Par un pèlerin
Autrefois, lorsqu’un cocher avait surtaxé un voyageur et qu’on en acquérait la preuve, il était mis à pied et, de plus, il devait se transporter de sa personne chez le plaignant, lui faire des excuses, lui remettre la somme en trop qu’il avait exigée et rapporter à la préfecture de police le reçu qui constatait sa restitution.
Cette méthode offrait plus de danger qu’on ne pensait ; on en fit la dure expérience. Le 16 septembre 1855, le directeur de l’école normale de Douai, M. Juge, accompagné de sa femme, prit sur la place de la Concorde la voiture du cocher Collignon et se fit conduire au Bois de Boulogne. Le cocher exigea du voyageur plus qu’il ne lui était dû. M. Juge adressa une plainte à la préfecture de police dès le lendemain. Le 22 septembre, Collignon, appelé à la fourrière, reçut l’ordre d’aller reporter à M. Juge la somme qui constituait la surtaxe. En sortant de la fourrière, Collignon acheta des pistolets ; il vendit son mobilier le 24, et se rendit rue d’Enfer, 83, chez M. Juge. La discussion fut des plus calmes, mais, pendant que M. Juge signait le reçu, Collignon lui tira un coup de pistolet à bout portant et lui fit sauter la cervelle ; Mme Juge s’étant précipitée pour soutenir son mari, l’assassin la visa, fit feu et la manqua. Puis il ouvrit la porte et se sauvait dans les escaliers, lorsqu’il fut arrêté par Proudhon. Il comparut le 12 novembre devant la cour d’assises et fut condamné à mort. Il ne montra aucun repentir ni pendant les débats, ni en prison, ni à la dernière heure. Il mourut impassible sur l’échafaud le 6 décembre.
Depuis cet événement on a adopté un autre système de restitution. La somme exigée en sus du prix légitimement dû est déposée à la préfecture de police, qui fait écrire au voyageur lésé qu’il ait à venir la retirer ; si on l’abandonne, ce sont les bureaux de bienfaisance qui en profitent au bout d’une année.
Les cochers sont tenus de montrer leurs papiers à toute réquisition des agents de l’autorité ; ceux-ci sont en outre chargés de faire conduire à la fourrière les voitures abandonnées sur la voie publique ou dont les cochers sont dans un tel état d’ivresse qu’il serait dangereux de les laisser circuler plus longtemps.
La fourrière joue un assez grand rôle dans la vie des fiacres pour qu’il soit bon de la faire connaître. Elle est située rue de Pontoise, à deux pas du boulevard Saint-Germain. C’est un bâtiment triste à voir, surmonté d’un vieux drapeau fané qui flotte au-dessus de la porte charretière. Une petite maison contient le logement et les bureaux du contrôleur ; dans l’antichambre, deux gardes municipaux de planton sont toujours là prêts à prêter main-forte, s’il en est besoin ; c’est là que souvent on appelle les plaignants et les cochers, lorsqu’une confrontation est devenue nécessaire ; ai-je besoin de dire que de minutieuses précautions sont prises pour isoler les deux parties tout en les faisant communiquer ?
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867
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