La Compagnie générale à deux ateliers de construction, l’un situé rue Stanislas, l’autre rue du Chemin-Vert.
Nous visiterons le premier, qui couvre une étendue de 15 000 mètres de terrain. Les matières y arrivent à l’état brut ; elles en sortent sous forme de fiacres, de coupés, de victorias, de voitures de grande remise. Les bâtiments sont divisés en deux parties bien distinctes : les magasins et les ateliers proprement dits. Les magasins renferment en quantité considérable tout ce qui est nécessaire à l’attirail complet d’une voiture : drap pour les tentures, cuir pour les capotes, poignées pour les portières, passementeries pour les embrasses, mérinos rouge pour les stores, paillassons pour garnir le fond, boutons de faïence pour faire mouvoir la sonnette d’appel, musettes et couvertures pour les chevaux, bottes de fouets, paquets de crin ; tout est rangé, étiqueté et ne sort du magasin que sur un bon signé du chef d’atelier.
Plus loin, sont empilés les ressorts, les essieux, les cercles de moyeux, les écrous, les clous, les vis, les lanternes, les crochets d’italiennes, les boucles de harnais, les mors, les marchepieds, tous de dimensions réglementaires et en rapport mathématique avec chacune des espèces de voitures que fabrique la Compagnie. Dans des greniers longs et étroits qui font le tour de la maison, on a disposé tous les morceaux de bois œuvré qui entrent dans la construction des voitures. Les essences sont différentes selon les parties : la carcasse est en frêne, les brancards sont en chêne ou en noyer, les panneaux en orme, la doublure de l’impériale de tôle est en sapin. Chaque catégorie de voitures à sa chambre particulière : ici le trois-quarts (c’est le nom administratif du fiacre), là le coupé, plus loin la Victoria. Chaque voiture représente un nombre de casiers égal au nombre de pièces qui la composent ; le fiacre à quatre places en compte cent soixante-trois.
Au-dessous de ces larges magasins si bien approvisionnés, s’étendent les ateliers de carrosserie et de charronnage ; c’est là qu’on assemble les pièces de menuiserie, qu’on les ferre, qu’on les couvre, qu’on les peint et qu’on les vernit, pendant que dans une salle voisine les bourreliers tirent l’aiguille, taillent le cuir et façonnent les colliers à grand renfort de filasse. C’est d’une activité merveilleuse ; les voitures naissent et grandissent à vue d’œil. J’ai pu voir là trois cents paniers reluisants, coquets et tout battants neufs qu’on allait mettre en circulation.
Dans une autre partie de l’établissement, en face, dans la même rue, gronde une machine forte de vingt chevaux qui fait mouvoir les forges et la scierie. Les martinets, les tours, les forêts, les meules obéissent à la vapeur, qui enfle aussi les soufflets et fait fonctionner le ventilateur ; c’est là qu’on coude les cols de cygne, qu’on assemble les ressorts, qu’on bat les essieux, dont on tourne les fusées selon un calibre voulu. Les ouvriers, noircis, en sueur, défendus par le large tablier de cuir, vont et viennent à travers ces fournaises retentissantes où jaillissent les étincelles, où les enclumes résonnent en cadence sous le choc assuré des frappe-devant.
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867