Pour la deuxième fois le septénaire brille au Cycle en juillet, illuminant les cieux, fécondant la terre. Plus heureuse que Félicité, Symphorose précède dans l'arène les sept fils qu'elle offre au Seigneur. Du trône où déjà il règne, couronné le premier du diadème des martyrs, Gétulius, l'ancien tribun, le père de cette illustre famille, applaudit aux combats où sa race puise une noblesse plus grande que celle du vieux patriciat, où Rome conquiert une éternité plus vraie que celle qu'avaient rêvée pour elle ses héros et ses poètes.
Nature à la fois corrompue et brillante, sceptique et superstitieuse, le césar Hadrien, qui dans la circonstance présidait en personne à la défaite des divinités de l'empire, était bien l'image d'une société déséquilibrée que le christianisme pouvait seul redresser par la fermeté de ses dogmes et l'héroïsme de ses martyrs. Le prince du monde, dont la rage toujours maladroite avait obtenu du fantasque empereur une sentence à laquelle en d'autres temps il se fût refusé, sentit bientôt la vérité de la fière réplique que le césar s'était attirée en menaçant d'immoler la femme forte à ses dieux : "Tes dieux, avait dit Symphorose, ne peuvent me recevoir en sacrifice ; mais si tu me fais consumer par les flammes moi et mes fils pour le nom du Christ mon Dieu, c'est alors que je brûlerai bien plus ardemment encore tes démons."
L'exécution de la mère et des fils fut en effet le signal d'une grande paix, dont l'Eglise profita pour étendre considérablement le règne du Seigneur Jésus, seul empire éternel. Jérusalem, trompée par un dernier faux messie, venait de perdre jusqu'à son nom ; mais l'Eglise recueillait toutes les gloires de la Synagogue qui avait autrefois produit la mère des Machabées.
On trouvera bien court le récit dédié par la sainte Liturgie à l'immortel combat qui a consacré cette journée :
Symphorose de Tibur , épouse du martyr Gétulius, en eut sept fils : Crescent, Julien, Némésius, Primitivus, Justin, Stactéus et Eugène. Ils furent tous arrêtés avec leur mère, sous l'empereur Hadrien, comme faisant profession de la foi chrétienne. Leur piété demeurant invincible au milieu de tourments nombreux et divers, la mère, qui avait été pour ses fils la maîtresse de la foi, fut aussi leur guide au martyre. On la précipita, une grosse pierre au cou, dans le fleuve ; son frère Eugène recueillit le corps et l'ensevelit. Le lendemain de ce jour, qui était le quinze des calendes d'août, les sept frères, attachés au poteau, furent tous mis à mort en diverses manières. Crescent eut la gorge percée du fer, Julien la poitrine, Némésius le cœur, Primitivus l'estomac ; Justin fut démembré, Stactéus percé de traits. Eugène coupé en deux depuis la poitrine. Ainsi furent immolées à Dieu huit hosties de très suave odeur. On jeta leurs corps dans une fosse profonde sur la voie Tiburtine, au neuvième mille de Rome ; plus tard, transportés à Rome même, on les déposa dans l'Eglise de Saint-Ange in Piscina.
Epouse, sœur et mère des Martyrs, Symphorose, vos désirs sont comblés : suivie de vos sept enfants, vous rejoignez à la cour du Roi éternel Gétulius votre époux et son frère Amantius, vaillants soldats des armées impériales, plus valeureux athlètes du Christ. Oh ! ce n'est donc point ici que trouve place l'oracle du Seigneur : L'homme aura pour ennemis ceux de sa maison (Matth. X, 36.) ! C'est qu'ici, en effet, ne s'applique point non plus la sentence : Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est point digne de moi ; et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n'est point digne de moi (Ibid. 3.). Bien au contraire, c'est l'amour du Christ roi qui domine, à ce foyer béni, tous les autres amours : or, loin de les éteindre, il décuple leur force en les dotant de sa propre énergie ; loin d'avoir à séparer l'homme de son père et l'enfant de sa mère (Ibid. 35.), il consacre divinement la famille et serre ses liens pour l'éternité.
Quelle noblesse, ô héros, vous conférez à la terre ! C'est en de tels jours, que notre race relève sa tête longtemps courbée ; après des combats comme les vôtres, l'homme ne saurait plus être méprisé des Anges. Accompagnant vos âmes, quel parfum d'holocauste est monté jusqu'au trône de Dieu ! quelle effusion de grâce en est descendue ! Du sillon lumineux tracé par votre martyre ont jailli dans nos temps d'incomparables splendeurs.
Aussi est-ce avec une reconnaissante allégresse que nous saluons la réapparition providentielle, de la tombe primitive qui reçut vos dépouilles sacrées à cet autre lendemain qui suivit pour vous le triomphe. Soldats du Christ, gardez en nous vos bienfaits ; rendez à trop de chrétiens, qui l'avaient oublié, la persuasion que la foi est le premier des biens pour le juste.
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Virgin and Child with Infant St John in a Garland of Flowers by Brueghel, Jan the Younger