Une calèche à huit ressorts, attelée de deux chevaux assortis, se loue 1 200 francs par mois, plus 150 francs pour le cocher ; si l’on veut un valet de pied, c’est six francs par jour ; un chasseur coûte plus cher à cause des épaulettes, du baudrier et du chapeau à plumes.
Si l’on est de si grande maison qu’il faille des gens poudrés, rien n’est plus simple. Il y a un cabinet de toilette spécial où on les enfarine avec élégance ; les jours de course, on les coiffe d’un catogan pour en faire des postillons ; au frontal des chevaux on ajoute des queues de renard, ou leur attache des grelots au cou, et le public naïf admire votre équipage. Grande remise que tout cela, tant par mois et quelquefois tant par heure ! Un employé me disait : Nous faisons toutes les noces huppées ! Je le crois sans peine. Pour ces sortes de cérémonies, l’administration fournit jusqu’aux bouquets de fleurs virginales qui décorent la boutonnière des cochers. On transporte les ministres, les ambassadeurs, les riches étrangers de passage à Paris ; on sert le luxe en un mot, et le grand confortable.
C’est là aussi que les jeunes personnes émancipées viennent prendre ces poney-chaises qu’elles conduisent elles-mêmes, à travers les écueils des boulevards et du bois de Boulogne. Mais, dans ce cas-là, l’administration ne fait pas preuve d’une confiance aveugle et elle demande toujours à être payée d’avance. Elle sait très bien à quoi s’en tenir sur sa clientèle et je soupçonne que des notes secrètes sont tenues avec soin. Les romanciers qui s’occupent spécialement du monde moderne trouveraient, je crois, de précieux renseignements dans les registres de l’entreprise des grandes remises de la Compagnie générale.
Comme on l’imagine, les dépôts des voitures de place ne ressemblent guère à la luxueuse installation dont je viens de parler ; ils sont curieux cependant, et répondent à tous les besoins qui peuvent se présenter ; car il faut être prêt à parer à toute éventualité et ne jamais se laisser prendre au dépourvu. Sauf des détails peu importants, les dépôts se ressemblent singulièrement, et celui de l’avenue Ségur donnera au lecteur une idée générale de l’organisation de tous les autres. Une immense cour est occupée sur chacun des quatre côtés par un bâtiment composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage en brisis ; en bas sont les écuries, en haut sont les greniers. Au milieu de la cour un hangar en bois soutenu par des piliers et séparé en trois larges avenues forme la remise ; c’est là que dans un ordre réglementaire sont rangées les voitures lorsqu’elles ont terminé le service journalier. Des pigeons, des poules picorent les grains d’avoine tombés des musettes et paraissent vivre en assez bonne intelligence avec les chats et les chiens terriers chargés de faire la chasse aux rats.
Un vaste abreuvoir demi circulaire donne l’eau en abondance pour les chevaux et pour les besoins du service. L’infirmerie et la forge occupent un des coins de la cour.
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867