Par son éducation et ses études, ce fils de famille était appelé aux honneurs ; il devait exercer de hautes fonctions. C'est une belle vocation que de servir son pays. La politique est une expression de la charité ; elle engage de se soumettre à la justice, à vouloir le bien, à chercher la vérité.
Au Ve siècle, la paix règne dans les Gaules ; la romanité a imprégné durablement le monde barbare. L'Empire y a apporté la culture, mais y perd le pouvoir. L'Empire se maintient dans un fragile équilibre ; la civilisation vacille. Rome illustre va mourir !
À cette heure de mutation profonde, le doute n'habite pas le peuple ; son réflexe est de venir se ressourcer, disons mieux "se sourcer" à l'eau vive de l’Évangile qui, tel un rayon de lumière, traversait les terres d’Empire depuis quatre siècles nouveaux. Le pouvoir politique était désacralisé en sa racine. L’empereur n'était pas d'origine divine. Les dix Commandements venaient de l'au-delà. Le préfet ne pouvait plus être évêque. Il lui fallait choisir. Et c’est le peuple qui choisissait : Germain, évêque ! Ambroise, évêque !
Ainsi se constituait une dialectique des rapports entre le politique et le spirituel qui rythme, non sans conflits, l’histoire de nos sociétés depuis plus de quinze siècles. Aujourd’hui nous ne savons plus gérer cette situation étonnante qui pourtant sauve la liberté du citoyen. Le sens et le bonheur ne sont pas confiés à l’État. L’état de droit hautement nécessaire dans un pays démocratique ne trouve pas sa force et sa légitimité en lui-même, mais dans la conscience en quête de sainteté, de vérité, de justice. Certes, il importe de rendre à César, ce qui est à César… et à Dieu ce qui est à Dieu. Mais César n’est pas Dieu. Il n'est plus Dieu ! L’Absolu a abandonné l’empereur. Dieu seul est Dieu… Vous connaissez la conclusion de cette affirmation donnée par Clavel, le philosophe qui vécut à Vézelay.
César est aussi une créature de Dieu. L’homme politique a la charge de servir le bien commun, de respecter et faire respecter les conditions qui permettent à chacun et à la communauté de chercher et de trouver le bonheur, bref d'aimer et d'être aimé ; il n'est pas au-dessus de cette loi de l'Amour, il n'est pas dispensé de devenir un saint. Et cela selon l'itinéraire de sa recherche de foi et l'intime engagement de sa conscience. "Sois saint comme Dieu est saint…" Et à l'heure actuelle, mon appel va plus loin encore : le peuple a besoin de son témoignage. Il doit oser signifier son combat spirituel.
Cela dit, l’État ne peut être lié à une quelconque institution religieuse, ni d'ailleurs à une école philosophique. L’Europe en a fait malheureusement l'expérience ! La laïcité de l'État, dont le corollaire est l'indépendance des Églises, est un bien de notre siècle. Mais cette situation nécessaire ne dispense pas ceux qui exercent l'autorité déléguée par le peuple, d'avoir une vie spirituelle, d'être des justes selon l'expression de nos amis juifs. Car, en définitive, c'est à ce niveau de la vie de conscience que s'élaborent les convictions, les orientations, les projets au service du peuple. La loi positive s'enracine toujours dans du "dit" ou plus souvent dans du "non-dit". Le spirituel n'est pas une nuance du culturel. Il en est la source trop souvent cachée.
Germain, évêque d’Auxerre, fut un européen engagé. Le prestige de sa ville ne lui suffit pas. Ou mieux, c’est ce prestige qui le conduit à vivre cette collégialité épiscopale que l’Église du concile Vatican II a redonnée comme une doctrine essentielle de notre foi chrétienne. Chacun est responsable de la vie de son prochain ; le monde entier est notre propre maison ; les frontières sont toujours des barrières ouvertes. Sans les moyens de communication qui sont nôtres grâce aux techniques modernes, les gens de cette époque lointaine n’hésitaient pas à affronter le mauvais temps et les dangers. Ils se savaient pèlerins.
Germain va se battre en Grande-Bretagne contre les ravages spirituels de l'hérésiarque Pélage qui laisse croire que l'homme se sauve "à la force de ses poignets", par sa seule puissance vertueuse, bref sans la grâce de Dieu… Plus tard, mon ancêtre sur le siège d'Auxerre défendra les droits et la paix des Armoricains, et c'est leur cause qu'il va plaider à Ravenne. Il y mourra.
Son hagiographe Constance raconte le bien qu'il accomplissait et les miracles que Dieu réalisait à son passage. Il guérit, il nourrit, il redonne espoir, il partage l’Évangile qui fait de lui un saint pasteur. Il libère les prisonniers. Il prêche la vérité. Il donne l'espérance : Dieu sauve.
En cela, il est vraiment le disciple de son Maître "Faites". "Faites-les asseoir… donnez-leur à manger…" Jésus exige de son Église d'être en tenue de service. Nous ne sommes pas dispensés d'être missionnaires. Aujourd'hui encore. "L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu."
Enfin, Saint Germain confirma la vocation de la jeune fille de Nanterre. Cet épisode me ravit, car je fus jeune prêtre dans la paroisse Sainte-Geneviève de Nanterre. C'était dans les années 1959-1965. Le presbytère de cette cité ouvrière de banlieue parisienne, jouxte le puits où Geneviève venait puiser l'eau. Et cette eau fut miraculeuse ; elle guérit la mère qui refusait à sa fille de réaliser sa vocation de femme, appelée à servir sa patrie, à nourrir les habitants de Lutèce, à combattre pour Paris. J'imagine toujours Geneviève descendant la Seine et l'Yonne pour embarquer les nourritures terrestres dont les assiégés de la future capitale avaient un urgent besoin. Ils avaient faim ! "Donnez-leur !"
Dans toute notre histoire, nous voyons des femmes se lever et prendre leurs responsabilités. La liste serait longue depuis Colombe, la petite sainte de Sens... jusqu'à Mère Emmanuelle, Geneviève et Jeanne d'Arc. Et toutes les inconnues et les silencieuses de l'engagement quotidien. Aujourd'hui encore dans notre Église, elles sont nombreuses, celles qui reçoivent mission. Aux évêques de mieux les reconnaître dans leurs vocations propres.
+ Georges Gilson
Homélie de Mgr Georges Gilson à l’abbaye Saint-Germain pour la fête de Saint Germain
Saint Germain d'Auxerre en son église de Saint Germain l'Auxerrois à Paris
statue en bois du XVe siècle