Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu - Les visites

D’ordinaire les hôpitaux sont très calmes.

 

Les salles sont bien l’asile de la souffrance et de l’affaissement, elles ont l’air d’être naturellement silencieuses. Elles ne s’animent que deux fois par semaine, le dimanche et le jeudi, de une heure à trois. Ce sont les jours et les heures d’entrée ; chacun, sans carte ni permission, est admis à visiter les malades. Pendant ce laps de temps, les préaux sont déserts, car chacun doit rester au lit ; c’est une mesure qui peut paraître puérile au premier abord, mais elle est justifiée par des nécessités de surveillance auxquelles les malades, dans leur intérêt même, doivent être soumis. Parfois la foule abonde (il y a des dimanches d’hiver où l’Hôtel-Dieu a reçu plus de cinq mille visiteurs) ; mais lorsque le ciel est pur, lorsque la paye a été faite la veille, on s’en aperçoit bien vite ; la campagne attire ou le cabaret retient le plus grand nombre. En général, les hommes reçoivent bien plus de monde que les femmes, qui paraissent un peu abandonnées une fois qu’elles sont sur le grabat hospitalier.

 

Au mois de mai, j’ai assisté à l’entrée de l’Hôtel-Dieu ; debout sur le grand perron, je regardais les groupes qui stationnaient sur le parvis, attendant que l’heure réglementaire eût sonné. Des marchands d’oranges, de biscuits, d’échaudés, de sucre d’orge, circulaient sur les trottoirs voisins et criaient : «Voyez, messieurs et dames, voyez pour messieurs vos malades !» À une heure précise, les deux portes latérales s’ouvrirent, celle de gauche pour les hommes, celle de droite pour les femmes.

 

Tout individu qui entre est fouillé avec soin, on ôte les casquettes, on tâte les jupes, on frappe sur la robe des enfants portés à bras, on prend des précautions sans nombre ; mais bien souvent elles sont déjouées. La grande ambition de ces imprudents est d’introduire en fraude quelque flacon d’eau-de-vie, que le malade pourra boire en cachette, quitte à en mourir une heure après.

 

On m’a montré, avant de les restituer, les objets saisis un dimanche : c’étaient des bouteilles et des bocaux qui contenaient de l’absinthe, des prunes à l’eau-de-vie, du rhum et même un assaisonnement de salade tout préparé. On laisse passer les fleurs, même celles qui, comme les jacinthes et les tubéreuses, dégagent un parfum trop violent.

 

Dans la salle Sainte-Marthe, j’ai vu un moribond qui pleurait en regardant une branche de lilas que sa femme venait de lui apporter.

 

 

Maxime Du Camp, Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu, Revue des Deux Mondes, 1870

 

Le jour de la visite à l'hôpital, Henri Geoffroy, 1889, Musée d'Orsay

Le jour de la visite à l'hôpital, Henri Geoffroy, 1889, Musée d'Orsay

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