Le Dimanche après l'Ascension était appelé à Rome, au moyen âge, le Dimanche des Roses, parce que l'on avait coutume en ce jour de joncher de roses le pavé des basiliques, comme un hommage au Christ qui s'élevait au ciel dans la saison des fleurs. On sentait alors toutes les harmonies. La fête de l'Ascension si riante et si remplie de jubilation, lorsqu'on la considère sous son principal aspect, qui est le triomphe du Rédempteur, venait embellir les radieuses journées du printemps sous un ciel fortuné. On cessait un moment de sentir les tristesses de la terre, veuve de son Emmanuel, pour ne se souvenir que de la parole qu'il a dite à ses Apôtres, afin qu'elle nous fût répétée : "Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père".
Imitons cet exemple ; offrons à notre tour la rose à celui qui l'a faite pour l'embellissement de notre séjour, et sachons nous aider de sa beauté et de son parfum pour nous élever jusqu'à lui, qui nous dit dans le divin Cantique : "Je suis la fleur des champs et le lis des vallons". Il voulut être appelé Nazaréen, afin que ce nom mystérieux réveillât en nous le souvenir qu'il retrace, le souvenir des fleurs dont il n'a pas dédaigné d'emprunter le symbole, pour exprimer le charme et la suavité que ceux qui l'aiment trouvent en lui.
Jésus est monté aux cieux. Sa divinité n’en avait jamais été absente, mais aujourd'hui son humanité y est intronisée, elle y est couronnée d'un diadème de splendeur; et c'est là encore une nouvelle face du glorieux mystère de l'Ascension.
A cette humanité sainte le triomphe ne suffisait pas ; le repos lui était préparé sur le trône même du Verbe éternel auquel elle est unie éternellement dans une même personnalité, et c'est du haut de ce trône qu'elle doit recevoir les adorations de toute créature. Au nom de Jésus Fils de l'homme et Fils de Dieu, de Jésus assis à la droite du Père tout-puissant, "tout genou doit fléchir au ciel, sur la terre et dans les enfers".
Habitants de la terre, c'est là cette nature humaine qui apparut autrefois dans l'humilité des langes, qui parcourut la Judée et la Galilée n'ayant pas où reposer sa tête, qui fut enchaînée par des mains sacrilèges, flagellée, couronnée d'épines, clouée à une croix ; mais tandis que les hommes qui l'avaient méconnue la foulaient aux pieds comme un ver de terre, elle acceptait le calice des douleurs avec une entière soumission et s'unissait à la volonté du Père ; elle consentait, devenue victime, à réparer la gloire divine en donnant tout son sang pour la rançon des pécheurs.
Cette nature humaine, issue d'Adam par Marie l'immaculée, est le chef d'œuvre de la puissance de Dieu. Jésus, "le plus beau des enfants des hommes", est l'objet de l'admiration extatique des Anges ; sur lui se sont reposées les complaisances de la suprême Trinité ; les dons de la grâce déposés en lui surpassent ce qui a été accordé à tous les hommes et à tous les esprits célestes ensemble ; mais Dieu l'avait destiné à la voie de l'épreuve, et Jésus qui aurait pu racheter l'homme à moins de frais, s'est plongé volontairement dans une mer d'humiliations et de douleurs, afin de payer avec surabondance la dette de ses frères. Quelle sera la récompense ? l'Apôtre nous le dit dans ces fortes paroles : "Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix ; à cause de cela Dieu l'a exalté, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom".
Ô vous donc qui compatissez ici-bas aux douleurs par lesquelles il nous a rachetés, vous qui aimez à le suivie dans les stations de son pèlerinage jusqu'au Calvaire, levez la tête aujourd'hui, et regardez au plus haut des cieux. Le voici, "parce qu'il a souffert la mort, le voici couronné de gloire et d'honneur". "Plus il s'est anéanti sous la forme d'esclave, lui qui dans son autre nature pouvait sans injustice se dire égal à Dieu" ; plus le Père prend plaisir à l'élever en gloire et en puissance. La couronne d'épines qu'il a portée ici bas est remplacée par le diadème d'honneur. La croix qu'il laissa imposer sur son épaule est désormais le signe de sa principauté. Les plaies que les clous et la lance ont imprimées sur son corps resplendissent comme des soleils. Gloire soit donc rendue à la justice du Père envers Jésus son Fils ! mais réjouissons-nous aussi de voir en ce jour "l'Homme des douleurs" devenu le Roi de gloire, et répétons avec transport l'Hosannah que la cour céleste fait retentir à son arrivée.
Toutefois n'allons pas croire que le Fils de l'homme établi désormais sur le trône de la divinité reste inactif dans son glorieux repos. C'est une souveraineté, mais une souveraineté active que le Père lui a concédée. Il l'a d'abord établi "juge des vivants et des morts, et nous devons tous comparaître devant son tribunal". A peine notre âme aura-t-elle quitté son corps, qu'elle se trouvera transportée au pied de ce tribunal sur lequel le Fils de l'homme s'est assis aujourd'hui, et elle entendra sortir de sa bouche la sentence qu'elle aura méritée. Ô Sauveur couronné en ce jour, soyez-nous miséricordieux à cette heure décisive pour notre éternité.
Mais la judicature exercée par le Seigneur Jésus ne se bornera pas à l'exercice silencieux de ce souverain pouvoir ; les Anges nous l'ont dit aujourd'hui : il doit se montrer de nouveau à la terre, redescendre à travers les airs, ainsi qu'il est monté, et alors se tiendront les solennelles assises où le genre humain comparaîtra tout entier. Assis sur les nuées du ciel, entouré des milices angéliques, le Fils de l'homme apparaîtra à la terre dans toute sa majesté. Les hommes verront "Celui qu'ils ont transpercé", et les traces de ses blessures, qui ajouteront encore à sa beauté, seront pour les uns un objet de terreur et pour les autres la source d'ineffables consolations. Pasteur encore sur son trône aérien, il séparera ses brebis des boucs, et sa voix souveraine que la terre ne connaissait plus depuis tant de siècles, retentira pour commander aux pécheurs impénitents de descendre aux enfers, et pour inviter les justes à venir occuper, en corps et en âme, le séjour des délices éternelles.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique