La librairie de l’Âge d’Homme vient de fermer ses portes. Située dans une petite rue cachée du VIe arrondissement, c’était un lieu où l’on pouvait à toute heure venir feuilleter pêle-mêle Dostoïevski, Bounine, Chestov, Eugenio Corti, les écrivains serbes et les penseurs orthodoxes. Où l’on pouvait aussi écouter les habitués de la rue Férou discourir sur leurs voyages au Mont Athos ou se livrer à des controverses théologiques sans fin. Bien loin des supermarchés de la culture, sans âme aucune, dans lesquels nous sommes réduits d’aller faire nos emplettes aujourd’hui. En ressortant de cette caverne d’Ali Baba, on ne pouvait s’empêcher de réciter tout haut les vers du Bateau Ivre de Rimbaud, majestueusement gravés sur le mur d’en face. La balade se finissait invariablement au jardin du Luxembourg, où, assis sur un banc, l’on commençait à lire ses trouvailles. Pendant ce temps-là, des dizaines de milliers de gusses s’ébattent dans les rues pour manifester –contre on ne sait pas trop quoi. Et personne dehors pour protester contre cette disparition précoce. Une grande librairie qui s’en va, des millions de mondes qui s’effondrent.
Archibald Ney, de la revue littéraire Raskar Kapac
via PARIS VOX : http://www.parisvox.info/2016/05/04/fermeture-de-librairie-lage-dhomme/