À ce bruit se mêle celui de la scierie mécanique, qui est voisine. Les pièces de bois, les troncs d’arbres, amenés à l’aide d’un petit chemin de fer sont livrés aux dents aiguës qui les taillent ; le ronflement précipité de la scie à rubans est dominé par le cri horrible de la scie circulaire, qui ne laisse même pas entendre le va-et-vient de la scie à mouvement alternatif : c’est une rumeur folle.
Dans les cours sont rangés les troncs d’arbres qui attendent que le temps les ait fait suffisamment sécher pour en rendre l’emploi possible ; ils sont déjà débités en planches séparées l’une de l’autre par un tasseau qui permet la circulation de l’air sur toutes les surfaces et active ainsi la dessiccation. Malgré ces précautions, il faut trois années de stage avant de pouvoir utiliser le bois.
Quand une voiture est sortie des ateliers de la rue Stanislas, elle n’y rentre jamais que pour être brisée. Toutes les réparations dont elle peut avoir besoin pendant le cours de son existence doivent être faites au dépôt qui lui est assigné. Lorsqu’elle a reçu son numéro et ses timbres administratifs, la Compagnie générale lui ouvre un compte sur lequel on porte avec soin toutes les dégradations qu’elle subit et l’usure régulière, qui est calculée à 0 fr. 50 par jour de travail ; une voiture perd donc en moyenne 180 francs par an. En dehors des réparations urgentes et nécessitées par les accidents particuliers qui peuvent l’atteindre, elle a droit réglementairement à deux peintures par année.
Lorsque à force de rouler sur le pavé de Paris, de suivre les noces, les enterrements et les baptêmes, de faire le tour du bois de Boulogne, d’attendre à la porte des ministères, des hôtels et des cabarets, elle voit arriver, comme le poète,
L’instant de retourner au sein de la nature
elle est renvoyée aux ateliers d’où elle est sortie jadis toute fraîche et pimpante. On la casse (c’est le mot technique), on la dépèce ; on remet les ferrures à la forge, on essaye d’utiliser les vieux bois, puis du reste de sa défroque on fait un paquet que l’on vend à quelque brocanteur qui saura bien encore tirer parti de ces épaves décrépites.
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867