En proclamant la patrie en danger, l'Assemblée faisait appel au patriotisme français. En décrétant des enrôlements, elle prenait une décision d'extrême urgence, puisque la France était sur le point d'être envahie. Après tant d'accusations, lancées contre le "comité autrichien", pour retomber sur le roi et la reine, dans l'émotion causée par le péril extérieur et par une mesure aussi extraordinaire que la levée en masse, l'idée que la monarchie avait trahi la nation devait monter avec une force irrésistible. Dans la rue, dans l'Assemblée même, la déchéance de Louis XVI fut demandée.
Le résultat que la Gironde avait cherché était atteint, mais c'était le moment que les Jacobins attendaient pour le dépasser. Le roi est coupable, déclara Robespierre : l'Assemblée l'est aussi puisqu'elle l'a laissé trahir. Il ajouta, avec sa tranchante logique, que l'Assemblée, n'ayant pas renversé la royauté quand il le fallait, s'était rendue suspecte et qu'elle ne la renverserait plus que pour usurper la souveraineté du peuple. Il fallait donc la dissoudre, élire une Convention nationale qui réunirait en elle tous les pouvoirs et qui serait aussi inaccessible aux aristocrates qu'aux intrigants.
Ce discours, qui ouvrit la Terreur, annonçait une double condamnation à mort : celle de Louis XVI et celle des Girondins. Un frisson passa. Alors, trop tard, les Girondins essayèrent de se rapprocher du roi, de reprendre le rôle des Constitutionnels qui, eux-mêmes, en étaient à conseiller à Louis XVI de monter à cheval et de quitter Paris, autrement dit de recommencer Varennes, tandis que La Fayette était à la veille d'émigrer. Mais Louis XVI qui avait fait, peut-être trop facilement, le sacrifice de lui-même, n'espérait plus rien. Dégoûté dû ces palinodies, las de ces factions qui, tour à tour, après avoir poussé plus loin la Révolution, en prenaient peur, il n'avait plus confiance en personne. Il n'avait jamais été, enclin à l'action et il ne la croyait pas possible. Les Constitutionnels et les Girondins ne s'entendaient pas. Il n'y avait même pas d'espoir qu'ils s'entendissent entre eux pour former un parti de l'ordre. Jusque dans le panier à son, ils ne seraient pas réconciliés.
D'ailleurs, n'était-il pas trop tard ? Toutes les fureurs de la guerre civile s'unissaient pour perdre la royauté. Le manifeste du général prussien Brunswick, publié sur ces entrefaites, était, avec ses menaces insolentes de détruire Paris, conçu dans les termes lés plus propres à blesser la fierté des Français, à les convaincre qu'ils n'avaient plus qu'à se battre ou à périr et à les pénétrer de l'idée que l'ennemi et le roi conspiraient contre eux.
Si comme on le croit, le marquis de Limon a lancé ce défi sous la signature de Brunswick, on peut dire que c'est de l'émigration que Louis XVI a reçu son dernier coup.
JACQUES BAINVILLE, Histoire de France