SAINTE JEANNE DE CHANTAL


Sainte Jeanne de Chantal ou la puissance d'aimer



SAINTE JEANNE  FRANÇOISE FRÉMIOT DE CHANTAL (par Dom Guéranger)
 

Bien que la gloire de Marie soit d'au dedans, sa beauté paraît aussi dans le vêtement qui l'entoure : vêtement mystérieux, tissé des vertus des Saints qui lui doivent leur justice et leur récompense. De même que toute grâce nous vient par la divine Mère, toute gloire au ciel converge vers celle de la Reine des cieux.


Or, entre les âmes bienheureuses, il en est de plus immédiatement rapprochées de la Vierge bénie. Prévenues de la tendresse particulière de cette Mère de la grâce, elles laissèrent tout pour courir sur la terre à l'odeur des parfums de l'Epoux qu'elle a donné au monde ; elles gardent au ciel avec Marie l'intimité plus grande qui fut déjà leur part au temps de l'exil. De là vient qu'à cette heure de son exaltation près du Fils de Dieu, le Psalmiste chante aussi les vierges pénétrant avec elle en allégresse dans le temple du Roi ; le couronnement de Notre-Dame est véritablement la toute spéciale solennité de ces filles de Tyr, devenues elles mêmes princesses et 
reines afin de former son noble cortège et sa royale cour.


Si le diadème de la virginité n'orne pas le front de l'élue proposée aujourd'hui à notre vénération, elle est de celles pourtant qui méritèrent en leur humilité d'entendre un jour le céleste message : Ecoute, ma fille, et vois, et incline l'oreille de ton cœur, et oublie ton peuple et la maison de ton père. En réponse, tel fut son bienheureux élan dans les voies de l'amour, qu'on vit des vierges innombrables s'attacher à ses pas pour parvenir plus sûrement à l'Epoux. A elle aussi revient en conséquence une place glorieuse dans le vêtement d'or, aux reflets multiples, dont resplendit en son triomphe la Reine des Saints.


Car quelle est la variété signalée par le Psaume dans les broderies et les franges de cette robe de gloire, sinon la diversité des nuances que revêt l'or delà divine charité parmi les élus ? C'est afin d'accentuer l'heureux effet provenant de cette diversité dans la lumière des Saints, que l'éternelle Sagesse a multiplié les formes sous lesquelles se présente au monde la vie des conseils. Tel est bien l'enseignement voulu par la sainte Liturgie dans le rapprochement des deux fêtes d'aujourd'hui et d'hier au Cycle sacré. De l'austérité cistercienne au renoncement plus intérieur de la Visitation Sainte-Marie, la distance paraît grande ; l'Eglise néanmoins réunit la mémoire de sainte Jeanne de Chantai et de l'Abbé de Clairvaux, en hommage à la bienheureuse Vierge, dans l'Octave fortunée qui consomme sa gloire ; c'est qu'en effet toutes les Règles de perfection s'accordent pour 
n'être, à l'honneur de Marie, que des variantes de l'unique Règle, celle de l'amour, dont la divine Mère présente en sa vie l'exemplaire premier.


" Ne divisons pas la robe de l'Epouse, dit saint Bernard. L'unité, tant au ciel qu'ici-bas, consiste en la charité. Que celui qui se glorifie de la Règle n'agisse pas à l'encontre, en allant contre l'Evangile. Si le royaume de Dieu estait dedans de nous, c'est qu’il n'est point dans le manger ou le boire, mais dans la justice, la paix, la joie du Saint-Esprit. Critiquer autrui sur l'observance extérieure et négliger de la Règle le côté qui regarde l'âme, c'est écarter le moucheron de la coupe et avaler un chameau. Tu brises ton corps par des travaux sans fin, tu mortifies par les austérités tes membres qui sont sur la terre ; et tu fais bien. Mais lorsque tu te permets de juger celui qui ne peine pas autant, lui peut-être se conforme à l'avis de l'Apôtre : empressé davantage pour les dons les meilleurs, retenant moins de cet exercice corporel qui est de moindre utilité, il s'adonne plus à la piété qui est utile à tout. Qui donc de vous deux garde le mieux la Règle ? Celui sans doute qui s'en trouve meilleur. Or, le meilleur, quel est-il ? le plus humble ? ou le plus fatigué ? Apprenez de moi, dit Jésus, que je suis doux et humble de cœur."


Parlant de la diversité des familles religieuses, saint François de Sales dit excellemment à son tour : "Toutes les Religions ont un esprit qui leur est général, et chacune en a un qui lui est particulier. Le général est la prétention qu'elles ont
toutes d'aspirer à la perfection de la charité ; mais l'esprit particulier, c'est le moyen de parvenir à cette perfection de la charité, c'est-à-dire, à l'union de notre âme avec Dieu, et avec le prochain pour l'amour de Dieu."

Venant donc à l'esprit spécial de l'institut qu'il avait fondé de concert avec notre Sainte, l'évêque de Genève déclare que c'est "un esprit d'une profonde humilité envers Dieu, et d'une grande douceur envers le prochain ; d'autant qu'ayant moins de rigueur pour le corps, il faut qu'il y ait tant plus de douceur de cœur." Et parce que celte Congrégation a été érigée en sorte que nulle grande âpreté ne puisse divertir les faibles et infirmes de s'y ranger, pour y vaquer à la perfection du divin amour ; il ajoute gracieusement : Que s'il y avait une sœur qui fût si généreuse et courageuse que de vouloir parvenir à la perfection dans un quart d'heure, faisant plus que la Communauté, je lui conseillerais qu'elle s'humiliât et se soumît à ne vouloir être parfaite que dans trois jours, allant le train des autres. Car il faut observer toujours une grande simplicité en toutes choses : marcher simplement, c'est la vraie voie des filles de la Visitation, qui est grandement agréable à Dieu et très assurée."


