Celui-là seul qui comprendrait la sainteté de Marie pourrait apprécier sa gloire. Mais la Sagesse, qui présida au
creusement des abîmes, ne nous a point révélé la profondeur de cet océan, près duquel les vertus des justes et toutes les grâces qui leur furent prodiguées ne sont que ruisseaux. Toutefois
l'immensité de grâce et de mérite qui constitue à part de toutes autres la perfection surnaturelle de la Vierge bénie, nous met en droit de conclure pour elle à une égale suréminence dans cette
gloire qui n'est que la consécration de la sainteté des élus.
Tandis que les autres prédestinés de notre race s'échelonnent aux divers rangs des célestes hiérarchies, la sainte Mère de Dieu s'élève par delà tous les chœurs bienheureux, formant à elle seule
un ordre distinct, un ciel nouveau, où les harmonies angéliques et humaines sont dépassées. En Marie, Dieu est glorifié davantage, mieux connu, plus aimé que dans tout le reste de l'univers. A ce
seul titre, selon l'ordre de la Providence créatrice qui au plus parfait subordonne le moindre, Marie devait être la souveraine de la terre et des cieux.
Dans ce sens, c'est pour elle, après l'Homme-Dieu, qu'existe le monde. Le grand théologien et cardinal de Lugo, expliquant ici les paroles des saints, ose bien dire : "De même que Dieu,
créant tout dans sa complaisance pour son Christ, a fait de lui la fin des créatures ; de même avec proportion peut-on dire qu'il a tiré du néant le reste du monde par amour pour la Vierge Mère,
faisant qu'elle soit appelée justement elle aussi, en cette manière, fin de toutes choses."
Comme Mère de Dieu, et à la fois comme sa première-née, elle avait titre et droit sur ses biens ; comme Epouse, elle devait partager sa couronne. "La Vierge glorieuse compte autant de
sujets que la Trinité, dit saint Bernardin de Sienne. Toute créature, quel que soit son rang dans la création, spirituelle comme les Anges, raisonnable comme l'homme, matérielle comme
les corps célestes ou les éléments, le ciel, la terre, les réprouvés, les bienheureux, tout ce qui relève de la puissance de Dieu est soumis à la Vierge. Car celui qui est Fils de Dieu et de la
Vierge bénie, voulant, pour ainsi dire, égaler en quelque sorte à la principauté du Père la principauté de sa Mère, s'est fait, lui Dieu, serviteur de Marie. Si donc il est vrai de dire que tout,
même la Vierge, obéit à Dieu ; on peut aussi renverser la proposition, et affirmer que tout, même Dieu, obéit à la Vierge."
Le Couonnement de la Vierge par Jean
Fouquet
L'empire de l'éternelle Sagesse, comprenant, nous dit l'Esprit-Saint, les cieux, la terre et l'abîme, tel est donc l'apanage de Marie en ce jour de son couronnement. Comme cette Sagesse divine sortie d'elle en la chair, elle peut se glorifier en Dieu. Celui dont elle
chanta autrefois la magnificence, exalte aujourd'hui son humilité. La Bienheureuse par excellence est devenue l'honneur de son peuple, l'admiration des Saints, la gloire des armées du
Très-Haut.
En sa beauté, avec l'Epoux, qu'elle marche à la victoire ; qu'elle triomphe du cœur des puissants et des humbles. La remise en ses mains du sceptre du monde n'est point un honneur vide de réalité
: à dater de ce jour, elle commande et combat, protège l'Eglise, garde son chef, maintient les rangs de la milice sacrée, suscite les saints, dirige les apôtres, illumine les docteurs, extermine
l'hérésie, refoule l'enfer.
