Benoît XVI raconte Vatican II : le concept de Peuple de Dieu

Deuxième thème : l’Église. Nous savons que le Concile Vatican I a été interrompu à cause de la guerre franco-allemande et il est resté ainsi avec une unilatéralité, avec un fragment, car la doctrine sur le primat – qui a été définie, grâce à Dieu, en ce moment historique pour l’Église, et qui a été très nécessaire pour le temps suivant – était seulement un élément dans une ecclésiologie plus vaste, prévue, préparée. Ainsi le fragment était resté. Et on pouvait dire : si le fragment reste ainsi comme il est, nous tendons vers une unilatéralité : l’Église serait seulement le primat. Dès le début donc, il y avait cette intention de compléter l’ecclésiologie de Vatican I, à une date ultérieure, pour arriver à une ecclésiologie complète. Là aussi, les conditions apparaissaient très bonnes, car après la première guerre mondiale, le sens de l’Église avait ressurgit de manière nouvelle. Romani Guardini disait : «l’Église commence à se réveiller dans les âmes», et un évêque protestant parlait du «siècle de l’Église». On retrouvait, surtout, le concept, prévu aussi par Vatican I, de Corps Mystique du Christ. On voulait dire et comprendre que l’Église n’est pas une organisation, quelque chose de structurel, juridique, institutionnel – elle est aussi cela –, mais elle est un organisme, une réalité vitale, qui entre dans mon âme, de telle sorte que moi-même, justement avec mon âme croyante, je suis un élément constructif de l’Église comme telle. En ce sens, Pie XII avait écrit l’Encyclique Mystici Corporis Christi, comme un pas pour compléter l’ecclésiologie de Vatican I.

 

Je dirais que la discussion théologique des années 30-40, même des années 20, était tout à fait sous ce signe de la parole Mystici Corporis. Ce fut une découverte qui a créé beaucoup de joie en ce temps-là et c’est aussi dans ce contexte qu’a pris de l’ampleur la formule : Nous sommes l’Église, l’Église n’est pas une structure ; nous-mêmes les chrétiens, ensemble, nous sommes tous le Corps vivant de l’Église. Et, naturellement, cela vaut dans le sens que nous, le vrai ‘nous’ des croyants, avec le ‘Je’ du Christ, c’est l’Église ; chacun de nous, non pas "un nous", un groupe qui se déclare être Église. Non : ce "nous sommes Église" exige indubitablement mon insertion dans le grand ‘nous’ des croyants de tous les temps et de tous les lieux. Par conséquent, la première idée : compléter l’ecclésiologie de manière théologique, mais aussi en continuant dans le domaine structurel, c’est-à-dire : à côté de la succession de Pierre, de sa fonction unique, mieux définir aussi la fonction des évêques, du Corps épiscopal. Et, pour réaliser cela, on a trouvé le mot ‘collégialité’, très controversée, à travers des discussions acharnées que je dirais un peu exagérées même. Mais c’était le mot – peut-être il y en aurait aussi un autre, mais celui-là servait – pour exprimer que les Évêques, ensemble, sont la continuation des Douze, du Corps des Apôtres.

 

Nous avons dit : seul un évêque, celui de Rome, est le successeur d’un Apôtre déterminé, de Pierre. Tous les autres deviennent les successeurs des Apôtres en entrant dans le Corps qui continue le Corps des Apôtres. Ainsi, le Corps des évêques, le collège, est justement la continuation du Corps des Douze, et il a ainsi sa nécessité, sa fonction, ses droits et ses devoirs. Cela apparaissait pour plusieurs comme une lutte pour le pouvoir, et quelqu’un a peut-être pensé à son pouvoir, mais il ne s’agissait pas substantiellement de pouvoir, mais de la complémentarité des facteurs et de l’exhaustivité du Corps de l’Église avec les évêques, successeurs des Apôtres, comme éléments portants ; et chacun d’eux est un élément portant de l’Église, avec tout ce grand Corps.

 

Voilà, disons, les deux éléments fondamentaux et, dans la recherche d’une vision théologique complète de l’ecclésiologie, entretemps, après les années 40, dans les années 50, quelques critiques du concept de Corps du Christ avaient déjà surgi : ‘mystique’ serait trop spirituel, trop exclusif ; on avait alors mis en jeu le concept de ‘Peuple de Dieu’. Et, justement, le Concile a accepté cet élément, qui est considéré chez les Pères comme l’expression de la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Dans le texte du Nouveau Testament, la parole ‘Laos tou Theou’, qui correspond aux textes de l’Ancien Testament, signifie – sauf deux exceptions me semble-t-il – l’antique Peuple de Dieu, les Juifs qui, parmi les peuples, ‘goim’, du monde, sont ‘le’ Peuple de Dieu. Et les autres, nous les païens, nous ne sommes pas en soi le Peuple de Dieu, nous devenons les enfants d’Abraham, et donc Peuple de Dieu en entrant en communion avec le Christ, qui est l’unique semence d’Abraham. Et en entrant en communion avec Lui, en étant un avec Lui, nous sommes aussi Peuple de Dieu. C’est-à-dire : le concept de ‘Peuple de Dieu’ implique une continuité des Testaments, une continuité de l’histoire de Dieu avec le monde, avec les hommes, mais il implique aussi l’élément christologique. C’est seulement à travers la christologie que nous devenons Peuple de Dieu et ainsi les deux concepts s’accordent. Et le Concile a décidé de créer une construction trinitaire de l’ecclésiologie : Peuple de Dieu le Père, Corps du Christ, Temple de l’Esprit Saint.

 

Mais c’est seulement après le Concile qu’a été mis en lumière un élément qui se trouve un peu caché, même dans le Concile, et qui est celui-ci : le lien entre le Peuple de Dieu et le Corps du Christ, est évidemment la communion avec le Christ dans l’union eucharistique. Ici, nous devenons Corps du Christ ; en d’autres termes, la relation entre Peuple de Dieu et Corps du Christ crée une nouvelle réalité : la communion. Et après le Concile, je dirais qu’on a découvert comment le Concile, en réalité, a trouvé, a conduit à ce concept : la communion comme concept central. Je dirais que, sur le plan philologique, celui-ci n’est pas encore totalement mûr, mais c’est le fruit du Concile que le concept de communion soit devenu de plus en plus l’expression de l’essence de l’Église, communion dans les différentes dimensions : communion avec le Dieu Trinitaire – qui est Lui-même communion entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint –, communion sacramentelle, communion concrète dans l’épiscopat et dans la vie de l’Église.

 

Benoît XVI, rencontre avec le clergé de Rome, 14 février 2013

 

Benoît XVI 14.04.2010

 

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