Je n’ai que trop fait connaissance avec mon malheur, et ce péché sans cesse contre moi à n’en plus finir !
C’est Toi seul qui comptes, en présence de qui j’ai fait le mal : afin que Tu sois justifié dans Tes paroles et que de toute discussion tu émerges triomphant
!
(...) il s’agit du psaume [50] tel que l’a assumé un certain Paul Claudel.
Bien sûr, la présente édition de ces Psaumes est sous-titrée Traductions. Car notre écrivain avait bien sous les yeux le texte biblique, en latin : la source est
claire, à laquelle sa vie durant il n’a cessé de s’abreuver.
Mais il ne se sentait tenu par nul contrat de fidélité au Psautier : ce que veut Claudel, c’est se faire psalmiste. Là se situe l’écart avec les traductions labellisées : irremplaçables pour
l’étude et la méditation, elles valent en tant qu’impersonnelles, là où la prose claudélienne livre la parole inspirée telle qu’il se l’est appropriée. Par exemple ce fameux Miserere : « traduit
» en 1943, il est lourd de tout le parcours du poète en son combat spirituel. La date rend témoignage : sa traduction nous est en même temps, étrangement, plus contemporaine : comme parole divine
humainement assumée.
C’est ainsi, presque toujours, que l’accès au plus universel aime passer par le plus particulier. Et ce n’est certes pas le mystère de Noël qui nous démentira : qui
aurait pensé que le Verbe de Dieu, pour s’incarner, irait se perdre du côté d’un patelin de Judée ?
Au fait : c’est justement une nuit de Noël, en 1886 au pied d’un pilier, que Claudel entendit la voix du ciel. Et c’est le chant d’un psaume – le De profundis,
cette fois – qui retourna le cœur de l’esthète. Ce Psaume 129 qui lui retourna l’existence figure, bien sûr, parmi ces « traductions » qu’il fit au fil des années avec autant de délectation de
latiniste que de tourment de croyant.
La nuit où il le traduit (toujours en 1943), il écrit à Mme Romain Rolland :
Il y a en moi un Paul Claudel tout autre, le nouveau, le vrai… Comment vous faire comprendre la cohabitation d’un être si médiocre, si répugnant, et de quelqu’un d’autre. Comment vous
expliquer ce quiproquo sinistre qui est le vrai drame de mon existence et qui fait qu’il ne peut y avoir d’intimité vraie entre moi et les êtres qui croient souvent m’aimer le plus, et qui ne
réussissent qu’à me faire de la peine en me cherchant où je ne suis pas ?
Et d’évoquer sa conversion :
Il s’est passé le 25 décembre 1886 chez ce malheureux enfant qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait quelque chose de foudroyant qui a mis entre le monde et moi de l’irréparable, je n’y
peux rien.
Ainsi va l’incarnation, chaque fois que la parole de Dieu revêt une chair humaine en quête de l’unité perdue. Ainsi résonne, relu et digéré par Paul Claudel, le
même psaume :
Depuis l’heure du matin jusqu’à l’heure de la nuit, Seigneur ! depuis la nuit jusqu’à l’heure de Votre matin, Seigneur ! jusqu’à l’heure du matin, mon âme ! Mon âme vers Vous, tout ce qui en
elle est capable d’espérer !
Michel Kubler
la-Croix.com Livres - Paul Claudel - PSAUMES
Toute sa vie, Claudel a lu, relu, entendu, ruminé, commenté et interprété la Bible, ce qui est exceptionnel dans le paysage littéraire français. Le choc Rimbaud, le choc biblique : nourriture et
respiration de tous les instants, scandale pour les dévots illettrés comme pour les anti-dévots à préjugés. Foi, passion, illumination. Mais qui lit encore Claudel, ce génial emmerdeur ? Qui a
dans sa bibliothèque son énorme «Poëte et la Bible» ? C'est du latin effervescent traduit en français énergétique, le contraire du sirop ecclésiastique, une percée de l'hébreu à travers le
refoulement dont il a été si longtemps l'objet.
... la suite de l'article inspiré de Philippe Sollers : 'Ivresse de Claudel' sur son site