Benoît XVI raconte Vatican II : il y avait une attente incroyable

C’est pour moi un don particulier de la Providence que, avant de laisser le Ministère pétrinien, je puisse encore voir mon clergé, le clergé de Rome. C’est toujours une grande joie de voir comment l’Église vit, comment l’Église est vivante à Rome ; il y a des Pasteurs qui, dans l’esprit du Pasteur suprême, conduisent le troupeau du Seigneur. C’est un clergé réellement catholique, universel, et ceci répond à l’essence de l’Église de Rome : porter en soi l’universalité, la catholicité de toutes les personnes, de toutes les races, de toutes les cultures. En même temps, je suis très reconnaissant au Cardinal Vicaire qui aide à réveiller, à retrouver les vocations dans Rome elle-même, parce que si, d’une part, Rome doit être la ville de l’universalité, elle doit être aussi une ville avec une foi forte et robuste, dont naissent aussi des vocations. Et je suis convaincu que, avec l’aide du Seigneur, nous pouvons trouver les vocations que lui-même nous donne, les guider, les aider à mûrir, et ainsi servir pour le travail dans la vigne du Seigneur.

 

Aujourd’hui, devant la tombe de Pierre, vous avez confessé le Credo : pendant l’Année de la foi, cela me semble un acte très opportun, nécessaire même, que le clergé de Rome se réunisse sur la tombe de l’Apôtre auquel le Seigneur a dit : "Je te confie mon Église. Sur toi je construis mon Église". Devant le Seigneur, avec Pierre, vous avez confessé : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant". Ainsi grandit l’Église : avec Pierre, confesser le Christ, suivre le Christ. Et nous faisons toujours cela. Je suis très reconnaissant pour votre prière, que j’ai sentie – je l’ai dit mercredi – presque physiquement. Même si maintenant je me retire, dans la prière je suis toujours proche de vous tous et je suis sûr que vous aussi vous serez proches de moi, même si pour le monde je demeure caché.

 

Pour aujourd’hui, selon les conditions de mon âge, je n’ai pas pu préparer un grand, un vrai discours, comme on pourrait l’attendre ; mais je pense plutôt à une petite causerie sur le Concile Vatican II, comme je l’ai vu. Je commence par une anecdote : en 59, j’ai été nommé professeur à l’université de Bonn, où étudient les étudiants, les séminaristes du diocèse de Cologne et d’autres diocèses voisins. Ainsi j’ai été en contact avec le Cardinal de Cologne, le Cardinal Frings. Le Cardinal Siri, de Gênes – en 61 me semble-t-il – avait organisé une série de conférences de divers Cardinaux européens sur le Concile, et il avait aussi invité l’Archevêque de Cologne à tenir l’une des conférences, avec le titre : Le Concile et le monde de la pensée moderne.

 

Le Cardinal m’a invité – le plus jeune des professeurs – à écrire un projet ; le projet lui a plu et il a proposé aux gens, à Gênes, le texte tel que je l’avais écrit. Peu après, le Pape Jean l’invite à aller chez lui et le Cardinal était rempli de crainte d’avoir peut-être dit quelque chose d’incorrect, de faux, et d’être convoqué pour des reproches, peut-être même pour lui enlever la pourpre. Oui, quand son secrétaire l’a vêtu pour l’audience, le Cardinal a dit : "Peut-être que maintenant je porte cet habit pour la dernière fois". Puis il est entré, le Pape Jean va à sa rencontre, l’embrasse et dit : "Merci, Éminence, vous avez dit les choses que je voulais dire, mais je n’avais pas trouvé les mots". Ainsi, le Cardinal savait qu’il était sur le juste chemin et il m’a invité à aller avec lui au Concile, d’abord comme son expert personnel ; puis, au cours de la première session – en novembre 62 me semble-t-il – j’ai aussi été nommé expert officiel du Concile.

