Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu - Le Versailles de la misère

Le va-et-vient est incessant dans les hôpitaux de Paris ; les causes de maladies et d’accidents sont tellement nombreuses dans une agglomération aussi puissante que les lits ont à peine le temps de refroidir.

 

Le mouvement pour 1869 a été considérable : 93 335 malades sont entrés dans les hôpitaux, 82 282 en sont sortis, 10 429 y sont morts, et la population occupant nos quinze maisons hospitalières était, au 31 décembre, de 6 585 individus. Le nombre de journées a été de 2 457 882 qui, à raison de 2 fr. 75 cent, en moyenne par journée et par lit, ont exigé une dépense de 6 710 017 fr. 80 cent. La mortalité n’atteint donc pas tout à fait le neuvième des malades, et c’est là un résultat général qui me parait prouver en faveur de notre système hospitalier. On s’est livré à de longues discussions sur la question de la mortalité dans les hôpitaux, et l’on a fait des théories à perte de vue ; mais on a surtout tenu compte de la construction même de l’hôpital, sans trop s’inquiéter de savoir par quelle catégorie d’individus celui-ci est fréquenté.

 

On signale le danger de l’agglomération ; depuis les travaux de Tenon, on préconise le principe de l’isolement des pavillons. Cela est excellent, sans contredit ; mais l’Hôtel-Dieu, qui est composé de pièces et de morceaux, où les salles sont encombrées, où les bâtiments vieux et mal bâtis doivent être imprégnés d’éléments contagieux, l’Hôtel-Dieu, qui n’est en somme qu’une réunion de maladreries superposées, est le plus sain de tous nos hôpitaux, celui où la mort frappe avec le plus d’indulgence ; tandis que La Riboisière, construit selon les règles de l’art hospitalier le plus avancé, composé de pavillons isolés, aéré, grandiose, si parfaitement outillé qu’on a pu, dans un esprit de critique à outrance, le surnommer le Versailles de la misère, donne une proportion de morts plus forte que celle des autres hôpitaux.

 

On attribue la salubrité relative de l’Hôtel-Dieu à ce que, formé de bâtiments parallèles séparés les uns des autres, placés sur les rives de la Seine, il est constamment balayé par des courants d’air vivifiant qui emportent les miasmes putrides et versent à flots l’oxygène autour des malades. Pour expliquer les nombreux décès qui atteignent La Riboisière, on a parlé des vices possibles de la construction, de l’étroitesse des préaux, de la hauteur des murailles, on a cherché des causes exclusivement matérielles, et l’on n’a pas vu que cet hôpital, par le milieu même qu’il est appelé à desservir, accueille la partie la plus chétive, la plus anémique de la population de Paris. En effet, situé dans l’ancien enclos Saint-Lazare, il est forcément le réceptacle de tous les cas morbides qui lui arrivent de Clignancourt, de Montmartre, de la Chapelle, de la Villette, de Belleville, c’est-à-dire des quartiers où la maladie, la faiblesse sont littéralement en permanence. Les malades qui viennent demander asile dans cette grande et belle maison ont à peine assez de vigueur pour se rétablir. Quand ils entrent, ils sont épuisés déjà et depuis longtemps ; on le voit bien après les opérations chirurgicales, qui pour cette cause réussissent là moins bien qu’ailleurs ; le patient les supporte, flotte quelques jours entre la vie et la mort, ne peut parvenir à prendre le dessus, et meurt.

 

Il n’en est point ainsi à Saint-Antoine, qui reçoit la vigoureuse population du faubourg ; à Necker, qui confine aux grands quartiers allant du Luxembourg aux Invalides ; à la Charité, à Beaujon, où vont les ouvriers en chambre et les gens de livrée ; c’est là une raison morale, pour ainsi dire, absolument extérieure à l’hôpital lui-même, et dont il faut d’abord se préoccuper lorsqu’on veut apprécier sans parti pris les causes qui peuvent influer sur la mortalité.

 

 

Maxime Du Camp, Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu, Revue des Deux Mondes, 1870

 

Hôpital Lariboisière, salle commune,  photographie de l'agence Rol, Paris, 1911

Hôpital Lariboisière, salle commune, photographie de l'agence Rol, Paris, 1911

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