L'Evêque se rend avec tout le clergé à l'Eglise, et c'est à ce moment que commence la Veille du Samedi saint. Le premier rite à accomplir est la bénédiction du feu nouveau, dont la lumière doit éclairer la fonction durant toute la nuit qui va suivre. Dans les premiers siècles, c'était l'usage, chaque jour, de tirer le feu d'un caillou avant les Vêpres, pour en allumer les lampes et les cierges, durant cet office ; et cette lumière brûlait dans l'église jusqu'aux Vêpres du jour suivant. L'Eglise de Rome pratiquait cet usage avec une plus grande solennité le Jeudi saint, au matin ; et ce jour-là le feu nouveau recevait une bénédiction spéciale. D'après un renseignement donné par le Pape saint Zacharie dans une lettre à saint Boniface, Archevêque de Mayence au VIIIe siècle, on allumait trois lampes avec ce feu, et on les tenait dans un lieu secret, où elles étaient entretenues avec soin. C'était à ces lampes que l'on empruntait la lumière pour la nuit du Samedi saint. Dès le siècle suivant, sous le Pape saint Léon IV, qui était sur le Saint-Siège en 847, l'Eglise de Rome avait fini par étendre même au Samedi saint l'usage des autres jours de l'année, qui consistait à tirer d'un caillou le feu nouveau.
Le sens de cet usage symbolique, qui ne se pratique plus qu'en ce jour dans l'Eglise latine, est aussi profond qu'il est facile à saisir. Le Christ a dit : "Je suis la Lumière du monde" ; la lumière matérielle est donc la figure du Fils de Dieu.
La Pierre est aussi l'un des types sous lesquels le Sauveur du monde apparaît dans les Ecritures. "Le Christ est la Pierre angulaire", nous disent d'un commun accord saint Pierre et saint Paul qui ne font que lui appliquer les paroles de la prophétie d'Isaïe. Mais en ce moment l'étincelle vive qui s'échappe de la pierre présente un symbole plus complet encore. C'est Jésus-Christ s'élançant hors du sépulcre taillé dans la roche, à travers la pierre qui en ferme l'entrée.
Il est donc juste que ce feu mystérieux, appelé à fournir la lumière au Cierge pascal, et plus tard à l'autel lui-même, reçoive une bénédiction particulière, et qu'il soit accueilli avec triomphe par le peuple chrétien.
Dans l'église, toutes les lampes ont été éteintes ; autrefois même, les fidèles éteignaient le feu dans leurs maisons, avant de se rendre à l'église ; et il ne se rallumait dans toute la cité que par la communication de ce feu qui avait reçu la bénédiction, et qui était confié ensuite aux fidèles comme un gage de la divine Résurrection.
N'oublions pas de remarquer ici un nouveau symbole non moins expressif que les autres. L'extinction de toute lumière en ce moment figure l'abrogation de la loi ancienne, qui a pris fin au moment où le voile du Temple s'est déchiré ; et l'arrivée du feu nouveau représente la publication miséricordieuse de la loi nouvelle que Jésus-Christ, Lumière du monde,vient apporter, en dissipant toutes les ombres de la première alliance.
L'importance du mystère du feu nouveau est telle que Dieu a daigné, durant plusieurs siècles, opérer chaque année, en ce jour, un prodige dans l'Eglise du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, pour produire la présence de ce feu sous les yeux du peuple fidèle rassemblé. Le clergé et le peuple se tenaient en silence devant le saint tombeau, attendant la manifestation de la faveur céleste. Tout à coup, l'une des lampes éteintes qui étaient suspendues au-dessus de ce monument sacré de la victoire du Christ, s'allumait d'elle-même. Sa lumière, après avoir servi à allumer les autres lampes et les flambeaux de l'église, était communiquée aux fidèles, qui s'en servaient avec foi pour renouveler le feu dans leurs habitations. Ce prodige annuel paraît avoir commencé à se manifester à Jérusalem, après la conquête de cette ville par les Sarrasins ; afin qu'il servit aux yeux de ces infidèles comme d'un signe de la divinité de la religion chrétienne. Il est attesté unanimement par les historiens contemporains, qui nous ont laissé le récit des événements du royaume latin de Jérusalem ; et lorsque le Pape Urbain II vint en France pour y prêcher la première croisade, entre autres motifs qui devaient rendre cher aux chrétiens de l'Occident l'honneur du sépulcre du Christ, il ne manqua pas d'insister sur ce prodige de chaque année comme attesté par tous les pèlerins de la ville sainte.
Outre le feu nouveau, la sainte Eglise bénit aussi de l'encens aujourd'hui. Cet encens représente les parfums que Madeleine et les autres saintes femmes ont préparés pour embaumer le corps du Rédempteur. Il est en cinq larmes ou grains ; et nous verrons tout à l'heure l'emploi auquel il est destiné. L'Oraison que l'Evêque prononce sur cet encens nous apprend déjà les rapports qu'il doit avoir avec la lumière ; en même temps qu'elle nous instruit sur la puissance de ces divers éléments sacrés contre les embûches des esprits de ténèbres.
L'Evêque et son cortège sortent de l'Eglise pour se rendre au lieu où est la crédence, sur laquelle sont déposés le feu nouveau et l'encens. Ce feu représente le Christ, ainsi que nous venons de le dire ; or, le tombeau du Christ, le lieu d'où il doit ressusciter, est situé hors des portes de Jérusalem.
Les saintes femmes et les Apôtres devront sortir de la ville pour se rendre au sépulcre et constater la résurrection.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique