À qui devons-nous notre civilisation ? À quoi devons-nous d'être ce que nous sommes ? À la conquête des Romains. Et cette
conquête, elle eût échoué, elle se fût faite plus tard, dans des conditions différentes, peut-être moins bonnes, si les Gaulois n'avaient été divisés entre eux et perdus par leur anarchie. Les
campagnes de César furent grandement facilitées par les jalousies et les rivalités des tribus. Et ces tribus étaient nombreuses : plus tard, l'administration d'Auguste ne reconnut pas moins de
soixante nations ou cités. À aucun moment, même sous le noble Vercingétorix, la Gaule ne parvint à présenter un front vraiment uni, mais seulement des coalitions. Rome trouva toujours, par
exemple chez les Rèmes (de Reims) et chez les Eduens de la Saône, des sympathies ou des intelligences. La guerre civile, le grand vice gaulois, livra le pays aux Romains. Un gouvernement informe,
instable, une organisation politique primitive, balancée entre la démocratie et l'oligarchie : ainsi furent rendus vains les efforts de la Gaule pour défendre son indépendance.
Les Français n'ont jamais renié l'alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l'âme nous donne encore de
la fierté. Les Gaulois avaient le tempérament militaire. Jadis, leurs expéditions et leurs migrations les avaient conduits à travers l'Europe, jusqu'en Asie Mineure. Ils avaient fait trembler
Rome, où ils étaient entrés en vainqueurs. Sans vertus militaires, un peuple ne subsiste pas ; elles ne suffisent pas à le faire subsister. Les Gaulois ont transmis ces vertus à leurs
successeurs. L'héroïsme de Vercingétorix et de ses alliés n'a pas été perdu : il a été comme une semence. Mais il était impossible que Vercingétorix triomphât et c'eût été un malheur s'il avait
triomphé.
Au moment où le chef gaulois fut mis à mort après le triomphe de César (51 avant l'ère chrétienne), aucune comparaison n'était
possible entre la civilisation romaine et cette pauvre civilisation gauloise, qui ne connaissait même pas l'écriture, dont la religion était restée aux sacrifices humains. À cette conquête, nous
devons presque tout. Elle fut rude : César avait été cruel, impitoyable. La civilisation a été imposée à nos ancêtres par le fer et par le feu et elle a été payée par beaucoup de sang. Elle nous
a été apportée par la violence. Si nous sommes devenus des civilisés supérieurs, si nous avons eu, sur les autres peuples, une avance considérable, c'est à la force que nous le devons.
Les Gaulois ne devaient pas tarder à reconnaître que cette force avait été bienfaisante. Ils avaient le don de l'assimilation, une
aptitude naturelle à recevoir la civilisation gréco-latine qui, par Marseille et le Narbonnais, avait commencé à les pénétrer. Jamais colonisation n'a été plus heureuse, n'a porté plus de beaux
fruits, que celle des Romains en Gaule. D'autres colonisateurs ont détruit les peuples conquis. Ou bien les vaincus, repliés sur eux-mêmes, ont vécu à l'écart des vainqueurs.
Cent ans après César, la fusion était presque accomplie et des Gaulois entraient au Sénat romain.
JACQUES BAINVILLE, HISTOIRE
DE FRANCE, Chapitre I : Pendant 500 ans, la Gaule partage la vie de Rome
ÉDITIONS PERRIN, nouvelle
réédition 2011
" Une histoire de France des origines à la fin de la Grande Guerre par un styliste à la plume incomparable.
Voici enfin une histoire de France qui fait aimer la France. "
JACQUES BAINVILLE