Avec la douceur et l'humilité pour devise, le pieux évêque était bien inspiré de donner à ses filles, comme armoiries, le divin Cœur où ces suaves vertus ont leur source aimée. On sait combien magnifiquement le ciel justifia ce blason. Le siècle n'était pas encore écoulé, qu'une religieuse de la  Visitation, la Bienheureuse Marguerite-Marie,
pouvait dire : "Notre adorable Sauveur m'a fait voir la dévotion de son divin Cœur comme un bel arbre qu'il avait destiné de toute éternité pour prendre ses racines au milieu de notre institut. Il veut que les filles de la Visitation distribuent les fruits de cet arbre sacré avec abondance à tous ceux qui désireront d'en manger, sans crainte qu'il leur manque."


" Amour ! amour ! amour ! mes filles, je ne sais plus autre chose." Ainsi s'écriait, elle aussi, en ses derniers ans, la glorieuse coopératrice de François dans l'établissement de la Visitation Sainte-Marie, Jeanne de Chantal. "Ma Mère, lui dit une sœur, je vais écrire à nos maisons que Votre Charité est en sa vieillesse, et que comme votre parrain saint Jean, vous ne nous parlez plus que d'amour." A quoi la Sainte repartit : "Ma fille, ne faites point cette comparaison, car il ne faut pas profaner les Saints en les comparant aux chétifs pécheurs ; mais vous me ferez plaisir de mander à ces filles-là que si je croyais mon courage, si je suivais mon inclination, et si je ne craignais d'ennuyer nos sœurs, je ne parlerais jamais d'autre chose que de la charité ; et je vous assure que je n'ouvre presque jamais la bouche pour parler de choses bonnes, que je n'aie envie de dire : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, et ton prochain comme toi-même".


Paroles bien dignes de celle qui valut à l'Eglise l'admirable Traité de l’Amour de Dieu, composé, dit l'évêque de Genève, à son occasion, prière et sollicitation, pour elle et ses semblables. Tout 
d'abord cependant, l'impétuosité de cette âme, exubérante de dévouement et d'énergie, parut peu faite pour être maîtresse en une école où l'héroïsme se traduit dans la suavité simple d'une vie toute cachée en Dieu. C'est à discipliner cette énergie de la femme forte, sans en éteindre l'ardeur, que s'appliqua persévéramment saint François de Sales durant les dix-huit années qu'il en eut la conduite. "Faites tout, lui répète-t-il en mille manières, sans empressement, suavement comme font les Anges ; suivez la conduite des mouvements divins, rendez-vous souple à la grâce ; Dieu veut que nous soyons comme des petits enfants."

Et ici trouve place une page délicieuse de l'aimable Saint, que nous voulons citer encore : 
"
Si l'on eût demandé au doux enfant Jésus, étant porté entre les bras de sa mère, où il allait ? n'eût-il pas eu raison de répondre : Je ne vais pas, c'est ma mère qui va pour moi. Et qui lui eût demandé : Mais au moins n'allez-vous pas avec votre mère ? n'eût-il pas eu raison de dire : Non, je ne vais nullement, ains seulement par les pas de ma mère, par elle et en elle. Et qui lui eût répliqué : Mais au moins, ô très cher divin enfant vous vous voulez bien laisser portera votre douce mère ? Non fais certes, eût-il pu dire, je ne veux rien de tout cela ; ains, comme ma toute bonne mère marche pour moi, aussi elle veut pour moi ; et, comme je ne marche que par ses pas, aussi je ne veux que par son vouloir ; et, dès que je me trouve entre ses bras, je n'ai aucune attention ni à vouloir, ni à ne vouloir pas, laissant tout autre soin à ma mère, hormis celui d'être sur son sein, et de me tenir bien attaché à son cou très aimable pour la baiser amoureusement des baisers de ma bouche ; et, afin que vous le sachiez, tandis que je suis parmi les délices de ces saintes caresses qui surpassent toute suavité, il m'est avis que ma mère est un arbre de vie, et que je suis en elle comme son fruit, que je suis son propre cœur au milieu de sa poitrine, ou son âme au milieu de son cœur : c'est pourquoi, comme son marcher suffit pour elle et pour moi, sans que je me mêle de faire aucun pas : aussi ne prends-je point garde si elle va vite ou tout bellement, ni si elle va d'un côté ou d'un autre, ni je ne m'enquiers nullement où elle veut aller, me contentant que, comme que ce soit, je suis toujours entre ses bras, joignant ses amiables mamelles, où je me repais comme entre les lis. Théotime, nous devons être comme cela, pliables et maniables au bon plaisir divin."




DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique




Sainte Jeanne de Chantal
portrait original à la
Visitation de Turin
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N
J'ai eu sa Messe mercredi dans notre petite église de campagne, auprès de la belle statue de Sainte Roseline, la Sainte au miracle des roses !
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