Une tradition descendue des premiers siècles et confirmée par les révélations des saints, nous apprend que l'heure de l'Ascension du Sauveur fut l'heure de midi. Les Carmélites de la réforme de sainte Thérèse honorent d'un culte particulier ce pieux souvenir. A l'heure où nous sommes, elles sont réunies au chœur, vaquant debout à la contemplation du dernier des mystères de Jésus, et suivant l'Emmanuel de la pensée et du cœur aussi haut que son vol divin l'emporte.
Suivons-le aussi nous-mêmes ; mais avant de fixer nos regards sur le radieux midi qui éclaire son triomphe, revenons un moment par la pensée à son point de départ. C'est à minuit, au sein des ténèbres, qu'il éclata tout à coup dans l'étable de Bethléhem. Cette heure nocturne et silencieuse convenait au début de sa mission. Son œuvre tout entière était devant lui, et trente-trois années devaient être employées à l'accomplir. Cette mission se déroula année par année, jour par jour, et elle allait touchant à sa fin, lorsque les hommes, dans leur malice, se saisirent de lui et l'attachèrent à une croix. On était au milieu du jour, lorsqu'il parut élevé dans les airs ; mais son Père ne voulut pas que le soleil éclairât ce qui était une humiliation et non un triomphe. D'épaisses ténèbres couvrirent la terre entière ; cette journée fut sans midi. Quand le soleil reparut, il était déjà l'heure de None. Trois jours après, il sortait du tombeau aux premiers rayons de l'aurore.
Aujourd'hui, à ce moment même, son œuvre est consommée. Jésus a payé de son sang la rançon de nos péchés, il a vaincu la mort en ressuscitant glorieux ; n'a-t-il pas le droit de choisir pour son départ l'heure où le soleil, son image, verse tous ses feux et inonde de lumière cette terre que son Rédempteur va échanger pour le ciel ? Salut donc, heure de midi deux fois sacrée, puisque tu nous redis chaque jour et la miséricorde et la victoire de notre Emmanuel ! Gloire à toi pour la double auréole que tu portes : le salut de l'homme par la croix, et l'entrée de l'homme au royaume des cieux !
Mais n'êtes-vous pas aussi vous-même le Midi de nos âmes, ô Jésus, Soleil de justice ! Cette plénitude de lumière à laquelle nous aspirons, cette ardeur de l'amour éternel qui seul peut nous rendre heureux, où les trouverons-nous, sinon en vous qui êtes venu ici-bas éclairer nos ténèbres et fondre nos glaces ? Dans cette espérance, nous écoutons les mélodieuses paroles de Gertrude votre fidèle épouse, et nous sollicitons la grâce de pouvoir un jour les répéter après elle :
" Ô amour, ô Midi dont l'ardeur est si douce, vous êtes a l'heure du repos sacré, et la paix entière que l'on goûte en vous fait nos délices.
" Ô mon Bien-Aimé, élu et choisi au-dessus de toute créature, faites-moi savoir, montrez-moi le lieu où vous paissez votre troupeau, où vous prenez votre repos à l'heure de midi.
" Mon cœur s'enflamme à la pensée de vos doux loisirs à ce moment. Oh ! s'il m'était donné d'approcher de vous assez près pour n'être plus seulement près de vous, mais en vous !
" Par votre influence, ô Soleil de justice, toutes les fleurs des vertus sortiraient de moi qui ne suis que cendre et poussière.
" Fécondée par vos rayons, ô mon Maître et mon Epoux, mon âme produirait les nobles fruits de toute perfection.
"Enlevée de cette vallée de misère, admise à contempler vos traits si désirés, mon bonheur éternel serait de penser que vous n'avez pas dédaigné, ô miroir sans tache, de vous unir à une pécheresse telle que moi."
(Exercitia S. Gertrudis. Die V.)
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique