Bienheureuse Anne de Saint-Barthélemy

Ana de San Bartolomé

 

Après Anne de Jésus, Anne de Saint-Barthélemy tient la première place dans l'histoire de la fondation du Carmel Déchaussé en France.

 

Chétive paysanne, elle avait été reçue en 1568 au monastère d'Avila, pour y remplir les humbles offices des soeurs du voile blanc. Pendant de longues années et jusqu'à la mort de sainte Thérèse, elle eut le privilège de ne quitter la sainte ni jour ni nuit, de lui prodiguer ses soins, de lui préparer ses aliments, de blanchir son linge, de la vêtir, car son bras trois fois cassé lui refusait tout service, enfin de prendre soin de tout ce qui regardait sa personne.

 

" Le jour où elle [Sainte Thérèse d'Avila] mourut, dit-elle dans son autobiographie, je la changeai de tout, linge, manches, toque, vêtements, elle se regardait, toute contente de voir comment elle serait propre et, tournant les yeux sur moi, elle me regarda en souriant, et me témoigna par signes sa reconnaissance". (Autobiographie de la V. M. Anne de Saint-Barthelémy)

 

 De celle qui a écrit ces lignes, comment parlerions-nous sans tendresse ? Du reste, elle est à peine de la terre. Sa vie n'est qu'une longue suite de visions et d'extases. Arrivée en France, on l'éleva à la même dignité que ses sœurs et on lui donna le voile noir. Dieu aidant, elle fera chez nous de grandes choses. Elle n'avait certes ni la haute intelligence, ni l'invincible caractère d'Anne de Jésus. "Timide et simple, ignorante des affaires, facile à troubler et prompte à changer d'avis, sa nature aimante et douce, que l'éducation n'a pas développée, sent vivement et s'exagère parfois les froideurs dont elle croit être l'objet". Ainsi la jugent nos carmélites d'aujourd'hui. Mais quelles que soient ses infirmités, ce que la France avait alors de plus rare s'est laissé conduire avec joie par cette humble femme dont les yeux semblaient refléter encore la suprême extase de sainte Thérèse.

 

Les quatre autres — Eléonore de Saint-Bernard, Isabelle de Saint-Paul, Isabelle des Anges et Béatrix de la Conception — moins éclatantes, mais non pas moins lumineuses, paraissent tout à fait aimables. Elles ont plus de finesse et de jugement qu'Anne de Saint-Barthélemy, plus de souplesse et d'humanité qu'Anne de Jésus. La plus âgée de la précieuse troupe, Anne de Jésus avait alors cinquante-neuf ans, la plus jeune, Eléonore de Saint-Bernard, vingt-sept ans.

 

 La Mère Anne de Saint-Barthélemy dans son autobiographie nous présente ainsi ses propres impressions du voyage d'Espagne en France :

" Deux religieux de notre Ordre, grands serviteurs de Dieu, deux prêtres français [Bérulle et Quintanadoine], M. René Gauthier, avec trois Français à cheval, nous accompagnèrent. Les trois dames françaises étaient seules en un carrosse, et les six religieuses dans un autre. 

" Nous nous réunissions dans les hôtelleries. Les dames françaises nous enseignaient leur langue : il faut en convenir, nous n'y fîmes pas de grands progrès. A peine pouvions-nous dire quelques phrases. Notre-Seigneur voulut nous mortifier en ce point et je crois que ce fut meilleur pour nous. Car nous ne nous sommes pas mal trouvées de parler peu : chaque nation a ses coutumes. 

" Je laisse à considérer ce que durent souffrir de pauvres femmes dans un si long voyage, qu'on juge surtout combien il en coûtait à des religieuses, je ne dis pas de marcher souvent à pied, mais de se voir exposées à la vue des gens, et d'être obligées d'accepter le secours du premier venu, pour se tirer des endroits en précipices ou des profonds bourbiers. Je ne puis penser à tant de périls sans frissonner encore de crainte. 

" Mais je ne saurais donner d'assez justes louanges aux Français, pour les soins qu'ils ne cessèrent de prendre de nous, et pour la vertu qu'ils firent constamment paraître. Ils nous traitaient avec tant d'égards, leur conduite était si parfaite que nous en étions toutes confuses. Dans tout ce long voyage, ils ne firent pas entendre un mot messéant, ni aucune parole d'impatience, ils ne se permirent même pas aucun de ces mots plaisants par lesquels on cherche naturellement à faire diversion des ennuis et des fatigues de la route."

 

HENRI BREMOND

HISTOIRE LITTÉRAIRE DU SENTIMENT RELIGIEUX EN FRANCE

 

Henri BREMOND

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