 

Alors, nous sommes allés au Concile, non seulement avec joie, mais avec enthousiasme. Il y avait une attente incroyable. Nous espérions que tout se renouvelle, que vienne vraiment une nouvelle Pentecôte, une nouvelle ère de l’Église, parce que l’Église était encore assez robuste en ce temps-là, la pratique dominicale encore bonne, les vocations au sacerdoce et à la vie religieuse étaient déjà un peu réduites, mais encore suffisantes. Toutefois, on sentait que l’Église n’avançait pas, se réduisait, qu’elle semblait plutôt une réalité du passé et non porteuse d’avenir. Et à ce moment-là, nous espérions que cette relation se renouvelle, change ; que l’Église soit de nouveau une force pour demain et une force pour aujourd’hui. Et nous savions que la relation entre l’Église et la période moderne, depuis le commencement, était un peu discordante, à commencer par l’erreur de l’Église dans le cas de Galilée ; on pensait corriger ce mauvais commencement et trouver de nouveau l’union entre l’Église et les meilleures forces du monde, pour ouvrir l’avenir de l’humanité, pour ouvrir le vrai progrès.

 

Ainsi, nous étions pleins d’espérance, d’enthousiasme, et aussi de volonté de faire notre part pour cela. Je me souviens que le Synode romain était considéré comme un modèle négatif. On disait – je ne sais pas si c’était vrai – qu’on aurait lu les textes préparés, dans la Basilique de Saint-Jean, et que les membres du Synode auraient acclamé, approuvé en applaudissant, et ainsi se serait déroulé le Synode. Les Évêques dirent : Non, ne faisons pas ainsi. Nous sommes Évêques, nous sommes nous-mêmes sujet du Synode ; nous ne voulons pas seulement approuver ce qui a été fait, mais nous voulons être nous le sujet, ceux qui portent le Concile. Ainsi donc le Cardinal Frings, qui était célèbre pour sa fidélité absolue, presque scrupuleuse, au Saint-Père, dit en ce cas : Ici nous sommes dans une autre fonction. Le Pape nous a convoqués pour être comme Pères, pour être Concile œcuménique, un sujet qui renouvelle l’Église. Ainsi, nous voulons assumer notre rôle.

 

Le premier moment où cette attitude est apparue, ce fut tout de suite le premier jour. Pour ce premier jour les élections des Commissions avaient été prévues et les listes, les noms avaient été préparés, de façon – on le cherchait – impartiale ; et ces listes étaient à voter. Mais tout de suite les Pères dirent : Non, nous ne voulons pas simplement voter des listes déjà faites. Nous sommes nous le sujet. Alors, on a du déplacer les élections, parce que les Pères eux-mêmes voulaient se connaître un peu, voulaient eux-mêmes préparer des listes. Et il fut fait ainsi. Les Cardinaux Lienart de Lille, le Cardinal Frings de Cologne avaient publiquement dit : Non, pas ainsi. Nous voulons faire nos listes et élire nos candidats. Ce n’était pas un acte révolutionnaire, mais un acte de conscience, de responsabilité de la part des Pères conciliaires.

 

Ainsi commençait une grande activité pour se connaître, horizontalement, les uns les autres, ce qui n’était pas au hasard. Au ‘Collège de l’Anima’, où j’habitais, nous avons eu de nombreuses visites : le Cardinal était très connu, nous avons vu des Cardinaux du monde entier. Je me rappelle bien la silhouette haute et svelte de Mgr Etchegaray, qui était Secrétaire de la Conférence épiscopale française, des rencontres avec des Cardinaux etc. Et ensuite, ceci était typique pendant tout le Concile : des petites rencontres transversales. J’ai ainsi connu de grandes figures comme le Père de Lubac, Daniélou, Congar, etc. Nous avons connu divers Évêques : je me rappelle particulièrement de l’Évêque Elchinger de Strasbourg, etc. Et cela était déjà une expérience de l’universalité de l’Église et de la réalité concrète de l’Église, qui ne reçoit pas simplement des impératifs d’en-haut, mais en même temps grandit et avance, toujours sous la conduite – naturellement – du Successeur de Pierre.

 

Benoît XVI, rencontre avec le clergé de Rome, 14 février 2013 

 

Benoît XVI 14.04.2010

 

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