C'est alors que, soutenus par le pouvoir monarchique déjà puissant et qui ne voyait pas sans une secrète satisfaction l'abaissement de la puissance indépendante des ordres religieux et les empiétements sur la juridiction féodale, forts des sympathies des riches populations urbaines, qui se précipitaient vers toutes les issues ouvertes sur les voies de l'affranchissement, les évêques songèrent à doter leurs villes épiscopales d'un monument fait sur un nouveau programme.
Ils trouvèrent rapidement des sommes considérables, et jetant bas les vieilles cathédrales, ils commencèrent ces monuments immenses, destinés à réunir autour de la cathedra, de la chaire épiscopale, les populations désireuses de trouver un centre pour leurs assemblées. Cela se passait à la fin du règne de Louis le Jeune et sous Philippe Auguste. C'est, en effet, sous le règne, de ces princes que nous voyons commencer et élever rapidement les grandes cathédrales de Soissons, de Paris, de Laon, de Chartres, de Reims, d'Amiens, de Rouen, de Senlis, de Meaux, de Bourges. Ce n'est plus dans les couvents que les évêques vont demander des architectes; ils les prennent dans la population laïque. L'élan fut prodigieux.
L'argent abondait, et ces grandes églises s'élevaient comme par enchantement. Mais l'alliance du haut clergé avec la monarchie, l'influence qu'il prenait dans les cités épiscopales ne tarda pas à inquiéter les barons. Saint Louis reconnut bientôt que, pour échapper aux dangers que les prétentions de la féodalité laïque faisaient courir sans cesse au pouvoir royal, le suzerain aurait affaire à d'autres maîtres et qu'il tomberait bientôt aux mains d'une oligarchie cléricale soumise à Rome. D'un autre côté, les bourgeois des villes ne trouvaient pas dans les cours épiscopales les garanties sur lesquelles ils comptaient, et les excommunications, se mêlant aux procédures, causaient des troubles notables dans les familles et les cités.
En 1235, la noblesse de France et le roi s'assemblèrent à Saint-Denis pour mettre des bornes à la puissance que les tribunaux ecclésiastiques s'arrogeaient. Il fut arrêté d'un commun accord : 1° que leurs vassaux ne seraient point obligés de répondre en matière civile ni aux ecclésiastiques ni à leurs vassaux, devant le tribunal ecclésiastique ; 2° que si le juge ecclésiastique les excommuniait pour ce sujet, il serait obligé de lever l'excommunication par la saisie de son temporel ou de celui qui aurait poursuivi la sentence; 3° que les ecclésiastiques et leurs vassaux seraient contraints de répondre devant les laïques dans toutes les causes civiles de leurs fiefs, mais non de leurs personnes.
Au mois de novembre 1246, après que les prétentions des évêques de France, soutenus par les papes, malgré les décisions du roi et des barons, eurent causé des troubles sérieux dans plusieurs villes du royaume, la noblesse rédigea un acte d'union, par lequel elle s'engageait à maintenir ses droits contre le clergé, sans se mettre en peine des excommunications. Les délégués de cette assemblée furent le duc de Bourgogne, le comte Pierre de Bretagne, le comte d'Angoulême, fils aîné du comte de la Marche, et le comte de Saint-Paul. L'acte de délégation, rédigé en latin et en français, témoignait ouvertement que le désir des barons était de réduire les ecclésiastiques à l'état de pauvreté de la primitive Église. «Il est dit en somme que ces seigneurs ligués étaient tous les grands du royaume, et on en parle comme d'une conspiration générale de la France appauvrie par la cour de Rome».
On remarque que saint Louis favorisa cette ligue et en fit sceller l'acte de son sceau. On ajoute même que, suivant l'avis de son conseil, il révoqua la permission qu'il avait donnée au pape de lever de l'argent sur les ecclésiastiques. D'ailleurs, le roi Louis IX avait institué ses baillis royaux. Ceux-ci, présents dans les cours seigneuriales, toutes fois qu'ils le jugeaient convenable, déclaraient la cause cas royal et la portaient à la cour du roi, qui enlevait ainsi à la féodalité une de ses prérogatives souveraines. C'était une garantie pour les parties, qui trouvaient plus d'équité, plus de lumières dans le parlement du roi que dans les cours féodales.
La tentative des évêques avortait ; aussi toutes les grandes cathédrales qui ne furent point achevées avant 1245 ne purent-elles être terminées qu'à grand'peine, quand la construction n'en fut pas interrompue pour toujours.
Eugène-Emmanuel VIOLLET-LE-DUC, Les églises de Paris, NOTRE-DAME, Éditeur : C. Marpon et E. Flammarion, Paris, 1883