Béni soit notre Sauveur ressuscité qui nous a dit en ces jours : "Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé !" Grâce à sa miséricorde, nous croyons et nous avons été régénérés dans le saint Baptême ; nous sommes donc dans la voie du salut. Il est vrai que la foi ne nous sauverait pas sans les œuvres ; mais les œuvres aussi sans la foi seraient incapables de nous mériter le salut. Avec quel transport ne devons-nous pas rendre grâces à Dieu qui a produit en nous par sa grâce ce don inénarrable, premier gage de notre béatitude éternelle ! avec quel soin ne devons-nous pas veiller à le conserver intact, à l'accroître par notre fidélité ! La foi a ses degrés, comme les autres vertus ; notre prière doit donc être souvent celle que les Apôtres adressèrent à Jésus : "Seigneur, augmentez en nous la foi".
Nous sommes appelés à vivre dans un siècle où la foi est diminuée chez la plupart de ceux qui croient : et c'est là l'un des plus grands dangers qui peuvent assaillir le chrétien en ce monde. Quand la foi est languissante, la charité ne peut que se refroidir. Jésus demande à ses disciples s'ils pensent que, lors de son dernier avènement, il trouvera encore de la foi sur la terre. N'est-il pas à craindre qu'elle ne soit voisine de nous, cette époque où les cœurs seront comme paralysés par le manque de foi !
La foi procède de la volonté mue par l'Esprit-Saint. On croit, parce qu'on veut croire ; et c'est pour cette raison que le bonheur est dans la foi. L'aveugle à qui Jésus rendit la vue, exhorté par lui à croire au Fils de Dieu, répond : "Quel est-il ? afin que je croie en lui". Ainsi devons-nous être disposés en présence de l'objet de notre foi. Croire, afin de connaître ce que nous ne connaîtrions pas sans la foi ; alors Dieu se manifeste à notre pensée et à notre cœur.
Mais vous rencontrez des chrétiens qui se scandalisent des saintes hardiesses de la foi. Ils nous parlent sans cesse des droits de la raison ; ils accusent les fidèles de méconnaître sa dignité, son étendue, son origine divine. Que les fidèles se hâtent donc de leur répondre : "Nous n'avons garde de nier la raison ; l'Eglise nous fait un devoir de reconnaître l'existence d'une lumière naturelle en nous ; mais en même temps elle nous enseigne que cette lumière, déjà obscurcie par l'effet de la chute originelle, serait incapable, fût-elle même demeurée dans son intégrité, de découvrir par ses seules forces la fin à laquelle l'homme est appelé, et les moyens d'y parvenir. La foi seule peut établir l'homme dans les conditions de la destinée sublime à laquelle la divine bonté l'a appelé."
D'autres se persuadent qu'il existe pour le chrétien parvenu à l'âge du développement de la raison, une sorte de liberté de suspendre l'exercice de la foi, afin d'examiner s'il est raisonnable de continuer à croire. Combien font naufrage contre l'écueil que leur présente ce coupable préjuge ! La sainte Eglise cependant enseigne depuis les Apôtres jusqu'à nos jours, et continuera d'enseigner jusqu'à la fin des siècles, que l'enfant qui a reçu le saint Baptême a reçu en même temps la foi infuse dans son âme, qu'il est pour jamais membre de Jésus-Christ et enfant de son Eglise ; et que si, à l'âge de raison, la foi est combattue en lui par le doute, il reçoit la grâce pour anéantir le doute par la foi, et risquerait son salut en suspendant sa croyance. Non assurément que l'Eglise lui interdise de confirmer sa foi par la science ; loin de là ; car alors il ne cesse pas de croire. C'est "la foi qui cherche l'intelligence", selon la belle parole du grand saint Anselme, et pour récompense elle la trouve.
Signalons encore comme l’une des marques de la décadence de l'esprit de foi chez un grand nombre qui remplissent d'ailleurs les devoirs du chrétien, l'oubli, l'ignorance même des pratiques les plus recommandées par l'Eglise. Combien de maisons habitées exclusivement par des catholiques, où l'on chercherait en vain une goutte d'eau bénite, le cierge de la Chandeleur, le rameau consacré le jour des Palmes : ces objets sacrés et protecteurs que les huguenots du XVIe siècle poursuivaient avec tant de fureur, et que nos pères défendaient au prix de leur sang ! Quelle défiance chez beaucoup d'entre nous, si l'on parle devant eux de miracles qui ne sont pas consignés dans la Bible ! Quelle incrédulité superbe, s'ils entendent dire quelque chose des phénomènes de la vie mystique, des extases, des ravissements, des révélations privées ! Quelles révoltes soulèvent en eux les récits héroïques de la pénitence des saints, ou même les plus simples pratiques de la mortification corporelle ! Quelles protestations contre les nobles sacrifices que la grâce inspire à certaines âmes d'élite, qu'elle pousse à briser en un moment les liens les plus chers et les plus doux, pour aller s'ensevelir, victimes volontaires, derrière les grilles impénétrables d'un monastère ! L'esprit de foi révèle au vrai catholique toute la beauté, toute la convenance, toute la grandeur de ces pratiques et de ces actes ; mais l'absence de cet esprit est cause que beaucoup n'y voient qu'excès, inutilité, et manie.
La foi aspire à croire ; car croire est sa vie. Elle ne se borne donc pas à adhérer au strict symbole promulgué par la sainte Eglise. Elle sait que cette Epouse de Jésus possède en son sein toutes les vérités, bien qu'elle ne les déclare pas toujours avec solennité et sous peine d'anathème. La foi pressent le mystère non encore déclaré ; avant de croire par devoir, elle croit pieusement. Un aimant secret l'attire vers cette vérité qui semble sommeiller encore ; et quand le dogme éclate au grand jour par une décision suprême, elle s'associe avec d'autant plus de transport au triomphe de la parole révélée dès le commencement, qu'elle lui a rendu plus fidèle hommage dans les temps où une obscurité sacrée la dérobait encore à des regards moins purs et moins pénétrants que les siens.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique