Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu - Aux archives de l’Assistance publique

Lorsqu’on visite les hôpitaux de Paris, qu’on remarque les parquets cirés, les rideaux blancs tendus devant les larges fenêtres, les lits séparés les uns des autres et munis de tous les ustensiles indispensables, lorsqu’on voit les religieuses proprettes glisser comme des ombres bienfaisantes à travers les vastes salles bien éclairées, lorsqu’on sait que les hommes les plus illustres parmi les médecins et les chirurgiens tiennent à honneur de soigner les malades, lorsqu’on parcourt les énormes cuisines, les caves immenses, la pharmacie toujours en action, la lingerie regorgeant de linge, il est difficile de se figurer ce qu’ils étaient autrefois, avant que des administrations régulièrement constituées, contrôlées et surveillées en eussent pris la direction.

 

Le plus ancien monument plastique figurant une scène d’hôpital que nous possédions appartient aux archives de l’Assistance publique ; c’est un manuscrit sur vélin intitulé le Livre de la Vie active, datant du quinzième siècle et exécuté aux frais de maître Jehan Henry, conseiller du roi, président en la chambre des enquêtes de la cour du parlement, chantre de l’église et proviseur de l’Hôtel-Dieu de Paris. Une des très curieuses miniatures emblématiques de ce précieux volume représente une salle d’hôpital. Sur le sol carrelé de pierres blanches et noires, quatre lits sont posés, si rapprochés les uns des autres qu’ils se touchent, et qu’on ne pourrait passer entre eux ; les malades qui reposent sont nus, et il y en à deux dans chaque lit. Le peintre a fardé la vérité, qui était bien autrement lamentable ; à ce sujet, il ne peut y avoir de doute, car tous les historiens qui ont parlé de l’Hôtel-Dieu sont unanimes pour dire qu’on mettait quatre, cinq et parfois six personnes dans la même couchette. Cet état de choses, qui aujourd’hui nous soulèverait le cœur, ne semble pas avoir trop révolté ceux qui en furent témoins. Au dix-septième siècle, Sauval, à qui l’on ne peut nier un esprit généreux, se contente de dire : On voudrait bien que les malades ne fussent pas tant ensemble dans un même lit, à cause de l’incommodité, n’y ayant rien de si importun que de se voir couché avec une personne à l’agonie et qui se meurt.

À ce moment (1630), l’Hôtel-Dieu contenait 2 800 malades. On peut se figurer ce qu’étaient les salles qui servaient à toutes sortes d’usages, même à faire sécher le linge sortant de la lessive ; une ordonnance de 1735 mit fin à un pareil abus.

 

Il fallut le grand mouvement philosophique du XVIIIe siècle pour qu’on se préoccupât sérieusement des malades admis dans les hôpitaux, et pour qu’on essayât de remédier aux maux sans nombre qui les accablaient. On profita de l’incendie qui, en 1772, détruisit une grande partie de l’Hôtel-Dieu et dura pendant onze jours, pour demander la reconstruction de l’hôpital central. On voulut avec raison l’éloigner du cœur même de la Cité. Poyet, un architecte fort intelligent, proposa de le rebâtir sur l’île des Cygnes, alors séparée du Gros-Caillou ; il lui donnait la forme du Colisée de Rome, et le composait d’une série de pavillons convergeant vers un centre comme les rayons d’une roue convergent vers le moyeu. Le projet était excellent ; aussi ne fut-il point adopté, et la routine prévalut.

 

Tant bien que mal, la vieille maladrerie fut relevée, et, comme par le passé, on reprit ce système d’entassement qui rendait les soins illusoires et les guérisons presque impossibles.

 

 

Maxime Du Camp, Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu, Revue des Deux Mondes, 1870

 

Livre de Vie Active, Jehan Henry, 1482, Paris, Musée de l'Assistance Publique

Livre de Vie Active, Jehan Henry, 1482, Paris, Musée de l'Assistance Publique

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