Scènes de la vie du Christ par
Giotto : L'Entrée à Jérusalem
Achevons cette journée du Rédempteur à Jérusalem, en repassant dans notre mémoire les autres faits qui la
signalèrent. Saint Luc nous apprend que ce fut pendant sa marche triomphale vers celle ville que Jésus, près d'y entrer, pleura sur elle, et exprima sa douleur par ces lugubres
paroles : "Oh ! si tu connaissais, aujourd'hui surtout, ce qui pourrait te donner la paix ! Mais tout cela est maintenant caché à tes yeux. Il viendra des jours où tes ennemis
t'environneront, te renverseront par terre, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps de ta visite (Luc XIX, 41-44)."
Il y a peu de jours, le saint Evangile nous montrait Jésus pleurant sur le tombeau de Lazare ; aujourd'hui nous le voyons répandre de nouvelles larmes sur Jérusalem. A Béthanie, il pleurait en
songeant à la mort du corps, suite et châtiment du péché ; mais cette mort n'est pas sans remède. Jésus est "la résurrection et la vie ; et celui qui croit en lui ne demeurera pas dans
la mort toujours". Mais l'état de l'infidèle Jérusalem figure la mort de l'âme, et cette
mort est sans résurrection, si l'âme ne revient pas à temps vers l'auteur de la vie. Voilà pourquoi les larmes que Jésus répand aujourd'hui sont si amères. Au milieu des acclamations qui
accueillent son entrée dans la cité de David, son cœur est triste ; car il sait que beaucoup "ne connaîtront pas le temps de leur visite". Consolons le cœur de notre Rédempteur, et
soyons-lui une Jérusalem fidèle.
Le divin récit nous apprend que Jésus, aussitôt après son entrée dans la ville, se rendit au Temple, et qu'il en chassa les vendeurs (Matthieu XXI, 12). C'était la seconde fois qu'il
accomplissait cet acte d'autorité dans la maison de son Père, et nul n'osa lui résister. Les princes des prêtres et les Pharisiens murmurèrent, ils se plaignirent à lui du tumulte qu'avait causé
son entrée ; mais leur audace était déconcertée. C'est ainsi que, dans la suite des siècles, quand il plaît à Dieu de glorifier, à certaines époques, son Fils et l'Eglise de son Fils, les ennemis
de l'un et de l'autre protestent dans la rage de leur cœur ; le char triomphal n'en poursuit pas moins sa marche. Mais sitôt que Dieu, dans sa haute sagesse, a résolu de faire succéder des jours
de persécution et d'épreuves à ces heures de gloire, ces lâches ennemis se retrouvent, et, plus irrités que jamais, ils ne se donnent point de repos qu'ils n'aient entraîné une partie de ce
peuple, qui criait Hosannah au fils de David, à demander qu'on le lui livre et qu'il soit crucifié. Mais Jésus et son Eglise n'en ont pas moins régné ; et si leur règne visible semble interrompu,
c'est pour reparaître plus tard, jusqu'à ce que, après une succession de gloire et d'ignominies, la
royauté de l'Epoux et de l'Epouse soit proclamée éternelle sur les ruines du monde "qui n'aura pas connu le temps de sa visite".
Nous apprenons de saint Matthieu (Matthieu XXI, 17) que le Sauveur alla terminer cette journée à Béthanie. Sa présence dut suspendre les maternelles inquiétudes de Marie et rassurer la pieuse
famille de Lazare. Mais dans Jérusalem nul ne se présenta pour offrir l'hospitalité à Jésus ; du moins l'Evangile ne fait aucune mention à ce sujet. Les âmes pieuses qui ont médité la vie de
notre Seigneur ont appuyé sur cette considération : Jésus honoré le matin d'un triomphe solennel, et réduit, le soir, à aller chercher la nourriture et le repos hors de la ville qui l'avait
accueilli avec tant d'acclamations.
Dans les monastères de Carmélites de la réforme de sainte Thérèse, il existe un usage touchant qui a pour but d'offrir au Sauveur une réparation pour l'abandon dont il fut l'objet de la part des
habitants de Jérusalem. On dresse une table au milieu du réfectoire, et on y sert un repas , après le dîner de la communauté, ce repas offert au Sauveur du monde est distribué aux pauvres qui
sont ses membres.
Nous terminerons cette journée en insérant ici quelques strophes d'une Hymne de la Liturgie Grecque, en ce Dimanche des Palmes.
Elle a pour auteur le célèbre hymnographe Côme de Jérusalem.
In Dominica Palmarum
Le Dieu qui est assis sur les Chérubins, au plus haut des cieux, et qui abaisse ses regards sur ce qu'il y a de plus humble, vient aujourd'hui dans la gloire et la puissance ; tout est rempli de sa divine grandeur. Paix sur Israël, et salut pour les gentils !
Les âmes des justes s'écrièrent dans l'allégresse : une nouvelle alliance se prépare aujourd'hui pour le monde ; les peuples vont être renouvelés par l'aspersion du sang divin.
Le peuple et les disciples fléchissent les genoux avec joie, et portant des palmes chantent : Hosannah au fils de David ! vous êtes digne de toute louange, Seigneur, Dieu de nos pères ; vous êtes béni.
La multitude au cœur simple, l'enfance naïve vous ont célébré comme il convient à un Dieu, vous, roi d'Israël et souverain des Anges : Vous êtes digne de toute louange, Seigneur, Dieu de nos pères ; vous êtes béni.
Ton roi s'est présenté, ô Sion ! le Christ monte sur le petit de l'ânesse. Il vient délier le joug de l'erreur grossière qui poussait l'homme à adorer les idoles ; il vient arrêter le cours des passions aveugles qui règnent sur toutes les nations ; tous chanteront maintenant : Œuvres du Seigneur , bénissez-le , et exaltez son nom dans tous les siècles.
Livre-toi à la joie, ô Sion ! le Christ ton Dieu règne à jamais. Il est doux, et il vient pour sauver, comme il est écrit de lui ; il est le juste, notre rédempteur qui s'avance monté sur le petit de l'ânesse. Il brisera l'audace de ceux qui ne veulent pas chanter en ce jour : Œuvres du Seigneur, bénissez-le, et exaltez son nom dans tous les siècles.
L'inique et obstiné Sanhédrin , qui usurpait le Temple sacré, est chassé aujourd'hui ; il avait fait de la maison de prière, de la maison de Dieu, une caverne de voleurs, et refusait son amour au Rédempteur à qui nous chantons : Œuvres du Seigneur, bénissez-le, et exaltez son nom dans tous les siècles.
Le Seigneur Dieu parait devant nous ; faites-lui fête solennelle ; accourez pleins de joie ; chantons le Christ, et portant des palmes, crions à sa louange : Béni celui qui vient au nom de Dieu, notre Sauveur !
Peuple, pourquoi as-tu frémi contre les Ecritures ? Prêtres, pourquoi méditez-vous de vains projets ? Pourquoi dites-vous : Quel est celui devant qui les enfants portant des palmes s'écrient : Béni celui qui vient au nom de Dieu, notre Sauveur ?
Hommes sans frein, pourquoi semez-vous le scandale sur la voie ? Vos pieds sont rapides pour répandre le sang du
Seigneur ; mais il ressuscitera pour sauver tous ceux qui crieront : Béni celui qui vient au nom de Dieu notre Sauveur !
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique