Les voitures publiques dans la ville de Paris - Où sont les cochers ?

La cour est un immense hangar accosté d’un chenil et d’une écurie. On y fait, au prix de 70 centimes, le numérotage officiel des voitures de place, et on y entasse aussi toutes les épaves trouvées dans les rues de Paris ou les gros objets vendus en contravention.

 

Les charrettes à bras y sont en grand nombre et aussi les boites à lait que les corniers déposent aux portes le matin et que des farceurs s’amusent à déplacer ; un agent de police les trouve et les expédie à la fourrière. Il y a de tout dans cette morgue de choses inanimées, un mobilier abandonné dans un déménagement furtif, une harpe enlevée sans doute à quelque pauvre petit virtuose non autorisé, deux ou trois vieux coupés laissés sur les boulevards extérieurs, des échelles, des tonneaux vides ; j’y ai vu un tableau d’histoire que la veille on avait trouvé à minuit dans la rue de Clichy. Si au bout d’un an ces objets ne sont pas réclamés, on en fait ce que l’on nomme livraison au domaine.

 

À côté s’ouvre le chenil ; il est bruyant et plein. Chaque chien à sa niche spéciale, très aérée, avec plancher en pente et une bonne toiture. Tous les huit jours, le domaine les vend quand ils en valent la peine et qu’ils n’ont pas été réclamés, sinon ils sont remis à l’équarrisseur, qui les pend. La fourrière reçoit en moyenne 900 chiens par mois, dont 600 sont condamnés à mort. Jadis il suffisait d’avoir un chien perdu à réclamer pour pouvoir entrer au chenil et faire son choix. Le métier de voleur de chiens est lucratif et bien des gens l’exercent. Pour le bien faire, il faut être deux. Un des acolytes visite la fourrière, prend le signalement d’un beau chien et s’en va. Quelques heures après, l’autre arrive et demande si l’on n’a pas un chien de telle robe et de tel poil. On lui remet, en échange du prix de la nourriture, le chien désigné, qu’il va vendre au plus tôt. On exigeait, il est vrai, un certificat d’un commissaire de police et l’affirmation écrite de deux témoins ; mais de telles pièces n’étaient point difficiles à obtenir et n’offraient point une garantie sérieuse. Aussi pour sauvegarder les intérêts des propriétaires, pour éviter de laisser ce genre de commerce s’étendre, on ne peut aujourd’hui parcourir le chenil qu’après avoir inscrit sur un registre son nom, son adresse et les signes caractéristiques au chien que l’on réclame.

 

L’écurie est voisine ; trois ou quatre pauvres rosses y mangent le foin amer de la captivité ; leurs voitures saisies sont sous le hangar ; où sont les cochers ? Au violon sans doute pour tapage nocturne, ivresse et rébellion. Tout animal égaré est conduit en fourrière. N’y a-t-on pas amené un troupeau de bœufs qui se promenait la nuit dans l’avenue de l’Impératrice, pendant que son conducteur ronflait sous la table d’un cabaret ?

 

De la fourrière dépendent les inspecteurs des voitures et celui des chevaux. Un agent spécial est chargé de constater sur les places et sous les remises quels sont les chevaux dont l’apparence misérable indique qu’ils ne peuvent plus faire leur service. Le cocher ou l’entrepreneur est alors appelé à la fourrière, et il est sommé d’avoir à remplacer le cheval condamné par un autre qui soit moins invalide.

 

Deux agents inspectent les voitures ; ils doivent les visiter, s’assurer qu’elles n’offrent aucun danger pour le public : celles que la vieillesse ou le malheur a rendues trop hideuses sont exclues de la circulation. Je suis persuadé que ces deux derniers agents remplissent leur mission avec zèle ; mais à voir les horribles pataches que mènent certains rôdeurs, on pourrait en douter.

 

 

Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867

 

Cabaret rue Descartes, photographie de Eugène Atget, 1908, Paris

Cabaret rue Descartes, photographie de Eugène Atget, 1908, Paris

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