Saluons notre Reine ; chantons ses hauts faits ; soyons-lui dociles ; avant tout, aimons-la et confions-nous à son amour. Ne craignons point qu'au milieu des grands intérêts de l'extension du
règne de Dieu, elle oublie notre petitesse ou nos misères. Rien ne lui échappe de ce qui se passe aux plus obscurs réduits, aux plus lointaines limites de son domaine immense. De son titre, en
effet, de cause universelle au-dessous du Seigneur, se déduit à bon droit l'universalité de sa providence ; et les maîtres de la doctrine nous montrent Marie associée dans la gloire à cette
science dite de vision, par laquelle tout ce qui est, a été ou sera, demeure présent devant Dieu.
Croyonsbien, d'autre part, que sa charité non plus ne saurait être boiteuse : comme son amour pour Dieu passe l'amour de tous les élus, la tendresse de toutes les mères réunie sur la tête d'un enfant unique n'égale pas celle dont la divine Mère entoure le moindre, le plus oublié,
le plus délaissé des enfants de Dieu, qui sont aussi ses fils. Elle les prévient de sa sollicitude, écoute en tout temps leurs humbles prières, les poursuit dans leurs fuites coupables, soutient
leur faiblesse, compatit à leurs maux du corps et de l'âme, répand sur tous les faveurs d'en haut dont elle est la céleste trésorière. Disons-lui donc par la bouche d'un de ses grands serviteurs
:
" O très sainte Mère de Dieu qui avez embelli la terre et le ciel, en quittant ce monde vous n'avez point abandonné les hommes. Ici-bas, vous viviez dans le ciel ; du ciel, vous conversez
avec nous. Trois fois heureux, ceux qui vous contemplèrent et qui vécurent avec la Mère de la vie ! Mais en la manière que vous habitiez dans la chair avec les hommes du premier âge, vous
demeurez avec nous spirituellement. Nous entendons votre voix ; la voix de tous arrive à votre oreille ; et l'incessante protection dont vous nous entourez manifeste votre présence. Vous nous
visitez ; votre œil est sur tous ; et bien que nos yeux ne puissent vous apercevoir, ô très sainte, vous êtes au milieu de nous, vous montrant vous-même en diverses manières à qui en est digne.
Votre chair immaculée, sortie du tombeau, n'arrête point la puissance immatérielle, l'activité très pure de cet esprit qui est le vôtre, qui, inséparable de l'Esprit-Saint, souffle aussi où il
veut. O Mère de Dieu, recevez l'hommage reconnaissant de notre allégresse, et parlez pour vos fils à Celui qui vous a glorifiée : quoi que ce soit que vous lui demandiez, il l'accomplit par sa vertu divine ; qu'il soit béni dans les siècles !"
(German. Constantinop. In Dormit B. M. Oratio I.)
La Vierge et l'Enfant avec les Anges -
par un maître inconnu, France XIVe s.
Mais terminons l'Octave radieuse en laissant la parole à Marie, dans cette belle Antienne que les manuscrits indiquent entre plusieurs autres pour accompagner le Magnificat de la fête. Notre-Dame
y apparaît, non pas en son seul nom, mais comme représentant l'Eglise qui commence avec elle son entrée en corps et en âme dans les cieux. Le bonheur présent de la Vierge bénie est le gage pour
tous de l'éternelle félicité qui nous fut promise ; le triomphe de la divine Mère ne sera complet, que lorsque le dernier des siens l'aura suivie dans la gloire. Unissons-nous à cette formule où
déborde un amour si suave : elle est vraiment digne d'exprimer les sentiments de Marie franchissant le seuil du séjour divin.
Marie tressaillit en esprit, et elle dit : Je vous bénis, vous le Seigneur de toute bénédiction. Je bénis le séjour de votre gloire ; je vous bénis, vous qui fîtes de mon sein votre séjour ; et je bénis toutes les œuvres de vos mains qui vous obéissent et vous sont si pleinement soumises. Je bénis l'amour dont vous nous avez aimés. Je bénis toutes les paroles qui sont sorties de votre bouche, toutes ces paroles qui nous furent données. Car je crois qu'en toute vérité, comme vous avez dit, ainsi sera-t-il. Alleluia.