paris

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