Les religieuses ne suffiraient pas à donner aux malades les soins qu’ils réclament. Aussi l’Assistance entretient-elle dans les hôpitaux des hommes et des femmes à gages, qu’on appelle serviteurs de seconde classe, et qui sont, à proprement parler, des infirmiers et des infirmières.
Les premiers sont au nombre de 491, et les secondes au nombre de 499. C’est là le côté défectueux de l’institution, et les chefs des services administratifs ou scientifiques sont unanimes à constater que, sauf exceptions connues, ce personnel est déplorable. Recruté dans la mauvaise classe de la population, parmi les ouvriers congédiés, les domestiques sans place, il ne donne aucune aide gratuite aux malades, qui sont forcés d’avoir toujours l’argent à la main pour attendrir des cœurs où la vénalité tient plus de place que la compassion. On doit reconnaître que, pour avoir toutes les qualités nécessaires à un bon infirmier, il faudrait être un ange, et que peu d’hommes seraient capables de remplir cette très pénible fonction. Un infirmier a pour le moins dix lits à surveiller, et les soins qu’il est appelé à rendre sont les plus répugnants. Comment les paye-t-on ? Ils ont, en dehors du logement, de la nourriture et du costume, un gage qui varie entre quinze et vingt et un francs. Il est bien difficile pour ce prix de trouver des phénix ; mais c’est le malade qui paye, et il n’est pas rare qu’un infirmier se fasse quarante et cinquante francs de pourboire par mois.
Leur grand défaut, c’est l’ivrognerie ; on ne sait comment s’y prendre pour mettre le vin hors de leur atteinte ; à l’Hôtel-Dieu, à La Riboisière, les brocs qui font la navette du cellier aux salles sont munis d’un cadenas dont le sommelier et la religieuse ont seuls la clef ; précaution inutile : ils savent dans les récipients les mieux clos introduire quelque paille, parfois une sonde qu’ils ont dérobée au chirurgien, et la ration arrive toujours réduite à destination. Ils boivent le vin de quinquina ; dans les services d’accouchement, les infirmières volent le rhum dont on se sert pour ranimer les enfants à demi éteints. Bien plus, les chirurgiens qui font des préparations anatomiques sont obligés de les enfermer à double serrure, parce que les infirmiers ont l’épouvantable courage de boire l’alcool où ces détritus humains ont macéré. Du reste, plus j’étudie ce monde de l’ignorance et de la misère, plus j’acquiers cette conviction que les habitudes d’ivresse sont quatre-vingts fois sur cent la cause des maux qu’il faut secourir.
C’est un métier peu recherché que celui d’infirmier ; la plupart de ceux qui l’exercent ne le font que momentanément, et tâchent d’y échapper le plus tôt possible. Ceux qui s’en sont fait une ressource définitive et qui parfois, s’attachant aux malades, deviennent de bons serviteurs, sont faciles à reconnaître ; ils sont hideux. Cela est frappant, surtout à Saint-Louis ; les malheureux qui par suite d’une maladie ont été défigurés et n’offrent plus aux regards que des faces de monstre, sont restés là comme infirmiers, car ils ont compris qu’ils ne trouveraient point de place ailleurs, et que partout on les chasserait comme des objets de dégoût. Par une anomalie moins étrange peut-être en France qu’en d’autres pays, ce personnel généralement vicieux, sans scrupule, grossier et de mauvais instincts, a un sentiment trèsvif du devoir professionnel : quel que soit le danger, il ne déserte pas. Pendant la dernière épidémie de petite vérole (1870), tous les infirmiers étaient à leur poste, et nul n’avait fui devant la contagion.
En cela, ils sont un peu semblables à ces soldats mauvais sujets, familiers de la salle de police, et qu’on retrouve toujours au premier rang à l’heure du combat.
Maxime Du Camp, Les Hôpitaux de Paris et le nouvel Hôtel-Dieu, Revue des Deux Mondes, 1870